• « On retourne à l’époque coloniale », estime Catherine Boudet, politologue
  • « Les fils et filles à papa sont assurés d’être nommés députés », soutient Parvez Dookhy, expert constitutionnel

Longtemps attendu, le rapport du comité ministériel sur la réforme électorale a finalement été rendu public vendredi après-midi par le Premier ministre, Pravind Jugnauth. Un rapport qui contient les propositions du gouvernement, auxquelles viendront s’ajouter, aux dires du Premier ministre, les contrepropositions de l’opposition et du public en général. Cependant, les quatre propositions du gouvernement sur une éventuelle réforme électorale ne font pas l’unanimité au sein de la population. Si le point phare des propositions est l’élimination du Best Loser System, le débat est lancé quant à l’introduction du Best Loser Seats, qui permet le repêchage de 6 députés additionnels pour « rétablir l’équilibre » au sein de l’Assemblée nationale si le besoin se fait sentir.  L’introduction de la dose de proportionnelle telle que préconisée par le gouvernement est également dénoncé. Au final, un quart des députés seront des nominés politiques qui ne reflèteront en rien le vœu de la population ! Sans compter le gaspillage des fonds publics que générera une Assemblée à 81 députés…

 

Best Loser Seats

Introduction des nominés politiques au sein de l’hémicycle

C’est la proposition phare de cette réforme annoncée.  Remplacer le Best Loser System par le Best Loser Seats. Cette proposition élimine l’obligation des candidats de déclarer leur appartenance ethnique lors des élections. Le Best Loser Seats préconise alors l’allocation de six sièges additionnels à des députés. C’est la Commission électorale qui désignera ces candidats, sur une liste de ceux qui n’ont pas été élus sous le First Past The Post (FPTP) et ceux dont les noms figurent sur la liste de 24 candidats choisis par les leaders politiques et qui n’ont pas été repêchés à la proportionnelle.  Pour le Premier ministre, le Best Loser Seats permettra d’assurer la représentativité de notre nation arc-en-ciel à l’Assemblée nationale.

Or, cette proposition est vivement décriée. Selon Catherine Boudet, politologue, cette formule est en contradiction avec la dose de proportionnelle. « La dose de proportionnelle vise à corriger les résultats du First Pas the Post (FPTP) alors que les Best Loser Seats corrigeront, eux, les déséquilibres causés par la proportionnelle. Ce qui est déplorable », dit-elle. Cette formule donnera lieu à un système de nominés politiques au sein de l’hémicycle, tout en rétablissant la majorité. « On veut introduire le changement mais en même temps on verrouille le système existant. C’est un pas en avant et deux pas en arrière », poursuit-elle.

 

Représentation proportionnelle

Pouvoirs surdimensionnés aux leaders

L’autre mesure concerne l’introduction d’une dose de proportionnelle dans le cadre de la réforme de notre système électoral.  Ainsi, si la réforme est votée, 12 députés additionnels seront alors élus à la proportionnelle. Le gouvernement propose ainsi un système de représentation proportionnelle « parallèle », sous la formule « highest remainder » basée sur les pourcentages respectifs de vote obtenus par les partis éligibles au niveau national. De ce fait, chaque parti ou alliance devra présenter une « party list » de 24 candidats par ordre de précédence pas plus tard que deux jours après le dernier jour pour permettre à un candidat de se désister.

Cette formmule, explique Catherine Boudet, donnera des pouvoirs surdimensionnés aux leaders politiques alors que ceux de l’électorat seront réduits. « Au final, un quart de l’Assemblée nationale sera confisqué par des nominés politiques. On retourne à l’époque coloniale », lance la politologue.

 

Le seuil d’éligibilité fixé à 10 %

Raisonnable

Pour qu’un parti ou une alliance puisse être éligible aux sièges octroyés selon la formule de représentation proportionnelle, il lui faudra recueillir au minimum 10 % des voix au suffrage universel.  Les 12 députés élus à la proportionnelle seront désignés par la Commission électorale à partir d’une liste de 24 candidats choisis par les leaders politiques.  Le Premier ministre affirme que le nombre des élus à la proportionnelle ne viendra pas déséquilibrer le nombre de députés obtenus par un parti ou alliance ayant remporté les législatives sous le ‘First Past The Post System’ (FPTP).

 

Un parlement à 81 députés

Pillage des fonds publics

Le projet de réforme préconise également le maintien sous sa forme actuelle du ‘First Past The Post System’. De ce fait, trois députés se feront élire dans les 20 circonscriptions de l’île alors que le nombre d’élus passera de deux à trois à Rodrigues, considérée comme la 21e circonscription de la République.  Avec le nouveau système, le nombre de députés passera alors à 63.  Si la réforme passe, les 12 députés élus à la proportionnelle s’ajouteront aux 63 élus sous le FPTP, et les 6 du Best Loser Seats, pour un total de 81 députés au sein de l’hémicycle. Pravind Jugnauth affirme que « Le FPTP a toujours fait ses preuves car il assure un gouvernement stable à la tête du pays. La stabilité politique est sacrée. »

Ce nombre de députés et ministres est non seulement excessif pour un petit pays comme Maurice, mais il sera aussi catastrophique pour notre économie. Ce sont les contribuables qui risquent de payer les frais d’une Assemblée à 81 députés. Avec leurs salaires, allocations et autres pensions, ce sont plusieurs milliards de roupies que l’État devra débourser annuellement. En d’autres mots, ce sera un pillage des fonds publics.

 

Un tiers de femmes sur la liste

Un pas en avant

Si une proposition fait l’unanimité, elle concerne sans doute l’obligation à chaque parti ou alliance d’avoir au minimum un tiers de femmes sur sa liste de candidats. Cela devra se faire sur la liste de candidats pour le FPTP et le PR.

« Le ‘zebra system’ à la base de nomination des candidats est plus démocratique. C’est un pas en avant », affirme Catherine Boudet.  Toutefois, certains autres observateurs, dont Rama Sithanen, s’accordent à dire qu’il aurait été souhaitable qu’une femme candidate soit inscrite par circonscription afin d’assurer qu’un maximum de femmes soient élues.

 

Anti défections

Le transfugisme en groupe encouragé

La quatrième proposition concerne les défections. Si le projet de loi est adopté, les députés ne pourront plus changer de camp en plein mandat. De ce fait, si un élu décide d’abandonner le parti auquel il appartenait au moment de son élection, son siège sera déclaré vacant. Toutefois, cette règle s’appliquera uniquement à un député élu à travers le système First Past The-Post ou qui a obtenu un siège additionnel sous le Best Loser Seats. Il y a cependant des exceptions comme suit :

  • Il faudra que 5 députés se regroupent, peu importe le parti ou alliance auquel ils appartiennent. Du moment qu’ils sont 5 au minimum, ils auront le droit d’agir comme une « faction ». Leurs sièges ne seront pas déclarés vacants pour cause de ‘transfugisme’. Ils siègeront, à partir de cette séparation, au sein d’un nouveau groupe qui sera considéré comme étant leur parti.
  • Le siège d’un député ne sera pas déclaré vacant si son parti contracte une alliance avec un autre parti. Une condition toutefois : il faudra que 5 députés au minimum expriment leur accord avec cette alliance.
  • Par contre, s’il y a des députés qui ne sont pas d’accord avec cette alliance, ils auront le droit d’évoluer dans un groupe différent, et ce peu importe leur nombre. Les sièges de ces députés ne seront pas déclarés vacants.

Cette proposition, avance Catherine Boudet, est dangereuse puisqu’elle décourage le transfugisme individuel mais encourage le transfugisme en groupe. Ce qui permettra, selon elle, la formation d’alliances.

Pas de majorité pour le moment…

Pour que réforme il y a, le texte de loi doit être voté par une majorité de ¾ de députés au Parlement. Cependant, l’alliance MSM-ML ne dispose pas à elle seule de cette majorité. Au sein de l’opposition, le PTr, le PMSD et le MP ont déjà annoncé que si le gouvernement ne trouve pas un consensus pour rectifier certaines choses, ils ne voteront pas. Du côté des mauves, le leader se prononcera ce matin au Plaza, mais déjà on laisse entendre que le projet de réforme de Pravind Jugnauth est un « non-starter ».

Ils étaient contre mais pourtant…

La proposition d’avoir un système de représentation proportionnelle parallèle avait déjà été évoquée dans le passé, soit en 2004 par le comité Collendavelloo. Ivan Collendavelloo s’était alors exprimé contre cette idée de PR parallèle. 14 ans plus tard, ce même Ivan Collendavelloo est le no deux du gouvernement et applaudit de vive voix la proposition de représentation proportionnelle parallèle.   Et puis, il y a Pravind Jugnauth qui, lors des débats entourant le mini amendement proposé par le PTr en 2014 concernant le Declaration of Community (Temporary Provisions) Bill, disait un vendredi 4 juillet 2014 que « Le best loser system selon la version envisagée allait sérieusement exclure une section de la population. » Ce qui était, selon Pravind Jugnauth, « arbitraire et injuste ». Quatre ans plus tard, le Premier ministre veut éliminer le BLS.

Réactions

Shakeel Mohamed, député du PTr 

« Les minorités seront les esclaves de bon vouloir de leurs leaders »

« L’élimination du Best Loser System est scandaleux ! Les propositions sur la réforme auraient dû rassurer toutes les composantes de la nation mauricienne, pour que tout le monde se sente égal afin de contribuer dans l’avancement du pays. On a tous droit à un bout du gâteau national mais aujourd’hui le gouvernement veut que les minorités soit des esclaves de bon vouloir de leurs leaders pour figurer sur la liste du Best Loser Seats. C’est un recul démocratique. Un scandale. Ce qui est encore plus révoltant, c’est que nous avons des députés au sein du gouvernement qui représentent les minorités  mais qui cautionnent cette proposition du gouvernement. Cela démontre qu’ils sont plus attachés à leurs sièges qu’à leurs principes. Anwar Husnoo est de ceux qui disaient qu’il ne faut pas toucher au Best Loser System et aujourd’hui il est membre de ce gouvernement qui ne respecte pas le droit des minorités. Pour moi, le père de ces propositions n’est nul autre que sir Anerood Jugnauth. C’est lui qui a présidé le comité ministériel, c’est lui qui est derrière ces propositions ».  

Mamad Khodabaccus, secrétaire général du PMSD 

« Une réforme qui met en péril la sécurité des minorités »

« C’est enn galimatia ! On ne comprend plus ce que le gouvernement veut faire. Il n’est pas question pour nous au PMSD de cautionner une réforme qui met en péril la sécurité des minorités dans le pays. Nous sommes pour le redécoupage des circonscriptions et il n’est pas question d’éliminer le Best Loser System tant qu’il n’y a pas une alternative qui rassure toutes les composantes de la nation mauricienne. C’est comique que Pravind Jugnauth fasse une conférence de presse pour répéter tout ce que Paul Bérenger avait déjà dit mercredi en conférence de presse. Il est clair pour moi que la réforme électorale n’est qu’une plateforme pour des ‘koz kozé’ entre le MSM et le MMM. » 

Roshi Bhadain, leader du Reform Party

« Une reforme contre l’esprit même de la Constitution » 

« Aujourd’hui, nous avons à Maurice un Premier ministre qui n’a pas été élu par le peuple qui veut reformer la Constitution. C’est le comble ! Au Reform Party, nous disons non au fait que les leaders politiques doivent choisir les députés du Best Loser Seats. C’est contre l’esprit même de la Constitution. Nous préconisons une réduction dans le nombre des députés au Parlement et eux ils veulent avoir 81. D’après nos calculs, la population devra débourser la somme de Rs 1,1 milliards comme paiement des salaires des députés et ministres sur un mandat de cinq ans. Nous souhaitons qu’il y ait une baisse de ce nombre. Nous pouvons le faire si le nombre de députés élus au First Past The Post est réduit à 40, soit deux députés par circonscription au lieu de trois. »

 Alan Ganoo, président du Mouvement Patriotique

« Le gouvernement fait tout le contraire de ce que la représentativité proportionnelle veut dire »

 « Dans sa forme actuelle, la réforme n’est pas acceptable au MP. Nous avons de fortes réserves et des objections sur les fondamentaux de cette réforme. Il y aurait dû avoir une consultation avec les partis de l’opposition avant de présenter le projet de loi et non pas après. La représentativité proportionnelle sous la forme actuelle ne viendra pas corriger le déséquilibre en termes de nombre de députés siégeant au parlement pour un parti qui a obtenu 30 % des votes. Le gouvernement fait tout le contraire de ce que l’essence même de la représentativité proportionnelle veut. Par ailleurs, nous sommes aussi contre le fait que les leaders sont appelés à choisir six députés, c’est dangereux et rétrograde. En ce qui concerne le Best Loser Seats, il ne viendra pas assurer la sécurité minoritaire au sein du Parlement. Si le gouvernement maintient sa proposition, ce sera une bombe à retardement. » 

Ashok Subron, membre de Rezistans ek Alternative

« Il faut oublier le PMSD, qui a toujours été contre le progrès »

« Nous allons maintenir nos actions devant les Nations-Unies et la Cour suprême de Maurice. Nous sommes pessimistes quant à la possibilité que la réforme soit votée sous sa forme actuelle. Je lance un appel au PTr, au MMM et au MP de travailler ensemble pour que la réforme soit amendée et votée car il ne faut pas avoir une ‘non-reform’. La solution, c’est de voter les propositions amendées car notre système électoral est dans ‘les râles’. Il faut oublier le PMSD. Ils ont toujours été contre le progrès. 

Steven Obeegadoo, membre de Plateforme Militante

« C’est une déception totale ! » 

« C’est une très grande déception. Le ‘First Past The Post’ a un effet pervers sur le système électoral et c’est pour cela que les progressistes voulaient une réforme électorale pour corriger le déséquilibre causé par ce système. La meilleure solution est alors la représentativité proportionnelle. Car si un parti obtient 40 % pendant une élection, il ne peut pas se retrouver avec 10 députés seulement. Mais ce que propose le gouvernement, dans le fond, cela ne change rien. C’est une déception totale, il aurait dû avoir une consultation avec l’opposition avant et non après. De plus, une réforme aussi importante ne peut se faire dans le dos du peuple, il faut soit un referendum ou des élections générales pour avoir un mandat. »

 Danielle Selvon, députée indépendante 

« Je ne voterai pas pour une infamie de la sorte ! » 

«  J’ai lu le papier circulé entre le gouvernement et le MMM pendant leur ‘koz kozé’, qui se déroule depuis un bon moment. Je ne voterai pas pour une infamie de la sorte, qui rappelle exactement celle proposée par l’alliance PTr-MMM en 2014. Comme le PMSD et divers parlementaires du gouvernement, je suis pour un recensement meilleur que le recensement soi-disant religieux introduit par le MMM en 1983. Je dis oui à des pouvoirs additionnels pour la commission électorale et non à des pouvoirs sous le Best Loser Seats. »