« La brutalité policière existe toujours dans le verbe ou dans le geste »
Me Erickson Mooneeapillay estime que la brutalité policière existe toujours que ce soit dans le verbe ou dans le geste. De la mort d’Iqbal Toofany, il dira que les membres de cette famille sont convaincus que justice sera faite dans cette affaire. Dans une interview, accordée au Sunday Times, il exprime ses points de vue sur le rapport de l’Audit, le Bar Council, le Police and Criminal Evidence Act, le judiciaire et la criminalité.
Sanjay BIJLOLL
Q : Le rapport de l’Audit a égratigné plusieurs institutions, parmi la force policière. Quelle est votre lecture de la situation ?
R : Il est malheureux de constater que l’on gaspille toujours l’argent des contribuables avec des ‘’tea parties’’, alors que nombre de familles vivent avec un salaire de Rs 5 000 mensuellement. Je me réjouis du projet de loi sur la bonne gouvernance et l’íntégrité. Il faut qu’ílfasse provision de sanctions pénales contre tout ‘policy holder’ qui permet ou ferme les yeux sur les gaspillages. Il faut identifier les gaspilleurs. C’est inadmissible de se servir d’un véhicule du gouvernement pour faire ses courses !Il faut mettre fin à la toute culture de terre brûlée et d’impunité.
Q : Votre profession a connu des remous ces derniers temps avec la saga du Bar Council. Qu’en pensez-vous ?
R : J’ai la chance de pratiquer un métier noble et d’appartenir à un ordre tout aussi noble. Notre linge sale il faut le laver en famille. Quoi que je sois tout à fait conscient que l’opinion publique s’y intéresse. Ma lecture personnelle, c’est que la démocratie existe dans notre profession et on doit accepter que c’est une profession avec des personnes de caractère et on n’y pratique pas l’omerta. On doit pouvoir tirer une leçon des récents événements et se concentrer sur les défis à relever.
Q : Que pensez-vous de la PACE ?
R : Le Police and Criminal Evidence Act sera une petite révolution pénale. Cette loi fut introduite en Angleterre en 1984 après que plusieurs erreurs judiciaires avaient été répertoriées. Je dois ouvrir une parenthèse pour dire qu’on parle d’erreurs judiciaires alors qu’elles découlent souvent de la façon dont les enquêtes policières sont menées. A cela il faut ajouter le fait qu’il n’y a pas assez de ‘testing’ et de ‘screening’ judiciaires vu le nombre de cas à être traités. La PACE remettra en question la façon de mener les enquêtes. Ce sera la mort subite (mais tant attendue) de la charge provisoire qui est un anachronisme dans notre système pénal. La police doit avoir un prima facie casebasé sur des doutes raisonnables avant de pouvoir arrêter une personne. Toutefois il faut mettre fin au principe judiciaire qu’une confession ‘is the best evidence’.
Q : Est-ce que le crime est en hausse à Maurice ?
R : Le crime a toujours existé, et Maurice n’est pas épargné en tant que paysdéveloppé d’Afrique. Même si des médias donnentune perception qu’il n’y a plus de crime à Maurice, cela n’excuse en rien le fait que le taux est élevé. Et ce taux de criminalité va empirer aussi longtemps qu’on n’en connaît pas l’origine et agir en conséquence. Les sources identifiables du crime sont souvent la misère, la promiscuité et le développement à deux vitesses.
Q : Où en est-on avec l’affaire Toofany ?
R : L’enquête judiciaire sur la mort d’Iqbal Toofany a déjà pris fin. On est maintenant en attente d’un ‘ruling’ du magistrat de la cour de Bambous. Cinq prévenus ont été arrêtés pour meurtre. L’affaire reste sub judice et donc il ne m’appartient pas de la commenter. La famille est convaincue que justice sera faite dans cette affaire.
Q : Les prévenus ont obtenu la liberté conditionnelle. Y a-t-il une justice à deux vitesses concernant la liberté conditionnelle à Maurice ?
R : Il y a certainement une perception que c’est le cas. Il y a des prévenus qui sont en détention provisoire pour une longue durée, alors que d’autres obtiennent la liberté provisoire le même jour. On a vu des motions être débattues pendant le week-end à la Bail and Remand Court. C’est une bonne chose…si cette pratique est appliquée dans toutes les affaires. Si on dit que ce n’est pas possible pour toutes les affaires, alors c’est un aveu que la justice est à deux vitesses.
Q : Qu’en est-il de la brutalité policière après l’affaire Toofany ?
R : Malheureusement la brutalité policière existe toujours que ce soit dans le verbe ou dans le geste. Mais je suis satisfait de constater qu’il y a moins d’impunité ! Il faut dire que c’est une minorité qui ne comprend toujours pas que son rôle se limite à emmener les prévenus devant une cour de justice et que ce n’est pas à eux de les juger. Les punitions extrajudiciaires bafouent notre sens de la démocratie.
Q : Revenons à votre profession. Vu le nombre d’avocats qui prêtent serment chaque année, les jeunes sont souvent critiqués pour leur manque de compétence. Qu’avezvous à dire à ce sujet ?
R : C’est vrai qu’il y a beaucoup de jeunes qui intègrent la profession. C’est un bon signe. Les jeunes avocats sont qualifiés, compétents et enthousiastes. Il suffit souvent de leur donner de l’assurance et l’opportunité de bien faire. La première règle de cette profession c’est l’intégrité. C’est un sacerdoce.
Q : Mais le judiciaire a aussi ses brebis galeuses, n’est-ce pas ?
R : Comme dans toutes les professions d’ailleurs… Pour cela, il faudra mettre plus de garde-fous. Il faut qu’il y ait plus de redevabilité à tous les niveaux.
Q : Et la politique…
R : J’observe de loin, je ne me jette dans la mêlée… je suis un observateur indépendant. Je trouve que les choses avancent…même si cela prend du temps.