Dr Arvin Boolell, député du PTr : « Notre intégrité territoriale n’est pas un accord commercial »

  • « Ne me dites pas que la sortie du ministre Hurreeram contre la Chine avait été faite sans le consentement du Premier ministre. Mais la question se pose : combien Huawei a-t-il contribué dans le trésor de guerre du MSM ? »
  • « Les partis politiques traditionnels ont une obligation morale et légitime de ‘put up a common front’ pour sauver le pays qui est en état d’urgence politique, diplomatique, économique et social »

État d’urgence. C’est ce qui revient comme un leitmotiv chez le Dr Arvin Boolell, député et chef de file du PTr au Parlement. Face à cet « état d’urgence politique, diplomatique, économique et social », les partis politiques traditionnels, dit-il, « ont une obligation morale et légitime de ‘put up a common front’ pour sauver le pays ».

Zahirah RADHA

Q : Les dossiers contre le gouvernement – Agalega, rating de Moodys, Finance Bill, Immigration Bill et plus récemment la lettre anonyme de Ken Arian – s’accumulent, sans que le pouvoir n’en fasse grand cas. Quelle lecture faites-vous de la situation ?

Le gouvernement vend des rêves et la réalité ne reflète pas ce rêve qu’il vend. Le gouvernement est en chute libre. Les scandales démontrent clairement que c’est « the best government that money can buy ». En termes de réformes sectorielles, de gouvernance et de bonne gestion économique et même au niveau de la moralité politique, rien ne va plus. Le gouvernement poursuit sa campagne de ‘fake news’. Mais heureusement que la population peut voir à travers son tissu de mensonges.  Un article écrit par Sushil Kushiram, ancien ministre du secteur financier, et intitulé « Data Spinning » démontre la façon dont ce gouvernement falsifie les chiffres. C’est effrayant. Le pays connait une décadence économique.

Les différents partis de l’opposition ont chacun leurs spécificités. Mais devant le danger et les défis qui guettent le pays, tous les partis politiques parlent d’une seule voix pour libérer le pays de ces dangers. Il y a une convergence à l’effet que le gouvernement doit partir. Les partis politiques traditionnels ont une obligation morale et légitime de « put up a common front » pour sauver le pays qui est en état d’urgence politique. Nous devons redonner à l’île Maurice sa gloire d’antan. Je me souviens qu’en 2009, lors d’une conférence à Nairobi où je représentais Maurice, la ministre des Affaires étrangères des États-Unis avait qualifié notre pays comme « a country where there is rule of law, democracy and good governance ». Ce qui n’est plus le cas aujourd’hui malheureusement.

Q : À voir les récents développements, l’opposition n’a-t-elle pas sous-estimé le pouvoir de marchandage, les coups bas et l’utilisation abusive des appareils de l’État par le gouvernement ?

Le gouvernement a envoyé un signal contradictoire, qui s’est manifesté par l’arme politique de l’exécutif, dès le premier jour. Il ne faut pas oublier qu’il voulait faire passer une « Prosecution Bill » en 2017 afin d’avoir une mainmise sur le bureau du Directeur des poursuites publiques (DPP). Depuis les élections de 2019, on a assisté à une relation infecte et incestueuse entre l’arme politique de l’exécutif et le Speaker. Le Parlement qui était jadis le Temple de la démocratie a malheureusement perdu ses valeurs. Des députés de l’opposition sont arbitrairement suspendus pour des raisons non-justifiées et des mauvaises interprétations des ‘standing orders’. J’ai moi-même dû avoir recours à la justice parce qu’il y a eu une flagrante violation des provisions de la Constitution.

Même au sein du judiciaire, il y a maintenant une crainte. La séparation des pouvoirs est très importante et il faut qu’il y ait une ligne de démarcation claire et nette. Le gouvernement sait très bien qu’il est en chute libre. Le public veut qu’il parte. Le Premier ministre pense avoir des pouvoirs absolus. Il a fait fi, par exemple, des conclusions du rapport de l’Audit. Sur tous ces dossiers, surtout sur les thèmes transversaux comme l’affaire de ‘sniffing’ et Agalega, il y a une convergence entre les partis de l’opposition.

Q : Les allégations de haute trahison ne s’appliquent-elles pas aussi au dossier Agalega ?

Le pays fait aussi face à un état d’urgence diplomatique. Maurice s’est toujours enorgueilli d’être un état membre des pays non-alignés. En tant que membre du Traité de Pelindaba, nous devons veiller à ce que la zone de l’Océan Indien soit démilitarisée. D’autant qu’il s’agit de notre intégrité territoriale. Sous le leadership du Dr Navin Ramgoolam, nous avions signé deux traités avec les Seychelles concernant le plateau continental étendu. En tant qu’État-océan, nous ne pouvons pas renoncer à nos droits de la mer et notre intégrité territoriale à un pays, sans qu’on ne connaisse les ‘terms of reference’. Agalega est-il une « place » ou une « base » ? Je félicite Mme. Sushma Swaraj, ancienne ministre indienne des Affaires étrangères pour sa position quand elle affirmé que « I have no problem to disclose ». Elle est malheureusement décédée, mais je ne crois pas qu’elle faisait du ‘political posturing’ quand elle l’avait dit. C’est le gouvernement mauricien qui est cachottier.

Au nom de la transparence, nous devons savoir s’il y a eu un accord. De quoi Maurice bénéficie-t-il en termes de ‘lease agreement’ ? La déclassification de certains documents nous permettent aujourd’hui de prendre connaissance de certaines questions que Sir Seewoosagur Ramgoolam (SSR) avait jadis demandé à l’ancien président américain Gerald Ford sur le dossier Diego Garcia. Nous nous retrouvons face à une situation similaire aujourd’hui. Les États-Unis étaient cachottiers concernant ce territoire qu’il avait accaparé à travers les Britanniques. Le gouvernement a ‘surrender’ auprès d’un autre pays. C’est pour cela qu’on parle de haute trahison du Premier ministre.

Dans le ‘sniffgate’, les provisions de l’‘ICT Act’ et de la ‘Data Protection Act’ ont été violées. L’aval du consortium SAFE et du conseil d’administration de MT n’a pas été sollicité. ‘Sniffing’ des données, il y en a eu. Le Premier ministre a agi comme un garçon de courses de l’Inde. C’est un faux pas monumental qu’il a fait. Une bavure jamais vue.

La situation actuelle est paradoxale et rend la population perplexe parce qu’il n’y a pas un fil conducteur concernant la lutte que nous menons pour la décolonisation totale de notre intégrité territoriale, que ce soit en termes d’État-océan ou de petit état insulaire en développement. En tant que Premier ministre qui a juré fidélité à la République de Maurice, Pravind Jugnauth a l’obligation légale et morale de divulguer l’accord qu’il y a entre Maurice et l’Inde sur Agalega et la présence des Indiens sur l’île.

Q : La population veut aussi savoir quelle position adoptera l’opposition sur ce dossier une fois au pouvoir…

Quand Navin Ramgoolam était Premier ministre, il avait sollicité l’avis de l’ancien Chef-juge Rajsoomer Lallah et nous avions un engagement à l’effet que nous accorderions toujours un soutien indéfectible envers l’Inde avec qui nous partageons des liens exceptionnels pour des raisons de peuplement. Tous les ministres mauriciens des Affaires étrangères ont toujours réclamé, à l’assemblée générale des Nations Unies, que l’Inde devienne un membre permanent du conseil de sécurité. Nous avions aussi soutenu l’Inde sur le ‘Treaty on Non-Proliferation of Nuclear Weapons’ (NPT). Mais il faut bien comprendre que notre intégrité territoriale n’est pas un accord commercial. Les relations avec l’Inde doivent être consolidées, mais au nom de la transparence et de la bonne gouvernance, le gouvernement doit le rendre public, en conformité avec ce qu’avait dit l’ancienne ministre Sushma Swaraj. Si jamais il y a un ‘lease agreement’ ou des facilités qui ont été accordées à Maurice, nous devons le savoir. It’s as simple as that.

Q : Le Premier ministre a-t-il tort d’accuser l’opposition de faire du « India bashing » ?

Lors de mon discours budgétaire peu après mon élection à l’élection partielle au no. 18, j’avais abordé la question d’intégrité territoriale et de zone économique exclusive et État-océan. SAJ, qui était alors Premier ministre, avait réagi de façon tribale et instinctive, et avait utilisé ce même terme. J’ai moi-même été ministre des Affaires étrangères et je remercie l’Inde pour les facilités qu’elle nous avait accordées, mais nous avions toujours eu une ligne de démarcation que personne ne franchissait. Agalega n’était ni « a base » ni « a place ». Bien sûr, nous voulons que l’Inde investisse chez nous, mais nous ne pouvons compromettre sur la question de souveraineté et d’intégrité territoriale. Un gouvernement qui est dirigé par Navin Ramgoolam aura l’obligation morale, légale et légitime pour exiger plus de transparence.

Q : Au-delà du dossier Agalega, l’apparente influence qu’exerce l’Inde sur Maurice, surtout dans le contexte géopolitique actuel, suscite quelques appréhensions au sein de la population. Ne devons-nous pas observer une certaine neutralité quand il s’agit des relations diplomatiques ?

Je vous l’ai dit, nous avions toujours eu une politique claire et nette concernant les pays des non-alignés. Il semble maintenant que nous nous sommes alignés. Il ne faut pas qu’on fasse abstraction de la route de la soie, communément connu comme le « One Belt One Road initiative ». Il y avait un ‘common understanding’ entre le Premier ministre indien et le président chinois à l’effet que la Chine restera au-delà du ‘Strait of Malaca’ alors que l’Océan Indien demeurera comme le Lotus de l’Inde. Nous ne pouvions pas l’empêcher, mais cela a été un peu trop ‘overpowering’ quand la Chine est descendue jusqu’au Pakistan, Myanmar, Sri Lanka, Maldives et les régions côtières africaines. C’est à partir de là que l’Inde s’est associée avec les États-Unis comme un ‘major defence partner’. N’oubliez pas qu’il s’agit de la ligne maritime la plus fréquentée.

Sur les thèmes transversaux, comme la lutte contre la piraterie, le terrorisme, l’IUU, nous faisons cause commune avec tous les pays, que ce soit la Chine, l’Inde ou l’Union Européenne. C’est un dossier complexe, mais malheureusement le Premier ministre n’a pas de conseillers qui comprennent ce dossier. Il y a un manque cruel de personnes ayant des compétences au sein du gouvernement. Il n’y a même plus de ministre des Affaires étrangères. Au moins, le Premier ministre a réagi après les bavures du ministre Hurreeram. Ne me dites pas que la sortie de ce dernier contre la Chine avait été faite sans le consentement du Premier ministre. Mais la question se pose : combien Huawei a-t-il contribué dans le trésor de guerre du MSM ?

Nous vivons dans un état d’urgence économique, politique, sociale et diplomatique. Il y a eu des étincelles au sein de la société. Le plus gros problème auquel nous faisons aujourd’hui face est le coût de la vie qui entraîne une crise sociale aigue. Nous ne sommes pas loin du syndrome de Sri Lanka.

Q : Vous aviez plus tôt évoqué la nécessité pour que l’opposition parle d’une seule voix. Mais il y a bien des divergences au sein de cette opposition !

L’opposition parlementaire a toujours fait cause commune sur les thèmes transversaux. C’est d’ailleurs dans le bureau du leader de l’Opposition qu’on se rencontre, comme cela avait aussi été le cas quand j’assumais les fonctions du leader de l’Opposition. Les trois partis traditionnels ont chacun leurs spécificités. Nous avons tiré des leçons de 2014 et de 2019. Raison pour laquelle nous devons converger nos forces. Le pays passe avant tout. Nous avons peut-être un « low start », mais nous avons cependant un engagement ferme. Cela vaut mieux que de précipiter les choses et d’avoir un faux départ.

Q : Cette alliance municipale est-elle donc un pas en avant ?

C’est un grand pas en avant. Mais bien sûr, le PTr doit d’abord informer son bureau politique et la décision doit être ratifiée. Nous voulons avoir le soutien de tout un chacun. Il ne devrait pas y avoir de problème à ce niveau. Le PTr tiendra sou peu son congrès annuel. Nous voulons qu’il y ait un nouveau souffle pour un bon départ, avec un nouveau programme. Il y aura un changement fondamental, mais pas cruel. Il se fera dans le respect de l’un et de l’autre. Les jours du gouvernement sont comptés. Les partis de l’opposition ‘mainstream’ font cause commune. Les élections municipales seront synonymes d’un ‘early harvest’. À partir de là, nous allons consolider davantage le travail.

Au niveau des partis traditionnels, nous allons mettre sur pied une équipe pour travailler sur un programme de vrai changement. Navin Ramgoolam a été désigné pour exécuter ce programme. Mais il y aura beaucoup de nouvelles têtes au sein du conseil des ministres. Nous aurons une feuille de route bien établie et un programme qui répondra aux attentes de la population mauricienne. Des moments très difficiles nous attendent. Il y a beaucoup de sacrifices à faire pour redonner au pays sa dignité. Il faut qu’il redevienne un modèle de démocratie. Il faut qu’il y ait une politique qui réconcilie le social et l’économie et qu’il y ait une véritable politique d’empowerment et de démocratisation.

Q : Et cette marche de l’opposition, allez-vous pouvoir rallier le maximum de personnes pour envoyer un signal fort au gouvernement, sachant que certains se sont désolidarisés de cette démarche ?

La marche a été initiée par l’opposition, plus précisément le Dr Ramgoolam. Mais ce sera une marche patriotique des citoyens, pas de l’opposition. L’appartenance ou la couleur politique n’y aura pas sa place. Cette marche pacifique et patriotique se tiendra le 3 septembre prochain et tous les partis politiques ont été invités. Nous invitons la population à venir en grand nombre pour envoyer un signal fort au gouvernement.