Attaques contre une magistrate
La polémique continue d’enfler en ce qui concerne les propos du Premier ministre, Pravind Jugnauth, sur la magistrate Jade Ngan Chai King. Me Ritish Ramful, avocat, soutient d’emblée que nous sommes dans un état démocratique, et qu’on a le droit de critiquer un jugement d’un magistrat ou d’un juge. Toutefois, il insiste sur l’importance de critiquer le jugement lui-même, et non sur la personne de celui ou celle qui a écrit le jugement.« Toute critique d’un jugement doit rester courtoise. Le Premier ministre doit fournir un argument raisonné expliquant pourquoi, de son point de vue, le jugement est ‘flawed’. Il doit expliquer ce qui ne tient pas la route dans ce jugement. Mais qualifier une magistrate d’incompétente qui ne comprend pas la loi et qui a écrit un jugement bancal n’est absolument pas correct. À ce moment, il n’est plus en train de critiquer le jugement, mais la magistrate elle-même », déplore-t-il.
Me Ramful rejoint aussi les propos de son confrère, Me Antoine Domingue, Senior Counsel, à l’effet qui s’agit la « d’insultes », et non de critiques raisonnées. Ce qui fait qu’a priori, il y aurait eu ‘Contempt of Court’ (outrage à la cour). Or, selon la loi, l’outrage à la cour est un délit. La section 156 du Code pénal stipule que : « L’outrage fait publiquement, d’une manière quelconque, dans l’exercice de leurs fonctions, ou à raison de leurs fonctions, soit à un ou plusieurs membres du Cabinet ou de l’Assemblée Nationale, soit à un Tribunal ou à une Cour de Justice, ou à un ou plusieurs Magistrats, soit à un fonctionnaire public, soit à un ministre d’une religion reconnue à Maurice sera puni d’emprisonnement, et d’une amende qui n’excèdera pas 100 000 roupies. » Ainsi, a priori, la magistrate Jade Ngan Chai King peut porter plainte.
Sur le plan constitutionnel, Ritish Ramful souligne que le principe de séparation des pouvoirs entre le législatif, l’exécutif et le judicaire est bien démarqué dans notre Constitution et constitue un des piliers de notre démocratie. « Un Premier ministre doit considérer ses propos pour ne pas faire une entorse à ce principe fondamental. Pravind Jugnauth, qui est le chef de l’exécutif, empiète sur ce principe avec ses propos, et entrave ainsi le judiciaire à exercer son rôle comme il faut, selon la Constitution. Le Premier ministre piétine ainsi la Constitution elle-même », dénonce-t-il.
« La population jugera à quel genre de Premier ministre nous avons affaire. Il est totalement inacceptable qu’un chef de gouvernement puisse insulter un membre du judicaire de cette façon. Il doit au contraire donner l’exemple. Si un Premier ministre commet un outrage à la cour, il n’est pas digne de rester à son poste, sur une base éthique, » conclut-il.