- « Toutes ces mesures qui sont en train d’être prises viennent renforcer la perception d’autocratie qui règne dans le pays. À travers la FCC, il veut avoir la main haute sur des enquêtes. Avec la LGA, il veut garder le contrôle des conseils de districts, dont celui de Flacq qui allait lui filer entre les doigts. À travers l’EBC, le gouvernement veut augmenter son influence dans une poignée de circonscriptions, plus ou moins urbaines, où il n’a pas d’assises. Avec l’augmentation du salaire minimum et la compensation salariale, il utilise les leviers du pouvoir pour générer un feel-good factor temporaire et éphémère qui disparaitra dans quelques jours »
Il ne fait pas dans la dentelle. Le Dr Farhad Aumeer, député travailliste au no. 2, passe en revue la situation dans le pays en cette fin d’année et dénonce la politique du gouvernement qui vise à instaurer, selon lui, une autocratie dans le pays.
Zahirah RADHA
Q : Quel constat faites-vous de la situation générale dans le pays en cette fin d’année, surtout après les récentes annonces concernant la hausse du salaire minimum et la compensation salariale à partir de janvier et le double des allocations CSG pour ce mois de décembre ?
Il y a en cette fin d’année une certaine frénésie, comme c’est toujours le cas en cette période de festivités. N’empêche que la vie dans le pays demeure très dure, malgré ces annonces concernant le réajustement du salaire et de la compensation salariale. Beaucoup de ménages ont des difficultés à joindre les deux bouts. L’inflation a atteint un niveau vertigineux. Le ‘law and order’ est chaotique, avec des attaques, des crimes, des vols, et des agressions contre des femmes qui augmentent de plus en plus.
Je suis aussi perturbé par le nombre incroyable d’accidents quotidiens, surtout impliquant les deux roues, sur nos routes. Il faut que des mesures concrètes soient prises pour renforcer la sécurité routière, tout en respectant les normes internationales. Malheureusement, il y en a qui conduisent sous l’effet d’alcool sans qu’ils ne soient inquiétés. Je me demande aussi s’il ne faut pas revoir le système d’octroi de permis, en donnant une période probatoire aux nouveaux chauffeurs avant que le permis final ne soit officialisé et qu’il puisse conduire sans aucune restriction.
Q : Malgré tous les problèmes que vous évoquez, le gouvernement semble avoir un autre agenda, surtout avec la ‘Financial Crimes Commission’, n’est-ce pas ?
C’est incroyable que le gouvernement vienne en troisième vitesse pour passer cette loi sur la ‘Financial Crimes Commission’ en cette fin d’année quand l’attention de la population est focalisée ailleurs. Il faut d’abord se demander pourquoi le gouvernement vient-il avec une telle loi. Mais ce qui est plus grave, c’est d’une part, la nomination et les pouvoirs du directeur général désigné, et de l’autre, les prérogatives du Directeur des Poursuites Publiques (DPP) qui lui seront enlevées pour les donner au directeur général de la FCC.
Il est clair, selon la ‘Bail Act’ et la ‘Courts Act’, que le directeur général de l’organisme aura des pouvoirs qui étaient jusqu’ici réservés au DPP ou au Commissaire de police (CP). Le DG, qui est un nominé politique, sera donc doté de super pouvoirs qui lui permettra de faire la pluie et le beau temps pour plaire à son patron. Pire, il mènera lui-même une enquête qu’il logera ensuite lui-même en Cour. Le motif de cette loi est clair pour moi.
Q : De quel motif s’agit-il ?
L’exécutif, dont le Premier ministre, a un gros problème avec l’actuel et l’ancien DPP, Satyajit Boolell. Nous savons tous combien de méchancetés ont été faites contre ce dernier pour l’arrêter dans l’affaire Sun Tan. Ce n’est pas tout. Maintenant le CP va à l’encontre du DPP dans des affaires en Cour. L’exécutif veut régler ses comptes avec le DPP, en s’assurant que ses pouvoirs soient diminués et usurpés afin de le réduire au second plan. Le DPP est gênant pour l’exécutif parce que plusieurs de ses décisions, que ce soit dans l’affaire Medpoint, Akil Bissessur, Bruneau Laurette et Sherry Singh pour ne citer que ceux-là, ne leur ont pas plu.
Q : Le DPP a aussi fait l’objet d’attaques au Parlement, dont par le Premier ministre lui-même. Cela vous choque-t-il ?
Évidemment ! D’ailleurs, pour revenir à ce que je disais, le Premier ministre, en répondant à la question plantée par la députée Tour au Parlement mardi, a explicitement comparé les actions prises par le DPP dans l’affaire Medpoint, dans lequel il était lui-même concerné et la STC contre Anil Baichoo et Navin Ramgoolam et l’affaire concernant l’accès d’Eshan Juman au port dans lequel le DPP a recommandé une « no further action ». Cette réaction démontre qu’il a en ligne de mire l’usurpation des pouvoirs du DPP, comme le préconise la section 172 de la FCC Act.
N’oubliez pas qu’il y avait eu une tentative similaire à travers la ‘Prosecution Commission’ en 2016. Mais cela n’avait pas abouti grâce à Xavier Duval et au PMSD qui ont fait preuve de grandeur d’âme. Aujourd’hui, c’est à travers le ‘back door’, et d’une façon déguisée, que les pouvoirs du DPP seront donnés à un super nominé politique qui a, en passant, montré ses couleurs en faisant volte-face dans l’affaire Medpoint devant le Privy Council
Q : Au-delà de l’aspect règlement de comptes contre le DPP, certains estiment qu’il y a aussi un motif politique derrière la création de la FCC et des pouvoirs qui seront accordés à son DG. Cela vous fait-il craindre le pire ?
Écoutez, le Premier ministre tenait un casefile entre les mains durant sa réponse sur l’accès du député Eshan Juman au port. D’où cela sort ? Je ne sais pas. Il devra tôt ou tard venir s’expliquer. Mais posons-nous la question. Qui nommera le DG ? Le Premier ministre. Qui nommera l’‘Operations Review Committee’ ? Le PM. Qui nommera le ‘Parliamentary Committee’ ? Toujours le PM. Tous les pouvoirs seront concentrés entre les mains d’un nominé politique, dont le master n’est autre que le Premier ministre. Sans que ces pouvoirs ne soient encore accordés à ce nominé, le Premier ministre peut déjà se targuer d’avoir full knowledge du contenu d’une enquête policière dont il a même le casefile en sa possession, maintenant que se passera-t-il avec la FCC qui sera dirigé par quelqu’un qu’il nommera ?
Q : Un ‘Parliamentary Committee’ sera constitué dans le sillage de la FCC. Ce ‘Parliamentary Committee’ existait déjà sous l’ICAC et vous en faisiez partie avant que vous n’en démissionniez, ensemble avec d’autres députés de l’opposition qui y siégeaient. Pensez-vous que ce comité sera une autre perte de temps ?
Nous avions démissionné de ce comité justement parce qu’il ne valait pas la peine d’y être. Il n’était d’aucune utilité puisqu’on n’obtenait aucune réponse. Ce comité sera composé de neuf personnes. Cinq nommés par le Premier ministre et les quatre autres par le leader de l’Opposition. Maintenant, pour suspendre le DG, comme le veut un des objectifs de ce ‘Parliamentary Committee’, il faut qu’il y ait eu soit ‘gross negligence’, ‘malpractice’ ou ‘mistrust’. D’ores et déjà, c’est peine perdue puisque c’est celui qui l’a nommé qui pourra le destituer, avec le soutien des cinq membres du gouvernement qui constitueront la majorité de ce comité.
De toute les façons, même si des questions sur la gestion de l’administration ou des dépenses générales peuvent être posées, les réponses, elles, ne viendront pas. It defeats the purpose. Il fallait un élargissement des pouvoirs du comité pour qu’il y ait plus de transparence. Malheureusement, tel qu’il est, il ne sera pas plus qu’un rubber stamp, comme cela avait été le cas sous l’ICAC.
Q : Avec la FCC, les récents amendements à la ‘Local Government Act’ (LGA), et la mise en application du rapport de l’‘Electoral Boundaries Commission’ (EBC) entre autres, pensez-vous qu’il y a une machinerie gouvernementale qui est en train de se mettre en place en vue d’influencer les prochaines élections ?
Toutes ces mesures qui sont en train d’être prises viennent renforcer la perception d’autocratie qui règne dans le pays. À travers la FCC, il veut avoir la main haute sur des enquêtes. Avec la LGA, il veut garder le contrôle des conseils de districts, dont celui de Flacq qui allait lui filer entre les doigts. À travers l’EBC, le gouvernement veut augmenter son influence dans une poignée de circonscriptions, plus ou moins urbaines, où il n’a pas d’assises. Avec l’augmentation du salaire minimum et la compensation salariale, il utilise les leviers du pouvoir pour générer un feel-good factor temporaire et éphémère qui disparaitra dans quelques jours. Pas avec Rs 1000, Rs 2000 ki pou kapave fer l’avenir. Il faut au contraire des mesures pour rehausser le pouvoir d’achat, stabiliser la valeur de la roupie, contrôler l’inflation, baisser la dette extérieure et surtout, il ne faudrait arrêter d’imprimer de l’argent.
Q : Et l’Opposition dans tout cela, comment s’organise-t-elle pour y faire face ?
Nous restons mobilisés et nous continuerons à ouvrir les yeux des Mauriciens sur tout ce qui se passe. La fraude et la corruption sont monnaie courante. La liste des scandales est longue : Pack & Blister, Molnupiravir, affaire Franklin, l’octroi d’un bail à Grand-Bassin, allocation de contrats aux petits copains… Les Mauriciens vivent dans la peut et craignent de s’afficher et prendre position ouvertement contre le gouvernement. Certains se sentent même obligés d’aller aux meetings du MSM. Au no. 3, par exemple, j’ai vu quelques personnes proches du PTr qui étaient à un rassemblement du MSM.
Q : Ils ont changé de couleur ?
Oui, mais la plupart d’entre eux me disent que c’est uniquement pour tromper l’œil du gouvernement, pour qu’ils ne soient pas pénalisés, marginalisés. Zot dire to koné toi, zour élection ki pou ena… Je pense que c’est cette masse qui ne veut pas laisser découvrir son intention réelle qui fera les élections.
Q : Cela ne montre-t-il pas plutôt que le gouvernement a le pouvoir et les capacités d’attirer dans ses rangs des sympathisants du PTr ?
Certainement ! En sus du pouvoir, ils ont aussi les moyens, que ce soit en termes d’argent ou de facilité à recruter. Et c’est sans compter la peur qu’ils instillent parmi ceux qui sont contre eux. Mais cela ne marchera pas aux élections, croyez-moi. La population en a marre des scandales. Je reçois des messages de la part des fonctionnaires de la Santé tous les jours. C’est la conséquence de la frustration qui s’accumule en raison du népotisme et de la mauvaise gouvernance dans ce secteur, mais aussi tous les autres. Zordi si ou pas are zot, ou pa gagne travail. Si vous habitez dans certaines circonscriptions à priori pro-l’opposition, il n’y a point de développement, les rues ne sont pas asphaltées, les habitants sont marginalisés.
Q : La tâche de l’opposition sera donc rude ?
Elle le sera surtout après les élections, pour redresser le pays. L’opposition vient avec une politique de rupture. Elle promet un changement dans la façon de gouverner, de nommer des gens, de recruter. Elle reverra les lois liberticides. Elle mettra en place un système de nomination qui promouvra les compétences à la place de la politique de copinage. Les recrutements doivent se faire sur une base méritoire, et non pas sur base de faux certificats, comme on en a vu ces derniers temps. Sur une liste de médecins recrutés récemment par exemple, j’ai vu des noms de famille que j’entends au Parlement alors qu’il y a des médecins qui attendent depuis quatre ou cinq ans pour avoir un emploi dans le service civil. La ‘Public Service Commission’ (PSC) doit être plus transparente. Kan dimoune compose l’examen, zot bizin kone zot points.
Q : En termes de consolidation de démocratie, comme au Parlement, que préconisez-vous ?
Ou fer mo latet fermal kan ou koz Parlement ! Le Parlement n’est pas du tout ce Temple de démocratie que j’avais en tête quand j’avais été élu. J’étais enthousiaste quand j’avais eu un ticket pour les élections. Je me souviens avoir dit à Navin Ramgoolam qu’en cas de victoire du PTr, je ne serais pas intéressé par un fauteuil ministériel ou par un poste de PPS car tout ce que je voulais, c’était d’apprendre et de servir mon électorat. Mais lorsque je regarde le comportement de quelqu’un en particulier aujourd’hui, je pense qu’il devrait démissionner du poste qu’il occupe pour poser sa candidature pour le MSM avant de venir participer aux débats.
Si personne pa lé démissionné dan to parti, moi mo disposé démissionner au no. 2. Vine pose contre moi. Lerla si to gagné, to met to palto oranz, simin oranz et cravate oranz, to rentre dans Parlement. Le Speaker ne peut pas agir comme un agent alors que son rôle est de protéger l’opposition. Li maltraite nou comme si li pe maltraite so piti. Il se comporte comme un tapère, prêt à nous frapper, semble-t-il. J’en ai marre. Je vais maintenant au Parlement avec un certain dégoût.
Q : Vous risquez d’encourir les frais de vos propos à la prochaine séance parlementaire !
Je suis sûr qu’il y aura un martin qui viendra avec une motion pour me sanctionner ! Prend actions contre moi ! Envoye-moi DPP ! Name moi ! Mais cela ne m’empêchera pas de parler. On n’encourage pas des jeunes et des professionnels à faire de la politique si c’est pour avoir ce genre de traitement. Je suis d’accord qu’il y a des dérapages même du côté de l’opposition, mais qu’en est-il du ‘shouting brigade’ de la majorité ? Sont-ils tous des saints ? Je suis sorti du Parlement pour aller à la mosquée mardi et tout le monde me demandait si « ine met toi dehors ? » Zot dire moi fer attention, pa fer tapaz, sinon pou met toi dehors.
Q : Êtes-vous désenchanté à ce point ?
Oui, je suis dégoûté par la façon dont les choses se déroulent. Il y a une opération de ‘belittling’. Le Speaker ne voit jamais le ‘shouting brigade’ du gouvernement qui dit toutes sortes de mots déplaisants, alors qu’un seul mot échappé de l’opposition est amplifié, jusqu’à déboucher sur une bagarre et terminer par des suspensions. Tous ceux dans l’opposition sont des illettrés qui manquent de manières tandis que de l’autre côté, il n’y a que des saints. Je ne compte plus le nombre de fois qu’on nous montre carrément du doigt alors que cela relève d’un manque de culture et de bonnes manières. Il ne faut pas que des agents politiques soient nommés à des postes constitutionnels.
Q : Comment les choses se déroulent-elles sur le terrain pour l’alliance PTr-MMM-PMSD ?
Depuis que cette alliance a été concrétisée, il y a un engouement au sein de l’électorat pour apporter un changement à la tête du pays. Je le peux dire puisqu’en tant que professionnel de santé, je reçois des personnes, venant de chaque coin de l’île, tous les jours. Avant la concrétisation de l’alliance, c’était quelque peu différent. Mais maintenant, le mythe de 4 à 14 vole petit à petit en éclats.
Q : Il y a quand même une campagne communale qui est savamment menée. Ne la craignez-vous pas ?
Je pense que ce mythe volera suffisamment en éclats pour qu’on puisse rentrer au gouvernement. Certes, il faut faire attention à la campagne communale menée par le gouvernement. Je suis personnellement victime d’une campagne communale agressive. Mais malheureusement pour mes détracteurs, je suis un professionnel et cela ne me touche pas. Mais combien de ces campagnes communales y en a-t-il ? C’est de la bassesse.
Outre la campagne communale, le gouvernement vient avec une loi ad hominem, comme le dit si bien Rajen Narsinghen, pour viser Navin Ramgoolam. D’ailleurs, les Rs 200 millions saisis chez lui ont été soulevés par le gouvernement lors des débats au Parlement, mardi. N’oubliez pas le ‘colorable device’ dont avait recours SAJ pour l’évincer du Parlement. Navin Ramgoolam est, à ce jour, le seul challenger principal de Pravind Jugnauth. Raison pour laquelle il est ainsi ciblé.
Le ‘political clock’ du gouvernement actuel est bloqué en 2014. Alors que l’alliance PTr-MMM-PMSD regarde, elle, l’avenir. L’avenir de nos enfants est hypothéqué. Il y a une dette de Rs 485 000 sur la tête de chaque enfant qui est né. La caisse de la CSG est vide. C’est ce que j’appelle un ponzi scheme. La drogue fait des ravages partout. Des saisies sont effectuées tous les jours, mais les trafiquants, eux, ne sont pas arrêtés. Maurice est devenu le petit Cuba de l’océan indien. Sans compter le taux d’échec dans le secteur éducatif.
Q : Que souhaitez-vous le plus en cette fin d’année ?
J’espère que l’échéance électorale arrive le plus tôt possible. Le pays a besoin d’un nouveau souffle et d’une nouvelle direction. Je prie pour que la loi sur la FCC ne fasse pas de dégât et qu’une fois au pouvoir, on peut revoir des aspects de cette loi qui portent atteinte à la Constitution, et aux droits constitutionnels du DPP.