Beena Venkatasamy, avouée : « Être père et mère à la fois n’est jamais facile »

Cette semaine, nous faisons la rencontre de Beena Venkatasamy. Cette avouée et mère de famille nous explique comment elle transforme sa faiblesse en force, et met l’emphase sur l’importance de l’éducation.

Beena Venkatasamy est avouée de profession. Elle avait perdu son père à l’âge de dix-sept ans. Ce jour-là, tout d’un coup, l’adolescente insouciante a été propulsée sans trop le vouloir dans le monde des adultes.

Son père disait toujours à elle-même ainsi qu’à son frère et sa sœur qu’il ne leur lèguerait pas de fortune et que leur seul héritage serait leurs études. Elle le voit encore assis autour d’une table en train de corriger leurs devoirs. « Il tenait à corriger notre vocabulaire et nous a vraiment fait prendre conscience de l’importance de l’éducation dans la vie », se remémore-t-elle.

Sa mère n’avait que 42 ans au moment que son père leur quittait définitivement. Elle qui ne travaillait pas s’était alors retrouvée avec trois jeunes sur les bras. Elle tenait toutefois à envoyer tous ses enfants en Europe pour poursuivre des études supérieures. Quand Beena avait pu achever son HSC tant bien que mal et qu’elle s’interrogeait sur son avenir, sa mère lui avait dit ce jour-là : « Soit tu continues tes études, soit tu te maries ». « Pour moi, le choix était vite fait : continuer à étudier », se rappelle-t-elle. Le même scenario avait eu lieu avec sa sœur et son frère. Sa sœur est aujourd’hui avocate au barreau de Saint-Denis à La Réunion, tandis que son frère est comptable en Angleterre.

En 1984, Beena met le cap vers la France. Elle avait commencé à travailler le lendemain même de son arrivée en France, avant de visiter la Tour Eiffel ou les boulevards de Paris. Durant les week-ends et durant ses vacances universitaires, elle avait travaillé comme vendeuse dans un magasin de vêtements et comme serveuse dans un restaurant. « C’est ainsi que j’ai pu financer et achever mes études », explique-t-elle.

Elle s’était inscrite dans la filière des Beaux-Arts pour intégrer une école d’architecture, mais sa famille voulait des études universitaires plus « classiques » pour plus de sécurité. Elle s’est donc retrouvée sur les bancs de la faculté de droit. Des années plus tard, avec sa maîtrise de droit en poche, elle est rentrée à Maurice.

Elle a travaillé dans une institution financière pendant quelques mois avant de rejoindre l’équipe de management de l’hôtel Maritim. Là-bas, elle avait passé dix belles années parsemées de rencontres inoubliables, dont le président français François Mitterrand, la princesse Anne, Jean-Jacques Goldman et Amitabh Bachchan, entre autres. « Des rencontres qui resteront à jamais gravées dans ma mémoire », ajoute Beena Venkatasamy.

Durant ce temps, elle était tombée amoureuse et s’était mariée. Toutefois, le couple battra de l’aile. Beena a fini par élever seule sa fille. Cette dernière a aujourd’hui vingt-quatre ans et fait des études dans le domaine de la finance en Australie. Elle est très fière d’avoir pu offrir à sa fille ce qu’il y avait de meilleur, malgré les difficultés qu’elle avait rencontrées dans sa vie. « Ce n’est pas facile d’élever un enfant seul. Être père et mère à la fois n’est jamais facile. Mais cela ne m’a pas empêchée de lui donner tout ce qu’il y a de meilleur dans la vie », dit-elle.

Comme mère, elle était toujours à l’écoute de sa fille. « Il faut avant tout écouter et comprendre les besoins et les attentes de son enfant. On n’est pas forcément sur la même longueur d’ondes. Pour moi, il a toujours été question de guider et non de faire des choix à sa place. Et à mon avis, c’est cela la véritable difficulté dans le rôle des parents », nous explique cette mère.

« Je transforme ma faiblesse en force »

Elle a en elle une force et une détermination inébranlable, ce qui fait qu’elle est confiante en elle-même. Elle a toujours cru qu’elle était la seule à pouvoir résoudre ses problèmes, et que les autres ne pourront jamais le faire à sa place. Elle pense que cette attitude l’a vraiment permise de toujours trouver une voie de sortie de toute difficulté que peut nous réserver la vie.

Beena nous confie qu’elle a aussi ses faiblesses. Étant de nature non-violente, elle s’est toujours sentie très vulnérable face à la violence physique et verbale, car elle n’a jamais su comment réagir face à la violence. « Un simple mot peut me perturber et me déstabiliser. Mais dans ma profession d’avouée, j’aide les autres à pallier à leur vulnérabilité en leur montrant comment justement faire face à la violence. Ma faiblesse se transforme alors en force pour les aider à obtenir justice ou à panser leurs blessures », explique-t-elle.

Que souhaite-t-elle en tant que femme ? Plus de temps pour pratiquer un passe-temps comme la peinture, un sport ou encore la danse, nous avoue-t-elle. Plus généralement, elle souhaiterait que cesse la bêtise humaine. « Il suffit de survoler les médias pour voir à quel point les crimes en tous genres et la corruption sont devenus monnaie courante et banalisés », dénonce-t-elle. Se sent-elle restreinte comme femme ? « En tant que femme, je n’ai aucune restriction. Je me sens libre comme l’air. Les femmes ne devraient avoir aucune restriction », dit-elle. Que pense t-elle sur l’avancée des femmes ? En 2022, l’avancée des femmes est indéniable, soutient-elle. Dans certaines professions, dont le domaine légal, on note une nette évolution. Il y a deux femmes à la tête du judiciaire mauricien, ce qui est quand même remarquable. Il y a aussi aujourd’hui plus d’avocates, plus d’avouées et plus de notaires femmes qu’à n’importe quel moment dans le passé. « Ceci dit, si l’on regarde de par le monde, très peu de femmes sont par exemple chefs d’État. On se demande bien pourquoi ? », ajoute-t-elle.

Selon elle, cette avancée tient du fait qu’aujourd’hui l’éducation de nos enfants, surtout celle des filles, tient une place primordiale dans notre société. « Il faut vraiment lutter contre les abandons d’études. Il faudrait encourager les études poussées, et normaliser l’accès à l’éducation secondaire et tertiaire. Cela fera la réussite de toute société et fera la grandeur de toute nation », maintient-elle.

Son message aux femmes : encourager leurs enfants à être plus assidus dans leurs études. « Sans éducation, nous n’avons pas beaucoup de chance à changer notre situation et notre sort », affirme-t-elle. « Il n’y a que les femmes qui peuvent changer leur sort. Se trouver dans une situation difficile fait partie de la vie, et on peut apprendre à s’en sortir. Il ne faut pas hésiter à se changer soi-même s’il le faut, car essayer de changer l’autre ou les autres ne servira à rien. Il s’agit de toujours regarder vers l’avenir et ne pas perdre du temps à avoir des regrets car on a qu’une vie, qui est courte mais belle à vivre. »