[Inondations ] Quand les drains ne suffisent plus

Le dérèglement climatique apporte son lot d’inquiétudes pour Maurice, comme pour tant d’autres. Les inondations se feront malheureusement de plus en plus fréquentes. Comment y faire face ? Il est évident qu’il faut plus que jamais qu’un plan d’action soit élaboré. Or, tout ce que le gouvernement semble faire ces derniers temps, c’est de se concentrer sur la construction des drains. Ce qui bouffe des milliards de roupies mais qui, dans bien des cas, ne donnent pas l’effet escompté. Le gouvernement fait-il fausse route en concentrant tous ses efforts sur les drains ? David Sauvage, militant écologiste au sein de Rezistans ek Alternativ (ReA), dit n’avoir aucun doute là-dessus. « C’est un problème d’envergure qui nécessite un plan d’action d’envergure, à plusieurs niveaux. La crise est tellement grande que le gouvernement seul ne peut pas la résoudre. C’est comme le Wakashio, le coup de main de tout le monde est important pour y arriver », dit-il d’emblée. Mais d’abord, insiste-t-il, il faut analyser les causes pour ensuite trouver des solutions.

Les causes

  • Volume de déchets

Les déchets se révèlent être un facteur important dans les causes d’inondations à Maurice. Le rapport de la commission d’enquête sur les inondations du 30 mars 2013 avait d’ailleurs révélé que 300 tonnes de déchets avaient été enlevées dans les zones inondées, rappelle David Sauvage. « En cas de flashfloods et de cyclone, où de grosses pluies sont enregistrées en quelques heures, un tel volume de déchets peut s’avérer un défi pour n’importe quel drain, peu importe sa taille », dit-il. Or, ajoute-t-il, il dit avoir appris qu’il y a eu au moins 500 tonnes de déchets cette fois-ci. Bien qu’il prenne ce chiffre avec des pincettes, il reconnait toutefois que cela, s’il s’avère vrai, aurait pu aggraver la situation. D’où la nécessité de gérer les déchets de manière efficace, mais aussi de nettoyer régulièrement les lieux publics, ainsi que les drains.

Il fustige, dans la même foulée, la politique du ministre de l’Environnement, Kavy Ramano, en ce qu’il s’agit de l’utilisation de plastique. « Il aurait pu interdire l’utilisation des bouteilles en plastique, mais il a repoussé la question à 2030. Entretemps, des millions de bouteilles en plastique sont produites et enfouies à Mare Chicose par an, aggravant le problème de déchets et de pollution, » regrette-t-il.

  • Perturbation des cours d’eau naturels

Selon David Sauvage, des cours d’eau naturels ont été grandement perturbés avec les cultivations et les constructions. Ce qui cause des problèmes d’accumulation d’eau et éventuellement d’inondation. « Lorsqu’il y a eu des cultivations de canne autour du village de Mare Tabac par exemple, l’eau accumulée dans les champs en raison de la perturbation du cours d’eau naturel finit par se déverser dans le village. Et puisqu’il n’y a pas de rivière, l’eau inondera éventuellement la sortie du village puisque, même s’il y a des drains, cette eau n’a nulle part où aller », explique-t-il.

  • Le système de déversement dans la mer

Depuis l’époque coloniale, l’eau des drains est majoritairement canalisée vers la mer. Mais avec le changement climatique et la montée des eaux, ce modèle doit être revu, estime David Sauvage. « À Port-Louis, d’un côté, quand ena cyclone, ena la brise ki aspirer dans so centre et li fer delo monté. Et de l’autre côté, dans le cas du cyclone Belal, ti ena 6 à 10 m la houle ki fer que niveau delo dans Caudan ine monté. Be si to avoye enkor delo dans la mer, li monté et li re-sorti », explique le militant écologiste. Et d’ajouter : « Tous les villages côtiers sont confrontés au même problème. Si nou continué prend delo montagne zet sa dans la mer, abé la côte sa village la pou inondé. En fait, nou p ape résoudre auken problème, mais nou pe aggrave li », explique David Sauvage. Ce qui fait qu’il faut désormais sortir des sentiers battus et penser à d’autres solutions.

Solutions possibles

L’envergure du problème exige des efforts collectifs pour pouvoir le surmonter, insiste David Sauvage, en prenant l’exemple du Wakashio.

  • Création de wetlands

David Sauvage rappelle qu’il y a, pendant une certaine période, de grosses pluies qui provoquent des inondations, et une autre qui est marquée par la sècheresse. « Il faut qu’on puisse absorber l’eau de pluie et la stocker pour pouvoir l’utiliser en période de sècheresse. L’eau de pluie, c’est de l’eau douce, c’est de l’or ! », martèle-t-il. Au sein de Rezistans ek Alternativ, la création de wetlands est privilégiée, soutient le militant écologiste. « Il faut trouver des terrains à côté des villages pour créer des wetlands qui absorberont l’eau de pluie », poursuit-il. Mais pour cela, il faut une planification, accompagnée de simulations. « Nous devons être capable de simuler une pluie de 200mm en une heure pour pouvoir estimer la taille du buffer que réclamera ce wetland », ajoute-t-il.

  • Production d’électricité

L’eau de pluie peut également être stockée et utilisée pour la production d’électricité. C’est d’ailleurs un système qui existe déjà, comme à Ferney. « Si l’eau est stockée en hauteur, le kapave servi comme ene batterie naturelle pou créer l’énergie. En plus, c’est pas polluant et cher comme bane batteries normal », renchérit David Sauvage, qui reconnaît que cela nécessite un travail herculéen, mais qui peut néanmoins être salutaire.

Hors-texte

Rendre public les données du DEM

David sauvage est d’avis qu’il est grand temps que les autorités rendent public le « Land Master Plan » commandité par la « Land Drainage Authority ». « Une compagnie sud-africaine a fait une étude de grande précision basée sur le ‘High Resolution Digital Elevation Model’. Ces données doivent être rendues publiques pour qu’elles puissent servir à l’élaboration d’un plan national avec la collaboration de tout le monde », martèle-t-il. « Ce n’est pas seulement le rapport concernant les zones inondables qu’il faut rendre public, mais aussi toutes les données », poursuit-il. Le militant écologiste concède que cela créera des problèmes, notamment en ce qui concerne la valeur des propriétés se trouvant dans des zones inondables. « Mais soit nou continué cachiette, soit nou gueté kuma pou faire face et manze are li », fait-il ressortir, en insistant qu’on ne peut plus se voiler la face. « J’invite d’ailleurs les whistleblowers à rendre les données du DEM publiques, car il y va de la vie humaine », conclut-il.