Kevin Bissoo, un des pèlerins bléssés à Mare-Longue : « Nou ine trouve la mort devant nou »

Rohan Dorjan et Parmeshwar Dookeea, âgés de 22 ans et 36 ans respectivement, ont été emportés à la fleur de l’âge suite au drame qui s’est produit à Mare Longue quand leur kanwar est entré avec un câble à haute tension.

Kevin Bissoo, 32 ans, une des victimes, nous explique ce qui s’était passé durant cette tragédie. « Chaque année, notre groupe met le cap vers Grand-Bassin pour célébrer la grande nuit de Shiva », nous dit-il. L’an dernier, Kevin et ses proches et amis n’ont pu se rendre à Grand-Bassincar les restrictions sanitaires étaient toujours en vigueur dans le pays. Cette année-ci, ils avaient pensé qu’ils allaient pouvoir accomplir ce rituel et leurs prières. « C’est un plaisir pour nous d’ériger notre kanwar et pour effectuer le pèlerinage de Grand-Bassin », nous confie Kevin Bissoo.

Le kanwar avait été construit par le Trishuldhari Shiv Mandir d’Albion. Il avait coûté la bagatelle somme de Rs 50 000 et sa construction s’est étalée sur près de six semaines. Il était fait avec des bambous et comportait plusieurs ornements en plastique. Ceux qui l’ont construit ont dédié leurs jours et leurs nuits pour ce travail somme toute impressionnant. « Il n’y avait pas de générateur dans notre kanwar, contrairement à ce qu’on dit », maintient Kevin. Il nous explique que lui et son groupe de pèlerins portaient le kanwar sur leurs épaules. La musique provenait d’un système installé à l’arrière d’une voiture.

Après avoir fait leurs prières au lac sacré de Grand-Bassin, Kevin et son groupe avaient pris le chemin du retour. Il y avait alors environ une dizaine de personnes à l’intérieur du kanwar, dont Kevin. C’est en arrivant aux alentours de Mare-Longue que le drame s’est produit. Le kanwar a heurté un câble électrique à haute tension sur leur passage. L’impact fut foudroyant. Les pèlerins sont tombés par terre suite au choc électrique. Le kanwar a alors commencé à prendre feu.

« Le feu s’est propagé à une telle vitesse que nous étions désemparés. Nou ine trouve la mort devant nou », explique Kevin. Certains ont pu s’extirper in extremis et porter secours à leurs amis inconscients ou prisonniers du kanwar, aidés par d’autres pèlerins. Bilan : Dorjan a été foudroyé mort sur le coup. Parmeshwar Dookeea avait lui aussi été électrocuté et devait succomber plus tard à l’hôpital. Les autres, dont Kevin, ont subi des brûlures à divers degrés. « Zamé mo ti penser ki ene zour pou arriv sa ek nou. Mo souhaité ki sa pa arriv ek personn », termine Kevin.

 « Il y a beaucoup de commentaires sur ce qui s’est passé. Je lance un appel aux Mauriciens de ne pas faire de critiques sans savoir ce qui s’est réellement passé. Nous seuls savons ce que nous sommes en train de subir en ce moment. Notre village d’Albion est en deuil », nous dit Satyadev, un autre rescapé.

Il jette le blâme sur le câble de haute tension du CEB, qui était dénudé. « Si le câble était en bon état, il n’y aurait pas eu cela et nous n’aurions pas perdu deux membres de notre équipe », dit-il. « Je suis d’accord que le kanwar était très haut mais en allant vers le lac sacré, on n’a pas eu de tels problèmes. Ce n’est qu’en prenant le chemin du retour que le drame s’est produit », ajoute-t-il. Il dénonce aussi le fait que certains pèlerins d’autres groupes se contentaient de prendre de photos ou des vidéos sans lever le petit doigt pour leur venir en aide. « Au lieu d’essayer de nous secourir, de nombreux pèlerins préféraient assister au spectacle, ce que je trouve inacceptable », dénonce-t-il.

Les funérailles de Dorjan et de Parmeshwar Dookeea ont eu lieu le vendredi 17 février 2023. De nombreuses personnes, dont des membres du gouvernement et de l’opposition, se sont déplacées pour rendre un dernier hommage à ces deux jeunes. Chez les familles Dorjan et Dookeea, le choc et la tristesse pouvaient se lire sur les visages.

Parti trop tôt

Deoduth, l’oncle de Parmeshwar, nous explique que quand Parmeshwar était bébé, il veillait sur lui. « Ce sera un vide qui restera à jamais gravé dans nos cœurs. Je ne sais plus quoi dire », dit-il. Il nous explique que Parmeshwar travaillait comme skipper à plein temps et travaillait aussi comme maçon pendant ses temps libres. Il projetait de se marier et bâtissait déjà sa maison. Il veillait sur ses parents âgés. « J’ai perdu mon neveu. Il est parti trop tôt. C’est bien triste. Notre famille est accablée par cette situation », explique Deoduth.

La voisine de Parmeshwar Dookeea, Linda, que Parmeshwar avait l’habitude d’appeler ‘Dadi’, nous confie que ce dernier était un bon garçon et qu’il saluait toujours les grandes personnes par signe de respect. « C’est triste qu’il soit mort de cette façon. Il avait toute sa vie devant lui. Il n’a même pu dire un simple au revoir à sa famille », dit-elle, les yeux embués de larmes.

Nous nous sommes aussi rendus chez la famille Dorjan. Vinod Dorjan, l’oncle de Rohan Dorjan, les larmes aux yeux, nous dit que « Ce n’est pas facile que les enfants partent avant nous. C’est difficile de gérer cela. »

Il nous explique que Rohan avait un frère aîné, Aniket. Rohan était un enfant tranquille qui aimait le foot. Il participait dans toutes les fêtes religieuses. Il avait une bonne entente avec les personnes de son entourage, et tous ses voisins l’appréciaient. Il avait quitté l’école très tôt car il ne s’intéressait pas vraiment à ses études. Il avait plusieurs projets en tête et en discutait avec ses parents. Il aimait bien travailler l’aluminium, et voulait ainsi ouvrir son propre atelier un jour et travailler à son propre compte.

Mais le destin a décidé autrement. « Il y aura désormais un vide dans nos cœurs, car Rohan n’est plus parmi nous », pleure cet oncle.

Une PNQ au Parlement

Des nombreux politiciens ont apporté leur soutien aux familles endeuillés. Ils ont tenu à marquer leur présence chez les familles des victimes, et à rendre un dernier hommage aux décédés. Dans une déclaration à Sunday Times, le leader de l’Opposition et du PMSD, Xavier Luc Duval a fait ressortir qu’il compte revenir avec une PNQ au Parlement à la rentrée parlementaire sur cette affaire.