Alan Ganoo: « Le barreau est tombé en disgrâce » 

Le Mouvement Patriotique célèbre aujourd’hui les 35 ans d’engagement politique d’un de ses fondateurs, en l’occurrence Alan Ganoo. Ce militant de longue date a claqué la porte du MMM en 2015 après qu’il ait été « victime d’injustices ». Cet ancien Speaker et leader de l’Opposition et actuel député de Savanne/ Rivière-Noire (no 14) revient sur sa démission du MMM, mais aussi sur d’autres questions d’actualités…

Zahirah RADHA

 

Q : Le Mouvement Patriotique, que vous avez cofondé, célèbre aujourd’hui les 35 ans de votre vie politique, dont la majeure partie vous avez passé au MMM. Avez-vous des regrets d’avoir abandonné ce parti, Alan Ganoo ?

R : La décision de la séparation avec le MMM était, à l’époque, une décision difficile à prendre, surtout après tout le temps que j’ai passé au sein de ce parti. Je n’ai pas envie de retourner sur cet événement qui a été douloureux pour moi. Mais je n’avais pas d’autre choix et je pense avoir pris la bonne décision. Elle était motivée par certains événements et avait été prise après mûre réflexion. Je ne l’avais pas quitté, comme certains le font, uniquement parce que le parti se trouvait dans l’opposition ou parce qu’ils n’ont pas eu tel ou tel poste. Au contraire, j’étais le président du Public Accounts Commitee (PAC) et j’étais aussi sur le front bench du MMM. J’avais quitté le parti par principe et parce qu’il y avait certaines injustices qui avaient été commises à mon égard. Ma conscience est aujourd’hui très claire. Je n’ai trahi personne.

Q : Si vous deviez retourner au MMM, le feriez-vous?

R : Depuis que j’ai quitté le MMM, j’ai cofondé le Mouvement Patriotique avec un groupe de démissionnaires de ce parti. Avec recul, je pense que j’aurais dû prêter plus d’attention à ceux avec qui j’allais cofonder ce parti. Il y en a deux qui ont quitté le MP pour rejoindre le gouvernement. Ils ont ‘crossed the floor’ pour leurs intérêts personnels. J’ai peut-être eu tort de fonder ce parti avec eux. Mis à part cette mini-crise, le MP a progressé sur l’échiquier national. C’est un parti que tout le monde connaît et qui est ‘alive and kicking’ malgré son jeune âge (ndlr : 2 ans). Pour revenir à votre question, le MP étant un parti collégial, je ne pourrai, seul, prendre une telle décision car toute décision concernant l’avenir du MP sera prise après consultation avec les autres membres.

Q : Le MP est quelque peu en retrait au sein de l’opposition. Seriez-vous plus proche du gouvernement actuel, soit le MSM ou le ML, dont un des fondateurs, Ivan Collendavelloo, a été un militant de longue date, tout comme vous ?

R : Pas du tout ! Il y a beaucoup de partis dans l’opposition. Numériquement, les autres sont plus forts que nous puisque nous ne sommes qu’à deux députés du MP. Nous participons néanmoins à tous les débats parlementaires. Nous avons dénoncé le budget sans pratiquer une langue de bois. Nous attaquons là où il le faut. Toutefois, faute de temps, nous ne pouvons intervenir sur certains sujets. Prenons le cas de la PNQ par exemple. Nous n’avons pas le temps de poser des questions durant cette tranche. D’abord parce que c’est la prérogative du leader de l’Opposition, Xavier Duval, quoiqu’il y ait certains leaders de l’Opposition qui laissent du temps aux autres pour poser des questions. Je parle en connaissance de cause puisque j’ai moi-même été leader de l’Opposition. Mais à chacun son style…

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Q : … c’est un reproche que vous faites à Xavier Duval ?

R : Non, non ! Ce n’est pas ce que je voulais dire. Je pense qu’il maîtrise tellement bien ses dossiers qu’il estime que ces trente minutes ne lui sont pas suffisantes. Je vous dis simplement que c’est une des raisons pourquoi nous ne pouvons contribuer à certains débats. Le MP n’est nullement en retrait. J’ai récemment proposé l’utilisation de la langue Créole au Parlement, mais la Speaker m’a arrêté parce que les ‘standing orders’ ne le permettaient pas. J’ai aussi évoqué, à travers une motion privée vendredi dernier, une loi sur la limitation des mandats, le rapatriement et la mauricianisation de notre Constitution ; une loi qui prendrait aussi en considération l’anti-transfuge et une ‘fair representation’ des femmes au Parlement, entre autres. J’avais également demandé à Ivan Collendavelloo de baisser le tarif de l’électricité. 70 000 familles en ont bénéficié. C’est le MP qui avait réclamé, en premier, la démission de la Présidente de la République, de Raouf Gulbul, de la PPS Jadoo-Jaunboccus et du Deputy Speaker Sanjeev Teeluckdharry.

Q : Cela vous étonne-t-il que ces derniers demeurent toujours en poste, même après que de graves allégations ont été faites contre eux…

R : J’apprécie la mise sur pied de cette commission d’enquête. Nous sommes aujourd’hui en présence d’informations choquantes sur le lien suspect de certains avocats avec des caïds de la drogue. On n’aurait jamais cru que des avocats seraient ainsi trempés dans ce genre de magouilles. C’est triste pour le pays, mais aussi pour le barreau qui passe par des moments les plus sombres de son histoire. Le barreau est tombé en disgrâce devant la population.

La question qu’on se pose: le gouvernement aura-t-il une réelle volonté politique pour appliquer les recommandations de l’ancien juge Lam Shang Leen? C’est maintenant à Pravind Jugnauth de démontrer qu’il ‘walk the talk’. Pourquoi n’a-t-il pas encore demandé à ces avocats du MSM de ‘step down’ ? Dans leurs propres intérêts, ces derniers auraient dû déjà l’avoir fait. C’est vrai qu’il y a la présomption d’innocence. Mais dans le présent cas, ces personnes tiennent d’importantes responsabilités dans l’administration de l’État. Dans un souci de bonne gouvernance, ils auraient dû ‘step down’, ne serait-ce que temporairement, jusqu’à ce qu’ils soient lavés de tout blâme.

Q : Comment évaluez-vous la performance du gouvernement alors qu’il est à mi-mandat?

R : Je crois qu’il n’y a jamais eu, dans l’histoire de notre pays, un gouvernement qui a dilapidé le capital de sympathie que le peuple lui a donné aux élections aussi vite que cela. Après la période de lune de miel, le peuple s’attendait à ce que le gouvernement honore ses engagements envers lui. Mais ce n’est pas ce qui s’est passé. Il y a eu, au contraire, une instabilité politique et une trahison du programme gouvernemental. Il n’y a eu point de relance économique et la population s’est appauvrie davantage. La corruption et le népotisme ont pris des proportions alarmantes.  Le gouvernement a échoué sur tous ces plans. Beaucoup de gens avaient l’espoir que les choses s’arrangeraient quand Pravind Jugnauth avait pris la barre, mais les choses se sont empirées. Depuis qu’il est Premier ministre, il n’y a pas eu une seule semaine où il n’y a pas eu de scandales. À mon avis, il est très difficile pour que le gouvernement remonte la pente. Les prochaines élections se joueront sur la moralité politique. Il ne faut pas être sorcier pour savoir que le gouvernement échouera à ce test et que c’est un nouveau régime qui prendra le pouvoir après ces élections.

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Q : Quel sentiment vous anime-t-il quand vous entendez un vice-Premier ministre proférer des menaces contre le leader de l’Opposition ?

R : Showkutally Soodhun est un de mes amis de longue date. On a débuté notre carrière politique presqu’au même moment. De temps en temps, il dit des choses qu’on passe sous silence ou qu’on ne prend pas vraiment en considération. Mais ce qu’il a dit mardi dernier est extrêmement grave. Le tissu social à Maurice étant très sensible, il aurait pu provoquer des perturbations sociales dans le pays. Cet écart de langage est inexcusable, voire condamnable. Je conseillerai à Showkutally Soodhun de présenter des excuses publiques à Xavier Duval et à la nation entière. Un vice-Premier ministre qui tient ce genre de langage ne peut que déstabiliser la nation. Certes, une enquête sera ouverte avec la déposition de Xavier Duval, mais tout cela ne fait que ternir l’image du pays au niveau international. C’est une autre bourde que Soodhun a commise et qui embarrasse tout le pays.

Q : Changeons de registre. Le MP souhaitait que les partis de l’opposition présentent un candidat commun à l’élection partielle au no 18. Croyez-vous que c’est toujours possible, les principaux partis ayant déjà présenté leurs candidats respectifs ?

R : Cette élection aurait dû être une occasion pour que la population donne une correction au gouvernement. Ene coup de rotin bazar ! Et ce pour toutes les raisons que j’ai évoquées plus tôt.  Depuis le début, le gouvernement a été rongé par une instabilité chronique. Raison pour laquelle nous avons fait un appel aux partis de l’opposition, ‘right from the start’, pour qu’ils présentent un candidat commun. Malheureusement, notre appel n’a pas été écouté. Le PTr, le MMM et le PMSD ont déjà présenté leurs candidats respectifs. Il paraît donc que les votes seront divisés entre les partis de l’opposition. Ce qui devait être un référendum contre le gouvernement est en passe de devenir une compétition entre les partis de l’opposition. C’est triste. Cependant, il y a encore huit mois, soit 240 jours, avant cette élection. Le ‘writ of election’ n’a pas encore été émis. Je fais confiance aux leaders des partis de l’opposition. J’espère qu’ils réalisent le bien-fondé de ce que je dis et qu’ils n’agiront pas par ego car un revirement de situation est toujours possible.

Q : Avec autant de scandales à son actif, le gouvernement n’aurait-il pas mieux fait de donner des élections générales anticipées au lieu d’une partielle au no 18?

R : Effectivement ! Le MMM a déjà demandé la tenue des élections générales au lieu d’une partielle. Évidemment, dans le contexte actuel, le pays aurait dû retourner aux urnes. Cela aurait aussi permis à Pravind Jugnauth de légitimer sa situation en tant que Premier ministre. On arrivera, dans quelques mois, à la fin de la troisième année du mandat du gouvernement. Si cette situation d’insatisfaction généralisée et de désillusion perdure, les partis de l’opposition ainsi que la population devront, d’une seule voix, réclamer des élections générales.