Une histoire de connexions, d’argent et de pouvoir

Entre le MSM et la drogue

Le radar de Pravind Jugnauth semble être en panne. Raison pour laquelle il tente désespérément d’associer la soi-disant mafia de la drogue à l’opposition alors que toutes les connexions pointent vers Lakwizinn du MSM. Pas uniquement sous ses mandats comme Premier ministre, mais aussi sous le règne de son défunt père depuis les années 80. Petit rappel des faits, histoire de lui rafraichir la mémoire…

Amsterdam Boys

Le grand démasquage

Décembre 1985 – Quatre députés du gouvernement d’Anerood Jugnauth, nommément Serge Thomas, Ismaël Nawoor, Dev Kim Currun et Satyanand Pelladoah, sont arrêtés à l’aéroport Schiphol, à Amsterdam, aux Pays-Bas, alors qu’ils voyageaient sous le couvert diplomatique. 20 kilos d’héroïne, valant Rs 36 millions à cette époque, ayant été retrouvé dans les valises de Pelladoah, ils sont tous arrêtés. Au départ, le gouvernement de SAJ tente d’étouffer l’affaire, mais une affaire de cette envergure, avec des répercussions diplomatiques, ne pouvait évidemment pas être gardée sous couvert pendant longtemps.

C’est ainsi que le 31 décembre 1985, SAJ est contraint d’annoncer publiquement ces arrestations, exposant ainsi les liens du gouvernement MSM avec les trafiquants de drogue, au point où Harish Boodhoo, alors Chief Whip, décide de prendre ses distances du gouvernement de SAJ. Ce dernier s’embarque alors dans une série de révélations fracassantes, accusant l’Hôtel du gouvernement d’entretenir des liens étroits avec les frères Buxoo, principaux barons de la drogue à l’époque. Leur présence à une ‘garden party’ au château de Réduit est ainsi étalée en public. Des « tente bazar » remplis d’argent sont même évoquées. Ce qui aurait permis la construction du Sun Trust, alors qualifié de « bâtiment de la honte » par Paul Bérenger.

Malgré le refus du gouvernement MSM de collaborer avec les autorités hollandaises, Satyanand Pelladoah est jugé et condamné à six d’emprisonnement pour l’introduction « involontaire » d’héroïne en Hollande. Il est aussi établi qu’il avait effectué plusieurs voyages en Inde où il était de mèche avec un trafiquant indien, un dénommé Miranda. À souligner que Pelladoah avait d’ailleurs demandé et obtenu un passeport diplomatique auprès du PMO en un seul jour.

En avril 1989, toujours sous le règne du MSM, le Haut-commissaire de Maurice à Londres, Soo Soobiah, est arrêté à son domicile à Surrey, en Angleterre, dans le sillage d’une enquête sur le blanchiment d’argent provenant du trafic de drogue. Outre d’être le père de Nigel Soobiah, également accusé de trafic de drogue par les autorités britanniques, il s’avère aussi que Soo Soobiah était le principal contact des quatre députés arrêtés à Amsterdam.

Commission Rault

Les « politiciens passeurs » révélés

Mars 1987 – Le rapport de la commission d’enquête sur la drogue, instituée après l’arrestation des quatre députés à Amsterdam et présidée par Sir Maurice Rault et ses assesseurs Laure Pillay et Prem Bissessur, est rendu public. Ce rapport s’était basé, entre autres, sur les témoignages de Raffick Peerboccus. Ce dernier avait effectué plusieurs voyages en Inde pour se procurer de la drogue qu’il ramenait ensuite au pays. Ses témoignages ont permis à la commission Rault de lever le voile sur au moins 14 barons de drogue, six « politiciens passeurs » ainsi que des hauts officiers de la force policière.

« Mo vini avec 20kg héroïne. Mo passe airport, éna bane VIPs, bane parlementaires ki prend la drogue la ek moi. Li ti facile », s’était d’ailleurs confié Raffick Peerbaccus dans un entretien exclusif accordé à Sunday Times le 18 septembre 2016. Des six politiciens mis en cause dans le rapport Rault, trois avaient été arrêtés à Amsterdam en 1985. Il s’agit de Satyanand Pelladoah, Serge Thomas et Ismaël Nawoor. Les trois autres politiciens liés au trafic de drogue, selon le rapport, étaient Amba Chinien, Suren Poonith et Lutchmeeparsad Ramsawok.

Geanchand Dewdanee

Accusé d’opérer le réseau de drogue à Maurice par Peroumal Veeren

Mars 2017 – Le gouvernement jubile après la saisie record, au port, de 135 kilos d’héroïne, valant plus de Rs 2 milliards, dissimulés dans six cylindres en provenance de l’Afrique du sud. Mais cette jubilation sera de courte durée. Geanchand Dewdanee, connu comme un « zenfan lakaz » au sein du MSM, est arrêté pour trafic de drogue dans cette même affaire. Celui-ci était un habitué non seulement du Sun Trust, mais aussi de l’Hôtel du gouvernement, et a d’ailleurs déjà été vu sur des photos en compagnie du Premier ministre. Les langues se délient alors, et ses connexions avec le pouvoir sont passées au crible. Interrogé lors d’une fonction à Saint-Pierre le 16 mars 2017, Pravind Jugnauth concède le connaître, en avouant même que « li ti vine félicite moi Sun Trust » (ndlr : après sa victoire dans l’affaire Medpoint). L’affaire contre Geanchand Dewdanee, qui avait également été accusé par le caïd Peroumal Veeren d’opérer le réseau de drogue à Maurice, a finalement été rayée en septembre 2020, par faute de preuves.

Peroomal Veeren :

« Pravind Jugnauth finance l’importation de la drogue »

Août 2017 – Entendu par la commission d’enquête sur la drogue, le baron Peroumal Veeren fait des révélations fracassantes. D’abord, il accuse le « zenfan lakaz » Geanchand Dewdanee d’être l’un des cerveaux du trafic de drogue à Maurice. Ensuite, il confie avoir financé la campagne électorale de Pravind Jugnauth, contre la promesse que son cas, pour lequel il purgeait une peine, sera rouvert. Et plus choquant encore, il accusera nul autre que le Premier ministre lui-même d’être derrière le trafic de drogue. « Pravind Jugnauth finance l’importation de la drogue », dit-il. Réagissant à son tour, le Premier ministre fera savoir à la commission d’enquête sur la drogue qu’il souhaite y déposer. Sauf qu’il ne le fera jamais…

Commission Lam Shang Leen

Des membres du MSM pointés du doigt

Juillet 2018 – La commission d’enquête sur la drogue, instituée par le gouvernement Jugnauth, rend public son rapport. Coup de théâtre : contre toute attente, ce sont des proches du pouvoir, dont des avocats et des membres du gouvernement MSM, qui sont pointés du doigt par le Commissaire Paul Lam Shang Leen et ses deux assesseurs. Conséquence : branle-bas à l’Hôtel du gouvernement où au moins deux membres, et pas des moindres, sont résignés à soumettre leur démission. C’est un dénouement auquel le Premier ministre ne s’attendait surement pas. Presque cinq ans plus tard, la situation concernant la drogue s’est nettement détériorée, comme l’avoue Sam Lauthan, un des assesseurs de la commission Lam Shang Leen. Des recommandations phares du rapport Lam Shang Leen n’ont toujours pas été appliquées, comme le démantèlement de l’ADSU. Au contraire, une autre unité, la ‘Special Striking Team’ (SST) a été mise sur pied. La mission principale de celle-ci semble être le « drug planting »…

Tractopelle

Passée littéralement sous le nez du PM

Juillet 2019 – 95 kilos de cocaïne, valant Rs 1, 6 milliard et considéré comme la plus importante saisie de cette drogue sur notre territoire, sont saisis à bord d’un tractopelle. Ce véhicule, importé par la compagnie Scomat, était arrivé à Maurice à bord du navire Hoegh Antwerp, soit celui-là même qui transportait Mauricio, le premier tramway du Metro Express. D’ailleurs, ces 95 kilos de cocaïne sont entrés au pays au nez et à la barbe des autorités, dont le Premier ministre, Pravind Jugnauth, et d’autres VVIP présents au port pour accueillir Mauricio. Était-ce le fruit du hasard ? En tout cas, cette belle cargaison de drogue a bel et bien franchi la douane, malgré toute la prétendue sécurité au port. Valeur du jour, l’enquête ne semble pas avoir tellement avancé.

Franklin

Connexions intimes avec le pouvoir

Février 2023 – Jean-Hubert Celerine, alias Franklin, est arrêté. Après les premières saisies des Raptors et des bateaux, la mise sous scellés des ranchs et des bungalows de luxe et les allégations de proximité avec certains membres du régime gouvernemental, on a eu droit à une autre révélation, encore plus fracassante pour le gouvernement : des allégations de pots-de-vin, négociés lors d’une soirée alléguée de ‘rave party’ – non pardon, de ‘stag party’ – dans un ranch alloué à l’un des prête-noms de Franklin et où étaient présents, entre autres, un ministre, un PPS et un nominé politique du gouvernement MSM, plus particulièrement Maneesh Gobin, Rajanah Dhaliah et l’ex-chairman du SIT, Rajesh Ramnarain.

Ce dernier, qui faisait la liaison entre les différentes parties, a été arrêté par la police sous une charge provisoire de « trafic d’influence ». Ce dernier a déjà retrouvé la liberté provisoire cette semaine, pendant que l’Attorney General et ministre de l’Agro-industrie, avec la bénédiction du chef du Conseil des ministres, s’agrippe, lui, toujours à son fauteuil ministériel, bien que dans certains milieux, on estime qu’il y a bien plus que des simples allégations contre lui. Autre fait notable : jusqu’ici, aucune enquête pour trafic de drogue n’a été ouverte contre Franklin. Pourquoi ? Le peuple tirera ses propres conclusions.

Vishal Shibchurn

Dossier volatilisé

Novembre 2022 – Membre du groupe socio-culturel « Hindu Shakti Senna » et connu comme un récidiviste notoire, Vishal Shibchurn est arrêté pour trafic de drogue, après que des armes et du haschich aient été retrouvés en sa possession. Il retrouvera la liberté conditionnelle en février de cette année-ci, tout comme son fils Mayur, qui avait également été arrêté pour les mêmes délits. Sauf qu’on a appris, cette semaine, que le dossier de Vishal Shibchurn s’est tout simplement volatilisé au poste de police de Rose-Belle. Inexplicable, n’est-ce pas ? Ou peut-être que cette disparation n’est pas si innocente que cela… Vishal Shibchurn est connu pour sa proximité avec le gouvernement MSM. Il se trouvait d’ailleurs aux abords de la cour intermédiaire de Port-Louis lors de la comparution de l’ancien ministre Yogida Sawmynaden en janvier 2021. Il avait même fait l’objet d’une « precautionary measure » après qu’il eût menacé une journaliste qui filmait la scène devant la cour.