[EDITO] Sniffing Island

Jouissons-nous toujours de nos droits et de nos libertés fondamentales dans ce pays en voie d’autocratie ? La question se pose au vu des diverses tentatives de surveillance que veut nous imposer le gouvernement. Une démarche qui ne date pas d’hier, mais depuis des années. Rafraîchissons la mémoire de nos lecteurs. Le régime en place avait d’abord voulu nous épier à travers les réseaux sociaux. Et ce grâce aux amendements qu’il comptait apporter à l’ICT Act durant le premier trimestre de 2021, alors que le pays passait par des moments difficiles dû à la Covid-19. La raison officielle avancée, c’est qu’il fallait réguler les « abuse and misuse » sur les plateformes digitales. Le ‘Consultation paper’ circulé par l’ICTA, chargée de cette mission d’espionnage, avait alors soulevé un tollé, puisque tout un arsenal de surveillance et de mesures répressives allait être mis en place pour bloquer la liberté d’expression, non pas des prédateurs mal intentionnés uniquement, mais de tous les utilisateurs des applications comme Facebook, WhatsApp, Instagram, et autres.

Il était question d’installation d’un outil visant à décrypter le trafic sur les réseaux sociaux. Les contenus pouvaient ainsi être filtrés et scannés avant que certains ne soient bloqués ou archivés. Ce qui aurait exposé toutes nos communications à l’œil du gouvernement, en sus de pouvoir les contrôler et les censurer. Sans compter que nos activités en ligne couraient le risque d’être tracées et piratées. Plusieurs organismes, y compris Facebook et Mozilla, avaient d’ailleurs émis des critiques contre l’approche de l’ICTA. « The amendments specify technical measures such as self-signed digital certificates that will be used as trust anchors, by which the Mauritian government can intercept, decrypt, re-encrypt and store Internet traffic data. […] The proposed approach would, however, have severe and disproportionate implications for privacy and security for Mauritian citizens, as well as others abroad, while doing little to address the stated concerns », avait écrit Marshall Erwin, Chief Security Officer, de Mozilla Corporation. Ce qui équivalait à une claque magistrale à l’ICTA qui avait auparavant eu l’outrecuidance d’évoquer des « rampant fake news propagated by ill-intentioned persons on the web ».

C’est finalement grâce à une opposition ferme menée par des acteurs de divers domaines qu’on en n’a plus entendu parler après la fin des consultations. Aujourd’hui, ces mêmes libertés fondamentales sont de nouveau menacées, cette fois-ci avec le réenregistrement des cartes SIM. Sans que les Mauriciens ne le réalisent, cet exercice met en péril nos données personnelles. Et une fois de plus, c’est l’ICTA qui a été chargée de cette sale besogne. La direction de l’organisme nie que nos données seront partagées ou conservées. Mais les faits restent que celles-ci seront définitivement partagées une fois que les opérateurs passent par l’ICTA, à travers un ‘middleware’ dont l’organisme refuse de divulguer les spécifications, pour les vérifier sur la base de données de la ‘Civil Status Division’ et du ‘Passport and Immigration Office’ (PIO). Des questions se posent aussi sur l’utilité des photos requises, la base de données existantes – si elle est de nature biométrique ou pas -, et l’objectif réel de cet exercice de réenregistrement à quelques mois seulement des prochaines élections générales. Jusqu’ici l’ICTA ne s’est pas montré rassurant. D’autant que la raison mise de l’avant pour justifier cette mesure n’est point convaincante.

Dans une réponse parlementaire en date du 24 octobre, le Premier ministre explique que cet exercice était rendu nécessaire après le rapport Lam Shang Leen qui avait fait état de l’utilisation des ‘Black Phones’ par des trafiquants de drogues dans les prisons. Un rapport qui date de juillet 2018 et qui fait spécifiquement allusion aux touristes et aux travailleurs étrangers lorsque ces ‘Black Phones’ sont évoqués, comme le souligne avec raison le député Fabrice David (voir en page 6). Ce qui ne justifie pas pourquoi tous les 2, 3 utilisateurs des SIM cards mauriciennes doivent être inquiétés. Surtout que l’on sait que des trafiquants de drogues regorgent d’astuces leur permettant de communiquer, qu’ils soient incarcérés ou pas. Pravind Jugnauth, et l’ICTA qui suit le pas aveuglément, n’ont sans doute pas lu le rapport du ‘National Institute of Justice’ (NIJ) qui date du 2 juin 2023. Il préconise toute une série de mesures ciblées et efficaces pour prévenir l’utilisation des téléphones portables par des barons de drogue dans les prisons, allant de micro-jamming au radio frequency detection.

Trop de choses suspectes sont passées pour qu’on croit en la sincérité de ce gouvernement. N’oublions pas le « data capture » effectué à Baie-du-Jacotet par Missié Moustas dans l’affaire « sniffing gate ». Gardons bien tête que ‘DNS International Ltd’ a acquis des équipements soupçonnés d’espionnage au coût de plusieurs millions de dollars auprès de la compagnie israélienne ‘Verint Systems Ltd’ pour le compte du ‘Prime Minister’s Office’. Pour quoi faire ? L’on ne sait pas. Tout cela nous amène à croire qu’il y a un ‘trend’ précis qui se dessine, à l’approche des prochaines élections. Parallèlement aux barons qui font ‘sniffer’, ingurgiter ou injecter de la drogue à nos jeunes, nous devons aussi nous méfier de ceux qui ‘sniffent’, interceptent et conservent nos données.