Le Premier ministre jubilait au départ. Le rapport de la commission d’enquête sur les agissements de l’ex-présidente Ameenah Gurib-Fakim arrangeait bien les choses pour lui. Primo, il reprend la main après les récentes révélations de haute trahison à son encontre ; secundo, il donne l’impression qu’il ‘means business’ et qu’il agit contre les scandales alors qu’en réalité, les plus gros scandales, dont l’affaire Sobrinho, restent entiers ; tertio, il lui permet de régler ses comptes avec une farouche opposante ; et quarto, il lui donne l’occasion de redorer le blason du PMO pour faire oublier la lettre « anonyme » de son ‘blue-eyed boy’ Ken Arian.
Mais Pravind Jugnauth, face aux questions pressantes de la presse, a vite perdu la boule et s’est montré irrité, colérique même. C’est évidemment la question sur le rôle de son ancien ‘Senior Advisor’, actuellement CEO d’Airport Holdings Ltd, qui l’a mis dans tous ses états. Il a bien tenté d’esquiver la question, en répondant à côté. « Guet sa mo pena le temps pou dimane tou bane zafer ki la presse publié. Mo ena lezot travay à fer moi […] nou pena auken dirty tricks à fer ». Mais devant l’insistance de nos confrères de l’Express et de Radio Plus, il a fini par laisser échapper : « eski c’est ene offense criminel ? ». Est-ce un aveu à demi-teinte, à l’effet que Ken Arian aurait effectivement écrit cette lettre ?
« Eski c’est ene offense criminel ? ». Shakeel Mohamed, député travailliste et avocat, est catégorique. « Si quelqu’un a comploté pour écrire une lettre avec l’intention de nuire à quelqu’un, il s’agit bien entendu d’un délit », répond-il. Pour lui, le Premier ministre, dans un souci de transparence et afin de préserver l’intégrité du PMO, aurait dû tout simplement référer l’affaire à la police. Il regrette néanmoins que le président Asraf Caunhye et ses assesseurs n’ont pas été mis au courant de cet élément. « Je ne sais pas si Mme Gurib-Fakim l’a fait, mais si j’étais son avocat, je lui aurais conseillé d’écrire à la commission pour lui dire qu’il y a un nouvel élément et qu’elle aurait aimé qu’il soit pris en considération », dit Shakeel Mohamed, en précisant toutefois que cet élément n’aurait probablement pas eu de grande incidence sur les conclusions du rapport.
L’avocat Parvez Dookhy est lui plus nuancé dans ses propos. « Oui, cette lettre peut être une offense criminelle », dit-il. Et d’expliquer : « Pour qu’il y ait un délit ou un crime, il faut trois éléments : une loi qui interdit l’acte reproché, le fait d’avoir commis cet acte interdit, l’intention criminelle. Dans le présent cas, c’est l’intention criminelle qu’il faut rechercher. Cette affaire de lettre anonyme peut être une entente délictueuse dans la fabrication d’un faux ou ce qu’on appelle un « vrai-faux » document. Mais il appartiendrait aux enquêteurs de chercher l’intention délictueuse, l’esprit criminel (mens rea) », explique-t-il.
Sanjeev Teeluckdharry abonde dans le même sens. « Il faut se demander si Ken Arian a agi de son propre chef ou en concert avec quelqu’un », souligne-t-il. Et d’ajouter : « Si Ken Arian a agi sous les instructions de quelqu’un ou si deux ou plus de personnes se sont convenues pour faire quelque chose qui est « wrongful, harmful or unlawful », alors c’est une « conspiracy », donc un délit punissable par la loi », poursuit-il. Et puisqu’il est question de « conspiracy », il se demande, dans le même souffle, si « le Premier ministre a-t-il le droit de dire, lors d’une fonction, qu’il avait quelqu’un sur son radar depuis un certain temps ? N’est-ce pas un aveu que le Premier ministre a comploté avec la police contre quelqu’un (ndlr : Akil Bissessur) ? Le Premier ministre peut-il agir ainsi dans une démocratie ? ». Sanjeev Teeluckdharry déclare que c’est un acte condamnable si effectivement le Premier ministre a donné des directives à la police dans le cas Bissessur. Ce sera aussi le cas s’il est établi qu’il y a eu un complot dans l’affaire de la lettre « anonyme » de Ken Arian.