Sniffgate : Huawei sert-il de prétexte pour détourner l’attention ?

Le Premier ministre lors de sa visite dans les locaux de Huawei en chine en septembre 2018
  • Pourquoi la station de Baie-Jacotet avait-elle été ciblée si un ‘back door entry’ de Huawei était effectivement visé par le survey, comme l’a dit Bobby Hurreeram sur Top FM, alors qu’aucun équipement de cette compagnie n’y est installé, le ‘cable room’ où l’interception des données ayant eu lieu étant connecté à l’‘Alcatel Submarine Network’ ?

Le gouvernement de Pravind Jugnauth ne peut pas plaider l’ignorance quant à la présence de Huawei à Maurice, comme s’est évertué à le faire croire Bobby Hurreeram sur Top FM, vendredi. Le Premier ministre, il convient de le faire ressortir, a personnellement eu des rencontres avec des représentants de Huawei à diverses reprises. La collaboration de Huawei avait aussi été sollicitée pour aider à la transformation numérique du pays.

Le Premier ministre avait reçu le president du Huawei Southern Africa Region,Chen Lei, à son bureau le 6 avril 2022

Sur les ondes de Top FM vendredi, Bobby Hurreeram, a fait part des prétendues craintes du gouvernement concernant Huawei. « Ena bocou concern concernant équipment Huawei à travers le monde […] fine ena arrestation lié à Huawei dans Canada […] Be quand ou trouve tou sala, l’ex-CEO Mauritius Telecom fine livré nou pays, les mains et les pieds liés à Huawei […] be li pa normal ki vine vérifié kot nou osi ? ». Il a ainsi tenté de faire croire, de façon à peine voilée, que la menace de sécurité nationale avait trait à Huawei puisque l’ex-CEO de Mauritius Telecom n’avait traité qu’avec cette compagnie. Or, le gouvernement ne peut plaider l’ignorance quant à la présence du géant chinois de technologies à Maurice. D’autant que Pravind Jugnauth a personnellement eu des rencontres avec des représentants de la compagnie à diverses reprises.

Revenons en arrière, soit après les premières allégations faites par Sherry Singh concernant le ‘sniffing’. Le Premier ministre avait expliqué que son attention avait été attirée sur un possible problème de sécurité nationale par son conseiller en matière de sécurité, soit l’indien Kumaresen Ilango. D’où sa requête pour la tenue d’un survey en octobre 2021. La nature de ce problème de sécurité n’avait pas été révélée. Ce n’est que sur les ondes de Top FM vendredi que Bobby Hurreeram a levé le voile sur cette menace de sécurité nationale. Celle-ci s’appelle Huawei. Mais si tel était le cas, pourquoi les techniciens indiens ont-ils choisi de faire ce survey à la station de Baie-Jacotet où aucun équipement Huawei n’est installé ? Car le ‘cable room’ où le survey avait été exécuté est plutôt connecté à l’‘Alcatel Submarine Network’. De quoi ‘call the bluff’ de Bobby Hurreeram…

D’ailleurs, des spécialistes en informatique s’accordent à dire que ce n’est pas en interceptant des données que l’équipe indienne aurait pu vérifier si le réseau a été contaminé ou s’il y a eu un ‘back door entry’. « Si je souhaite vérifier si votre ordinateur est infecté par un virus, ce n’est pas en vérifiant votre connexion wifi que je le saurai, mais c’est plutôt en scannant votre ordi avec un programme spécifique », nous explique ainsi un spécialiste dans le domaine.

Il convient aussi de souligner que cette prétendue menace venant de Huawei n’a pas empêché Pravind Jugnauth de recevoir le président de Huawei pour la ‘Southern Africa Region’, Chen Lei, à son bureau au PMO le 6 avril 2022, soit une semaine avant que le survey de Baie-Jacotet ne soit effectué. Qui plus est, le Premier ministre avait, dans le passé, personnellement sollicité l’expertise de Huawei pour aider le pays dans sa transformation numérique. C’était d’ailleurs le but de sa visite dans les locaux de Huawei, en septembre 2018, alors qu’il était en mission officielle en Chine. « Le gouvernement mauricien souhaite travailler avec Huawei pour poursuivre sa transformation numérique », avait-il fait ressortir à Peng Zhongyang, vice-président de l’entreprise.

Auparavant, plus précisément les 26 et 27 novembre 2020, Huawei Mauritius et la ‘State Informatics Ltd’ (SIL), en collaboration avec le ministère des TIC, avaient organisé le sommet  ‘Innovation For All Summit 2020’. L’objectif de ce sommet visait à accélérer la collaboration et les initiatives dans le but de faciliter la transition vers une société numérique à Maurice, revenant sur plusieurs domaines d’intervention, soit les fondements d’une île intelligente, la Fintech, et les technologies émergentes. Le ministre des TIC, Deepak Balgobin, avait d’ailleurs soutenu qu’à travers l’Innovation For All Summit 2020, « nous allons pouvoir passer à une étape supérieure en termes de collaboration intersectorielle et valoriser le potentiel d’innovation sous toutes ses formes ». Le ministre avait également tenu « à remercier les équipes de mon ministère, de SIL et de Huawei qui ont travaillé pour que ce sommet se concrétise ». Le gouvernement ne semblait pas, à ce moment, avoir un quelconque problème à travailler avec Huawei, malgré les allégations d’espionnage associées à la compagnie chinoise.

Ces éléments tendent de faire croire que les raisons de ce survey sont toutes autres, contrairement à ce qu’a affirmé Bobby Hurreeram durant son interview grand format avec Bhai Habib. Certains se demandent même pourquoi le ministre des Infrastructures publiques a été dépêché pour parler sur ce dossier alors qu’il ne semble rien connaître à l’informatique ou encore moins sur ce qui se passe à Agalega. « Line coule gouvernema la bien enkor », ironisent des internautes. Des observateurs n’ont d’ailleurs pas manqué de dénoncer les propos qualifiés de « China bashing » de Bobby Hurreeram alors que son discours à un débat organisé par le Parti communiste chinois avait été primé le 20 décembre 2021…

Le ministre Deepak Balgobin avec à sa gauche le représentant de Huawei lors de l’innovation for All Summit en novembre 2020