[Interview] Dr Vasantrao Gujadhur : « Il n’y a pas de planification »

  • « Quant à la vaccination des enfants âgés de 5 à 11 ans, plusieurs pays n’ont pas encore tranché sur la question. Le « Joint Committee on Vaccination and Immunisation » (JCVI) du Royaume-Uni ne préconise la vaccination que pour les enfants qui ont des comorbidités ou dont les parents souffrent de maladies graves »

Face à la nouvelle vague de Covid-19 qui attaque le pays, le Dr Vasantrao Gujadhur, ancien directeur des services de Santé, analyse la situation, énumère les lacunes, se désole du manque de planification et se pose des questions…

Zahirah RADHA

Q : Le pays fait face à une quatrième vague, semble-t-il, de la Covid-19. A-t-on tiré des leçons des précédentes vagues pour mieux gérer cette nouvelle flambée de cas ?

Oui, c’est effectivement la quatrième vague qu’on vit actuellement. La première, qu’on avait eue en mars 2020, était relativement courte, d’une durée d’un mois et demi, avec environ 339 cas. La deuxième vague, survenue en mars 2021, a duré plus longtemps avec davantage de cas, incluant des décès. La troisième vague, plus mortelle, était celle du variant Delta. Elle avait fait son apparition en septembre 2021 et à ce jour, on en a encore quelques cas, selon le dernier exercice de séquençage.

On a appris beaucoup durant la dernière vague liée au Delta. La gestion laissait à désirer et il y a eu beaucoup de décès. En novembre 2021 d’ailleurs, le nombre de morts à Maurice était supérieur à n’importe quel autre pays dans le monde. Le système, incluant le « testing team » et la « Domiciliary Monitoring Team » (DMU), ne fonctionnait pas comme il se doit, il y avait un manque de places dans les hôpitaux et on avait dû solliciter l’aide de la Réunion pour son expertise et pour la fourniture d’oxygène. On a donc appris de cette vague durant laquelle il y a eu des problèmes de gestion, de ressources, de dépistage et de « monitoring », entre autres.

Quant à la présente vague d’Omicron, dont les premiers cas avaient été enregistrés en novembre, les contaminations augmentent de façon exponentielle. Depuis la semaine dernière, environ 1500 cas sont enregistrés par jour. En milieu de semaine, les cas ont encore augmenté. Il est vrai que l’Omicron n’est pas aussi sévère que le Delta, mais n’empêche qu’il nécessite aussi un isolement pendant une dizaine de jours. Les cas contacts doivent aussi s’isoler, provoquant un taux d’absentéisme élevé au travail et à l’école. Donc, bien que le variant est moins sévère, ses effets sur la vie sociale, l’économie et l’éducation sont énormes.

On veut toujours avoir un pic avec moins de cas pour qu’on puisse le gérer par rapport au nombre d’admissions, de traitement, de « casualties » et de problèmes économiques. Mais cela dépend des autorités. Elles doivent prôner une politique de transparence et de vérité en donnant les chiffres réels. Ce qu’elles ne font pas actuellement. Le public ne connait donc pas la sévérité de la situation.

Q : C’est donc la même tendance qui se dessine puisque la dernière fois, c’était la même chose concernant les chiffres, n’est-ce pas ?

Oui, c’était la même chose. Sauf que cette fois-ci, il y a moins de décès, l’Omicron étant moins virulent. Le problème, c’est quand vous dites au public que c’est moins virulent et que vous cachez les vrais chiffres, il y aura automatiquement un relâchement au niveau des gestes barrières. Quand il y a une vague, les autorités, dont le ministère de la Santé et le gouvernement, doivent communiquer pour inciter le public à prendre plus de précautions.

Q : Les autorités affirment qu’il n’y a pas de pression sur les hôpitaux et que tout est facilement gérable. Vous ne le pensez pas ?

Avez-vous vu les interminables files d’attentes devant les « flu clinics » ? Le personnel médical est débordé. L’Omicron étant nettement plus contagieux que le Delta, les risques de contamination pour le personnel médical sont plus élevés. En cas d’un manque de personnel dans les hôpitaux, la gestion des patients hospitalisés posera problème. Ensuite, il y a un fort taux d’absentéisme au travail et dans les écoles. Rien que pour les écoles, environ 5 000 tests sont réalisés par jour.

Q : Le secteur éducatif est de nouveau paralysé. Cette situation n’aurait-elle pas pu être évitée avec une bonne planification ?

Dès la hausse dans le nombre de cas vers la mi-janvier, des précautions auraient dû être prises par le ministère de l’Éducation. Il y a aujourd’hui beaucoup de cas parmi les enseignants, le personnel non-enseignant et les élèves. D’ailleurs, d’après ce que j’ai lu dans la presse, le personnel des écoles doit mobiliser plus d’énergie pour maîtriser les cas de contaminations que d’enseigner. Est-ce que les écoles fonctionnent vraiment ? Fallait-il les ouvrir à un moment où le nombre de cas est en hausse ?

L’infection dans les écoles dépend d’abord sur le taux de transmission dans la communauté, et ensuite sur le taux de vaccination dans les écoles. Si l’incidence du virus dans la communauté est élevée, avec une « community transmission » de niveau 3 ou 4, les enfants seront plus exposés, surtout s’ils voyagent par bus ou dans les vans scolaires. Qui plus est, les enfants en-dessous de 11 ans n’ont pas encore été vaccinés alors que les adolescents âgés de 11 ans ou plus n’ont pas tous reçu leur deuxième dose jusqu’ici. Il faut aussi savoir si le système mis en place dans les établissements scolaires prévient les infections.

Il est vrai que les symptômes chez les enfants sont très minimes. Mais le virus peut néanmoins causer des complications chez un enfant qui a des comorbidités telles que des problèmes cardiaques, des maladies chroniques ou l’asthme. Le virus peut aussi entraîner des complexités chez les « teaching and non-teaching staffs » qui sont âgés de plus de 60 ans et qui ont des comorbidités. Moi, je suis pour l’ouverture des écoles pour le bien-être de l’enfant, mais il faut quand même qu’un « risk-based assessment » soit d’abord effectué.  

Q : Les écoles doivent-elles être fermées, selon vous ?

Primo, il y a beaucoup de cas dans les écoles. Secundo, y a-t-il un système de réduction de risques d’infections dans les écoles, que ce soit en termes de distanciation physique et de comportement des enfants, d’hygiène sanitaire, de désinfection et de nettoyage, et de ventilation, entre autres ? Il faut aussi voir si les mesures mises en place marchent, d’autant que le « testing team » fait face à des difficultés.

Q : Justement, le « testing team », tout comme la DMU, peine à assurer. N’a-t-on pas un grave problème au niveau de l’organisation et la mise en place efficace d’un bon système de dépistage, de prise en charge et de suivi ?

Il n’y a pas de planification. Les écoles ont été fermées depuis la vague Delta. Mais au moment de leur réouverture récente, le « testing team » n’avait pas encore été mis sur pied. ‘Sa bann la pe travay, ou appel zot zordi, après 2 zours ki zot vini. Si le matin ou pas appel zot, zot pa vini’. Force est de constater que le « testing team » ne fonctionne pas. L’isolement pose aussi problème, tout comme la communication entre les écoles et les parents.

Tout est centralisé et, en l’absence d’un protocole, les écoles ne peuvent pas prendre de décisions sans consulter au préalable le ministère de l’Éducation. Deux ans se sont écoulés depuis les premiers cas de Covid-19 en mars 2020. Or jusqu’à maintenant, il n’y a pas eu un système d’enseignement en ligne bien rôdé qui a été mis en place.

Vu la situation actuelle où les écoles roulent au ralenti, il faut les fermer et les rouvrir après le pic dans deux semaines. Cela aurait permis de diminuer le taux d’infection. D’ailleurs, l’année scolaire a été étendue jusqu’au novembre. ‘Bane zenfants deza fini perdi mem, deux semaines pas pou fer bel différence au lieu expose bane zenfants à ene virus’.

Q : L’arrêt temporaire des classes à chaque nouvelle vague ne risque-t-elle pas de perturber le système éducatif ? N’aurait-il pas fallu plutôt un protocole plus efficient et efficace ?

Je ne dis pas qu’il faut fermer les écoles à chaque fois qu’il y a une vague. Mais il faudra prendre en compte le nombre de cas de contamination dans la communauté, le respect des restrictions mises en place par les autorités, ainsi que le respect des protocoles en vigueur sur les lieux de travail. Cela dépendra aussi du nombre de tests effectués par le ministère de la Santé. Il est temps pour que le gouvernement mette en place, dans les écoles, un système où il y a suffisamment de ventilation, de distanciation physique ainsi qu’un ‘time-table’ qui fait provision pour des « staggered hours » pour la récré, entre autres. Il faut une planification pour mitiger les risques d’infections pour les enfants.

Q : Dans un contexte plus large, n’est-il pas temps, après deux ans dominés par la Covid-19, d’introduire un protocole d’alerte bien défini pour informer la population de la sévérité des cas et des mesures à prendre en conséquence ?

Oui, pareil comme il y en a en France et en Angleterre. L’OMS a mis en place des indicateurs très clairs pour définir à quel moment il faut passer à tel ou tel niveau de « community transmission » et ce qu’il faut faire en conséquence. C’est écrit noir sur blanc. Tout ce que le ministère de la Santé doit faire, c’est de communiquer.

Q : Mais la question qui se pose, c’est est-ce que la Santé suit toutes les recommandations de l’OMS…

Comment peut-on, en tant que membres du public, le savoir ? Si vous demandez le nombre de cas actuel à quelqu’un, il vous répondra 115 (ndlr : le nombre de cas annoncé en début de semaine), parce que c’est le chiffre qui a été officiellement communiqué par le ministère de la Santé, en se basant sur le nombre de cas confirmés par des tests PCR. Pourtant, il y a, en réalité, plus de 2500 cas quotidiennement. Ce sont les autorités qui doivent communiquer. Le ‘positivity rate’ est élevé s’il est supérieur à 5 ou 6%. Mais il incombe aux autorités de nous le dire. Il faut un système d’alerte semblable à celui du cyclone et qui nous permet de savoir, par exemple, qu’il ne faut pas conduire en cas d’alerte 3 ou qu’il ne faut pas sortir de chez soi en cas d’alerte 4.

Selon l’OMS, « knowing the level of transmission is a key to assess the overall Covid-19 situation in a given area and guiding decisions on responsive activities and tailoring epidemic control […]». (Ndlr : il poursuit en énumérant les différents niveaux de ‘community transmission’ (CT)). Concernant l’incidence des cas, par exemple, plus de 1 500 cas par semaine équivaut à un CT niveau 4. Or, chez nous, on enregistre 2 000 cas par jour, indiquant que l’incidence est très forte dans la communauté. Ce qui se reflètera automatiquement dans les écoles.

Q : Est-ce l’absence d’un protocole de réduction de risques d’infections dans les écoles qui pousse les autorités à prôner la vaccination tous azimuts des enfants de 5 à 11 ans ?

La vaccination, comme on le sait, diminue les risques de maladies graves, mais elle n’empêche pas la contamination. Beaucoup de personnes ayant fait la ‘booster dose’ ont été contaminées par l’Omicron. Quant à la vaccination des enfants âgés de 5 à 11 ans, plusieurs pays n’ont pas encore tranché sur la question. Le « Joint Committee on Vaccination and Immunisation » (JCVI) du Royaume-Uni ne préconise la vaccination que pour les enfants qui ont des comorbidités ou dont les parents souffrent de maladies graves.

Q : Maurice va donc mettre la charrue devant les bœufs en ce qu’il s’agit de la vaccination de cette catégorie d’enfants ?

Je me base sur ce que dit cette autorité anglaise (ndlr : JCVI) à ce sujet. Pour les enfants de 5 à 11 ans, il faut d’abord faire un « full and extensive assessment » concernant les risques et les bénéfices. Les enfants risquent d’avoir des problèmes cardiaques, des inflammations du myocarde ou de péricardite. Il n’est pas nécessaire de les vacciner tous. D’ailleurs, les enfants de cette tranche d’âge ne doivent recevoir qu’un tiers de la dose administrée aux adultes. Je ne sais pas pourquoi on veut vacciner tous les enfants chez nous.

Q : Le décès d’un étudiant de 16 ans a bouleversé le pays et suscite des interrogations, surtout après l’explication fournie par le ministre de la Santé. Quelle est votre analyse de la situation ?

Voyons la chronologie des événements. Cet élève, d’après ce que j’ai lu dans les médias, s’était plaint de mal de tête après être rentré de l’école mardi. Il a été conduit à l’hôpital où il a été testé négatif à l’Omicron, alors que son père, lui, a été testé positif. Il est donc rentré chez lui avec des médicaments. Mais il a dû de nouveau être conduit à l’hôpital dans la soirée de mercredi soir après qu’il ait eu des ‘fits’. Et là, il a, cette fois-ci, été testé positif et a été admis dans une ‘isolation ward’. Il a, selon le témoignage de son père, souffert de nausées et de mal de tête durant toute la nuit. Son état de santé a détérioré vendredi matin. Il a alors été transféré aux soins intensifs en ICU où il a été intubé avant d’être transféré à l’hôpital ENT où il est décédé samedi matin.

Ce qui m’intrigue dans ce cas : l’état de santé de quelqu’un qui a été testé positif mercredi soir peut-il se détériorer aussi vite que cela ? Deuxièmement, pourquoi l’a-t-on envoyé à l’hôpital ENT ? Sa mort, selon le certificat de décès, a été attribuée à une ‘subarachnoid hemorrhage’ et non pas à la Covid-19. D’où ma question de savoir pourquoi on l’a envoyé à l’ENT. Et puis, lui a-t-on fait subir un ‘scan’ jeudi si c’était un cas neurologique, comme l’a dit le ministre de la Santé ? Non ! Ce n’est que vendredi après-midi, quand il était à l’ENT, qu’un scan a été fait. Pourquoi ? Pourtant, tous les hôpitaux disposent de facilités pour faire le ‘scanning’. Quelle prise en charge, tests et investigations ont été faits entre mercredi soir et avant son décès samedi matin ?

Q : Y a-t-il eu négligence, selon vous ?

Je ne sais pas, mais je me pose des questions. S’il avait déjà des problèmes neurologiques quand il a été admis mercredi soir, quelle prise en charge y a-t-il eu ? Un neurologue l’a-t-il vu jeudi ? Pourquoi l’a-t-on envoyé à l’ENT alors qu’il y a un « neurology ward » à l’hôpital Jeetoo ? A-t-il eu un traitement approprié depuis son admission jusqu’à son décès ? Le taux de fatalité pour le ‘subarachnoid hemorrhage’ est entre 40 et 50%. Il y a un pourcentage de patients qui s’en sortent sans séquelles et environ 30% qui s’en sortent, eux, avec des séquelles. Je ne dis pas que cet enfant aurait pu s’en sortir, mais j’aimerais savoir s’il a eu des traitements appropriés et si les tests nécessaires ont été effectués à temps, d’autant qu’il a été admis avec des problèmes neurologiques.

Q : La Covid-19 ou la vaccination contre le virus peuvent-elles avoir une incidence sur les problèmes neurologiques ?

La Covid-19 peut aggraver la situation d’une personne souffrant de problèmes neurologiques. Mais ce cas-ci est complètement différent puisque la Covid-19 ne peut pas aggraver sa situation à cette vitesse. Je ne sais pas ce qu’il y a dans son dossier. C’est pour cela que j’estime qu’il faut faire une enquête pour savoir s’il a été pris en charge correctement et s’il a eu les traitements qu’il faut à temps. Il avait reçu sa deuxième dose de Pfizer en novembre, donc plus de deux mois de cela. Les complications liées à la vaccination surviennent après six semaines. D’ailleurs, le Pfizer peut provoquer des inflammations du cœur, et non pas des saignements. Il y a des vaccins qui provoquent des caillots de sang. Mais on n’a rien entendu concernant des vaccins qui donnent des saignements, comme dans ce cas qui relève d’un problème d’‘aneurysm’. Ce qui veut dire qu’il y a une possibilité qu’il avait déjà un artère défectueux. Moi, je veux savoir s’il y a eu des manquements dans sa prise en charge.

Q : Il y a beaucoup d’allégations concernant les complications liées à la vaccination. Le comité de Pharmacovigilance mis en place par le gouvernement a-t-elle fait état de ses observations, à votre connaissance ?

Pas à ma connaissance. Je sais qu’il y a eu beaucoup de cas où des personnes ont fait des complaintes, mais je ne sais pas ce qui en a découlé.

Q : Mais ce comité, s’il existe effectivement, n’aurait-il pas dû communiquer, ne serait-ce que pour rassurer la population ?

Définitivement. On encourage la population à se faire vacciner. Selon l’OMS, les bénéfices sont plus que les risques. Mais, en ce qu’il s’agit des complaintes, il aurait dû y avoir une certaine transparence concernant les cas sur lesquels le comité a enquêté.

Q : Il est de plus en plus question d’un assouplissement des restrictions sanitaires. Le moment est-il propice pour cet assouplissement ?

J’ai appris que les autorités envisagent d’enlever certaines restrictions à la fin de mars. Là n’est pas le moment, selon moi. On fait actuellement face à une vague qui provoque de nombreux cas. Le devoir du gouvernement pour l’instant, c’est d’assurer que les restrictions déjà en vigueur soient respectées en donnant toutes les informations nécessaires. Un assouplissement des restrictions doit dépendre du niveau de « community transmission ». Que se passera-t-il si on a un autre variant après l’Omicron ? La pandémie est toujours là. On attend à ce qu’elle devienne endémique. Mais d’ici là, il faut la contrôler en maintenant et respectant les restrictions sanitaires et en observant religieusement les gestes barrières.