« Un environnement dictatorial se dessine à Maurice »

Alors que la Journée internationale de la démocratie a été observée le jeudi 15 septembre, nous en profitons pour faire un constat de la situation à Maurice. Hélas, ce constat ne peut être qu’accablant car la démocratie a reculé sur bien des plans dans notre pays. Le point avec Dev Sunnasy, de ‘Linion Pep Morisien’ (LPM) et Rajen Narsinghen, ‘senior lecturer’ en droit et observateur politique.

Quand on parle de démocratie, celle-ci est définie par le Larousse comme « un système politique, une forme de gouvernement où la souveraineté émane du peuple ». Qu’en est-il à Maurice ? D’après le ‘V-Dem Democracy Report 2022’ publié début mars, Maurice compte parmi les 11 pays qui ont régressé depuis 2011, et a été encore une fois classé aux côtés de pays décrits  comme autocratiques.

Dev Sunnassy, co-fondateur de ‘Linion Pep Morisien’, pense que « ce gouvernement propage un environnement de frayeur et de dictature. À tel point que les citoyens n’osent même pas s’exprimer ouvertement, sans crainte ». Il souligne aussi qu’il y a un mauvais fonctionnement des institutions. Par exemple, la propagande éhontée de la ‘Mauritius Broadcasting Corporation’ (MBC). Il vilipende aussi l’ICAC qui, selon lui, ne fait pas son travail correctement. Il dénonce aussi la brutalité policière. « La brutalité de la force policière mauricienne est une tare pour notre démocratie », souligne-t-il. Dans le même contexte, il dénonce aussi la capacité de la police mauricienne à manipuler les situations.

Que faire pour assainir la situation sur le plan de la démocratie ? Pour Dev Sunnassy, il est primordial d’introduire une ‘Freedom of Information Act’ à Maurice, car dans une démocratie, il faut que les citoyens puissent avoir libre accès à l’information. « Il faut avoir de la transparence quand on est dans un pays libre », dit-t-il. Dans cette optique, il pointe du doigt l’opacité avec laquelle le gouvernement opère. Or, avec une telle loi, « les fraudeurs et autres magouilleurs hésiteront à passer à l’acte. De ce fait, le pays sera moins sous l’emprise des actions illégales ou illicites. » « Nous sommes déjà dans une autocratie et maintenant nous nous dirigeons vers une dictature », résume sombrement Dev Sunnassy.

Selon Rajen Narsinghen, juriste et observateur politique, depuis notre Independence en 1968 jusqu’à 2014, Maurice avait un classement honorable quand il s’agissait de la démocratie. « Mais à partir de 2014 jusqu’à maintenant, sous le règne du présent gouvernement, plusieurs évènements se sont produits, ce qui a fait que Maurice a régressé sur le plan de la démocratie », affirme-t-il. Selon lui, même le département d’État américain a décrit Maurice comme un pays où la démocratie a régressé.

Abordant la démocratie parlementaire, l’observateur politique soutient que « selon la Constitution, les lois ou encore les conventions constitutionnelles, le speaker doit être totalement neutre et ne doit pas favoriser un parti politique en particulier. Mais l’actuel speaker de l’Assemblée nationale est dépourvu de toute impartialité. De ce fait, la démocratie parlementaire est complétement bafouée par le comportement indigne du speaker et du Premier ministre ». Il souligne aussi qu’à plusieurs reprises, les questions de l’Opposition sont été sciemment ignorées par le gouvernement.

Concernant l’exécutif, il se focalise sur la force policière mauricienne, qui selon lui, est maintenant connue pour sa brutalité ou pour l’application de la torture. « Des vidéos ont été circulées en ce sens. Combien de personnes ont été torturées ? Quelle est l’étendue de cette pratique au sein de la force policière ? », se demande Rajen Narsinghen. Il condamne aussi d’autres dérives de la police, notamment dans l’affaire Akil Bissessur, où il y eu une fuite « inacceptable » de vidéos intimes.

Selon lui, il y a aussi une dérive de la démocratie en ce qui concerne d’autres institutions relevant de l’exécutif, comme la commission anticorruption (ICAC), l’‘Independent Police Complaints Commission’ (IPCC) et l’‘Electoral Supervisory Commission’ (ESC), qui selon lui, ne peuvent se détacher de la mainmise d’un certain parti politique.

Sur le plan de la liberté de l’information et de l’expression, Rajen Narsinghen n’a pas manqué de critiquer la ‘Mauritius Broadcasting Corporation’ (MBC) qui selon lui, est devenu « un outil de propagande et une honte nationale ». « La MBC peint toujours une image rose quand ce n’est pas le cas et cache à chaque fois les facettes de la réalité aux Mauriciens », maintient-il. Il devait ajouter que les amendements apportés à l’IBA Act sont « une honte, vu que la liberté d’expression des radios privées est en danger avec tous ses amendements ».

Sur ce même volet, Rajen Narsinghen dénonce le fait que certaines presses n’ont pas accès aux évènements ou conférences de presse organisées par le Premier ministre. Il fait également ressortir que des organes de presse sont asphyxiés financièrement, vu qu’on leur prive de publicités gouvernementales. Toujours en ce qui concerne les journalistes de la presse libre, il devait aussi dénoncer que ces derniers fassent quelque fois l’objet de tracasseries de la part de la police.

« Sous ce gouvernement, l’implémentation d’une ‘Freedom of Information Act’ a été renvoyée aux calendes grecques, et plusieurs informations sont cachées à la population. Or, une telle loi est plus que nécessaire pour le bon fonctionnement de notre démocratie. Car on a vu, pendant la période de la covid-19, comment la transparence a été bafouée », dit-il.

« Tout doucement, il y a un environnement dictatorial qui se dessine. On constate une dérive et un non-respect aux droits humains.  C’est triste de constater que le gouvernement fonctionne ainsi. Il doit se ressaisir et promouvoir la démocratie », conclut-il.

Hors-texte

« Sans liberté de la presse, la démocratie ne peut survivre »

Le thème choisi par les Nations-Unies cette année-ci : « Protéger la liberté de la presse, c’est protéger la démocratie ». Pour les Nations-Unies, il faut avoir des médias libres, indépendants et pluralistes, capables de tenir le public informé. La présence de la presse est fondamentale car les organes de presse sont les chiens de garde qui veillent sur les intérêts du public. La presse permet à la population de prendre des décisions nécessaires et de demander des comptes au gouvernement.

Ce qui fait que les médias sont considérés comme un « quatrième pouvoir », après le législatif, l’exécutif et le judiciaire. Comme l’a dit António Guterres, le secrétaire-général des Nations-Unies, « sans liberté de la presse, la démocratie ne peut survivre. Sans liberté d’expression, il n’y a pas de liberté tout court ».