Agalega transformé en base militaire ? Les éléments à charge

Le Premier ministre a réitéré la semaine dernière à l’Assemblée nationale qu’Agalega ne deviendra pas une base militaire indienne. Il devait aussi expliquer que le développement infrastructurel sur cet archipel s’insère dans le cadre d’une vision à long terme pour Agalega. Mais alors pourquoi s’évertuer à garder le secret sur le protocole d’accord entre Maurice et l’Inde sur Agalega ? En tout cas, plusieurs éléments tendent à démontrer qu’Agalega subit bel et bien une métamorphose en base militaire, malgré les dénégations du PM.

Au Parlement cette semaine, le PM a indiqué que ces infrastructures resteront la propriété de l’État mauricien. Il devait aussi indiquer que tout navire ou avion désirant utiliser les facilités d’Agalega devront avoir au préalable l’autorisation du gouvernement mauricien, comme cela a été le cas pour des appareils militaires français ou américains ces derniers temps. Apparemment, cette piste sera sous l’autorité de l’aviation civile mauricienne. Mais malgré ces garanties, plusieurs interrogations subsistent.

Pourquoi une piste longue de 3 km ?

Une piste d’atterrissage de 3 km de long et 60 mètres de large est aussi en train d’être construit, ce qui parait plutôt disproportionnée pour une si petite île, comme des observateurs le font ressortir. Les travaux y relatifs ont été complétés à 88 %. Le Premier ministre devait indiquer que cette piste pourrait accueillir des Boeing 737 et des Airbus A321. Des observateurs n’hésitent pas à faire ressortir qu’Air Mauritius ne possède pas de tels avions. Xavier Luc Duval (XLD) soutient même qu’un Boeing 737 transporte plus de 200 passagers. À quoi serviront ces avions pour une petite île qui comprendrait 50 maisons ?

Pour XLD, il s’agirait d’avions P-81 Poseidon, engagés dans la lutte anti-sous-marine, et qui transportent des missiles. L’Inde posséderait 12 de ces avions, récemment achetés aux Américains, qui serviraient à la surveillance des sous-marins chinois dans l’océan Indien. Ces avions sont en effet dérivés du Boeing 737, initialement conçu comme un appareil civil. Le Premier ministre a-t-il voulu jouer sur les mots en parlant de Boeing 737 ?

Attenants à cette piste, il y aura aussi un hangar et un « shelter » pour avions, selon le Premier ministre, qui n’a pas cru bon d’expliciter la différence entre ces deux infrastructures. XLD devait faire remarquer que ces hangars seraient plus grands que ceux existants à l’aéroport SSR. De par leurs tailles, les observateurs disent qu’ils pourront effectivement accueillir des Boeing 737 ou des Poseidon.

Il y aurait aussi une tour de contrôle et un terminal pouvant accueillir 50 passagers, ainsi qu’un dortoir avec 140 lits.

Quid de la jetée de 255 mètres ?

Selon le Premier ministre, une jetée de 255 mètres de long est en train d’être construite, ce qui est quand même impressionnant pour une petite île qui a l’habitude normalement d’accueillir des chalutiers et d’autres rafiots destinés à transporter le poisson. La jetée pourra accueillir des navires de 149 mètres de long. Il y aura aussi un dortoir attenant à la jetée, avec 22 lits. Les travaux relatifs à cette jetée ont été complétés à 80 %.

Selon XLD, cette jetée contiendrait des sortes de « tunnels ». « What is being hidden ? », devait lancer un XLD angoissé en plein Parlement. S’agit-il d’abris pour des sous-marins ? S’agit-il d’installations pouvant permettre le débarquement de matériel secret ? Mais pour le PM, il n’y aurait aucun tunnel, ou du moins, il ne serait pas au courant de leur existence.

Que veut l’Inde en retour ?

Le PM devait indiquer que ces travaux coûteront Rs 8,8 milliards aux Indiens, selon les termes du ‘Memorandum of Understanding’ (MoU) entre l’Inde et Maurice, qui prévoyait que l’Inde allait financer les travaux entièrement. Ce ‘MoU’ avait été paraphé entre le gouvernement Lepep et le Premier ministre indien Narendra Modi lors de sa visite chez nous en mars 2015.

Initialement, seulement Rs 300 millions avaient été prévues pour agrandir la piste. Mais à l’époque où le ‘MoU’ avait été paraphé, en 2015, ce coût avait déjà été revu à la hausse, à Rs 800 millions. Mais ce coût révisé a pris l’ascenseur pour atteindre aujourd’hui la bagatelle de Rs 8,8 milliards. Mais selon XLD, qui est lui-même un expert-comptable, ce chiffre atteindra probablement plus de Rs 13 milliards après la fin des travaux, en prenant en compte l’inflation, la dépréciation de la roupie et les retards dus à la covid-19. Un chiffre qui, il faut le noter, n’a pas été remis en question par le PM.

Pravind Jugnauth a aussi expliqué que c’est la compagnie indienne AFCONS qui a obtenu le contrat de construction, et que les travaux prendront fin vers juin 2023.

Comme l’a fait ressortir XLD au Parlement, l’Inde ne va pas investir Rs 13 milliards pour que 300 habitants puissent développer leur industrie de pêche. « Plus les Indiens dépensent sur Agalega, plus l’Inde aura des droits sur cette île. Quelle est la contrepartie de toutes ces générosités ?», dixit XLD au Parlement. Le PM devait faire référence au Metro Express, qui avait été financé à 50 % par l’Inde, pour faire croire que l’Inde n’attend rien en retour. Mais XLD devait lui rappeler que Maurice a depuis perdu le traité de non-double imposition.

Qu’en est-il du cô du gouvernement indien ?

Dans un document stratégique indien connu comme SAGAR (‘Security & Growth for All’), le gouvernement de Narendra Modi ne fait aucun secret quant à ses ambitions sur Agalega. Il considère cet atoll comme étant idéal pour la surveillance anti-sous-marine dans le sud-ouest de l’Océan indien. 

Une confidentialité qui dérange

La clause de confidentialité figurant dans ce ‘MoU’ n’a pas été déposée au Parlement. Pourquoi le PM insiste-t-il à vouloir garder cela secret alors que selon XLD, le ministre des Affaires étrangères indien avait indiqué qu’il n’avait aucune objection à ce que toutes les informations soient rendues publiques ? Le PM devait répondre qu’il n’était pas au courant de cette déclaration.

Selon le PM, les deux parties doivent donner leur accord avant que quelque chose contenu dans le ‘MoU’ ne soit divulgué, et qu’il a discuté de cela avec son homologue indien, Narendra Modi.

Est-ce que ceci est le ‘smoking gun’ ? Le gouvernement mauricien cache-t-il le fait qu’Agalega sera cédé ou que le gouvernement indien en prendra le contrôle d’une façon ou d’une autre ?  Le gouvernement cache-t-il le fait que les Agaléens connaitront le même sort que les Chagossiens, car comme on le sait, des iliens et une base militaire ne peuvent coexister ensemble ? 

Qui assumera les coûts de maintenance ?

Le PM n’a pas pu, ou n’a pas voulu, offrir une estimation des coûts de maintenance de ces infrastructures, répondant qu’il serait prématuré de le faire. Mais ces frais d’entretien seront à la charge du gouvernement mauricien – et par extension du contribuable mauricien – avec selon le Premier ministre, le « soutien » de l’Inde. On ne sait pas encore quel sera la nature de ce soutien. Un soutien financier ? Logistique ? Un simple soutien moral ? La question reste posée.

Combien de personnes seront employées pour faire rouler ces facilités ?

Selon le PM, il est aussi prématuré de dire actuellement, combien de personnes seront employées pour faire rouler ces facilités. Toujours selon le PM, ce seront des Mauriciens ou des Agaléens qui seront concernés par cette maintenance, sauf en cas de nécessité de « foreign expertise ou unavailability of adequately qualified local human resource ».

Aucun droit de regard des autorités mauriciennes sur l’équipement électronique à Agalega

Il faudra aussi savoir que l’Information & Communication Technologies Authority (ICTA) n’aura aucun droit de regard sur le matériel électronique installé à Agalega. Cela selon le décret ministériel no 97 du 6 mai 2022 (soit quelques semaines après la fameuse visite des techniciens indiens à Baie-du-Jacotet), qui dérogeant à la section 48 de l’ICT Act, exempte le haut-commissariat indien d’un quelconque contrôle de l’ICTA sur le matériel informatique qu’il importe.

Maurice pourra-t-il un jour renier cet accord ?

Si jamais il est avéré qu’Agalega sera bien transformé en base aéronavale, Maurice pourra-t-il un jour renier cet accord ? Les juristes sont divisés sur la question. Tout porte à croire que l’accord entre Maurice et l’Inde sera aussi contraignant pour les futurs gouvernements mauriciens. Mais tout dépend de ce qui a été prévu dans le contrat, s’il y a par exemple une clause pour terminer l’accord. En tout cas, les Indiens n’auront pas pris le risque d’investir des milliards sous un accord qui aurait été rompu au prochain changement de gouvernement, et qu’ils ont exigé des garanties à long terme.