Qui arrêtera Netanyahou ?

Les grandes puissances, les pays voisins d’Israël et des Israéliens eux-mêmes peuvent dompter la menace que représente le premier ministre de l’Etat hébreu vis-à-vis de la paix mondiale.

Les attaques menées par le Hamas contre les colonies israéliennes installées près de la frontière avec Gaza, le 7 octobre dernier, ont donné à Benyamin Netanyahou le prétexte pour avancer le projet du Grand Israël. Avec la bénédiction des Etats-Unis, qui ont immédiatement annoncé l’envoi d’armes, et de l’Union européenne, le premier ministre israélien s’est senti pousser des ailes pour déraciner les 2,4 millions de personnes qui vivent à Gaza. En Israël, il a rallié des membres de l’opposition politique autour d’un gouvernement d’unité nationale pour lancer l’offensive. Après un cessez-le-feu de 7 jours, obtenu non sans difficulté, la catastrophe se poursuit et elle choque le monde. Dès lors, des questions se posent : Où s’arrêtera le massacre ? Qui arrêtera le Premier ministre israélien et son délire ?

Soutenue par les bombardements aériens incessants et destructeurs, appuyée par les chars et les bulldozers, l’armée terrestre israélienne, l’une des plus redoutables au monde, avance inlassablement dans Gaza. En deux mois, les attaques ont déjà coûté la vie à 20 000 Palestiniens, femmes et enfants pour la plupart, blessé des milliers d’autres, et poussé toute une population à vivre comme des réfugiés sur leur propre territoire. Sans eau, sans électricité, sans médicaments, et sans carburant. Cette punition collective et le blocus imposé par l’Etat hébreu à Gaza a créé une situation chaotique, inhumaine et insoutenable. Selon des témoignages recueillis par quelques rares journalistes encore sur place, les Palestiniens ne savent pas s’ils seront encore en vie le jour d’après.

La catastrophe est telle que même les grandes puissances qui ont pris fait et cause pour Israël, notamment les Etats-Unis et les membres de l’Union européenne, se voient contraints, en tous cas moralement si ce n’est hypocritement, de montrer certaines réserves à propos de la stratégie israélienne. Dans un premier temps, ils ont exigé un scénario de sortie de crise du gouvernement israélien. En vain. Et pour pousser la provocation plus loin, le Premier ministre israélien vient de donner le feu vert à la construction d’une nouvelle colonie à Jérusalem-Est. Ce nouveau quartier choque non seulement par son étendue – 1 738 logements – mais aussi parce qu’une fois aménagé, il fera obstruction à la continuité d’un Etat palestinien entre le sud de la Cisjordanie et Jérusalem-Est, cette zone étant supposée devenir un jour la capitale d’une Palestine libre et indépendante.

Si Benyamin Netanyahou voulait provoquer ses propres alliés, ou s’il voulait les défier ouvertement, il ne s’y serait pas pris autrement. Ce sale jeu n’est pas passé inaperçu. Lors d’un sommet téléphonique la semaine passée, les dirigeants du G7, le club des six plus grands pays occidentaux et le Japon, ont demandé que la solution à la crise israélo-palestinienne passe par la création de la Palestine indépendante, devant vivre à côté et en bonne intelligence avec son voisin israélien. Une telle résolution n’est pas nouvelle – elle a été votée à maintes reprises aux Nations unies, mais est restée lettre morte – cependant, le G7 semble vouloir faire comprendre au premier ministre israélien qu’il n’a pas de totale carte blanche.

Alors que ce dernier n’a pipé mot sur la revendication palestinienne, plusieurs pays occidentaux, notamment le Canada, l’Espagne et dans une certaine mesure la France, ont tenu à faire comprendre que l’Etat hébreu doit respecter les principes de proportionnalité dans son offensive militaire à Gaza. Les Etats-Unis ont certes fait obstruction à l’ONU en mettant leur véto à une résolution appelant à un nouveau cessez-le-feu, le Sénat a quand même refusé de libérer une somme de 106 milliards de dollars destinés à l’aide militaire à Israël et aussi à l’Ukraine. Le président Joe Biden a parlé cette semaine de différend avec Benyamin Netanyahou. Le locataire de la Maison-Blanche ne peut pas ignorer les manifestations qui se multiplient dans les villes américaines contre les bombardements israéliens sur Gaza.

Benyamin Netanyahou n’en est pas moins défiant à l’égard de l’ONU et de ses organisations spécialisées (Organisation Mondiale de la Santé, URNWA, Unicef, Programme alimentaire mondial), mais aussi envers le Comité international de la Croix-Rouge (CICR), garant des Conventions de Genève qui portent sur des règles à respecter en cas de conflits armés. Dans une lettre inédite au Conseil de sécurité, et dans un format utilisé à cinq reprises depuis la création de l’ONU en 1945, son secrétaire général Antonio Gutteres a mis en garde contre l’effondrement total de l’ordre public à Gaza en raison de l’impossibilité d’acheminer de l’aide humanitaire. « Une telle éventualité pourrait avoir des conséquences irréversibles pour les Palestiniens dans leur ensemble, ainsi que pour la paix et la sécurité dans toute la région », a-t-il averti. « Une situation encore pire pourrait se produire, comprenant des épidémies et une pression accrue en faveur de déplacements massifs dans les pays voisins. »

Cette situation rappelle celle de la Syrie où la guerre, mais aussi la faim et les maladies, avait poussé plusieurs millions de personnes sur les routes de l’exil. Des réfugiés s’étaient alors rendus en Turquie, puis en Grèce et de là, dans le reste de l’Europe. L’éventualité qu’un tel scénario se répète devrait pousser les dirigeants européens à revoir leur position vis-à-vis de la politique de terre brûlée adoptée par Benyamin Netanyahou.

La riposte israélienne à l’ONU n’a pas tardé. Son ministre des Affaires étrangères s’est permis de qualifier Antonio Gutteres de ‘danger pour la paix mondiale’, et sa demande de ‘soutien au Hamas’. Il y a quelques semaines, l’Etat hébreu qui n’a vraiment peur de rien, est allé jusqu’à demander la démission du secrétaire général de l’ONU de son poste parce que ce dernier avait ouvertement accusé Israël de violation du droit humanitaire.

L’Egypte prend les risques d’explosion évoqués par l’ONU très au sérieux. Pays frontalier, c’est lui qui sera confronté en premier en cas d’afflux massif de réfugiés. Ce qu’il veut évidemment éviter à tout prix. L’arrivée d’un à deux millions de Palestiniens mettrait à mal son propre équilibre démographique, et constituerait un élément déstabilisateur régional. C’est la raison pour laquelle le président égyptien Al-Sissi a averti, fin octobre lors d’un point de presse à Berlin, que son pays déclarerait la guerre à Israël en cas d’arrivée massive ou forcée des Palestiniens dans son pays.  La mise en garde n’est pas de trop : le Premier ministre israélien semble vouloir vider Gaza de ses habitants dans le cadre de son projet de Grand Israël. Des milliers de Palestiniens sont déjà amassés à Rafah, ville frontalière entre les deux pays, prêts à chercher asile en Egypte.

Enfin, il n’y a pas que l’ONU, le G7 ou les pays voisins d’Israël-Palestine, qui estiment que Benyamin Netanyahou va trop loin et in fine représente un danger. L’opposition politique au régime actuel ne cesse de grandir, tient le Premier ministre responsable du chaos actuel et exige sa démission. Elle sait qu’en poursuivant l’agression contre la bande de Gaza, le Premier ministre joue sa propre survie politique. Ses affaires judiciaires pour corruption ont repris devant la justice.

Bref, les grandes puissances alliées d’Israël, l’Union européenne qui ne voudrait certainement pas d’un nouveau flux de réfugiés, le Proche et Moyen-Orient qui ne souhaitent pas de déstabilisation régionale et enfin, les Israéliens eux-mêmes, ceux qui préfèrent développer une relation de bon voisinage avec les Palestiniens – ils sont nombreux – ainsi que la justice israélienne, ont tous la possibilité d’arrêter la menace Benyamin Netanyahou.

Ram Etwareea