Elle ne cache pas son amertume envers le gouvernement. Jane Ragoo, négociatrice de la Confédération des Travailleurs du Secteur Privé (CTSP), dénonce les promesses non-tenues par le gouvernement, notamment envers la classe des travailleurs. Elle revient également sur les discussions entourant l’introduction du salaire minimum.
Zahirah RADHA
Q : L’introduction d’un salaire minimum fait débat. Les syndicalistes ne sont pas sur la même longueur d’onde que le président du NWCC, Beejaye Kumar Appanah, sur le quantum qui doit être fixé. Où en est-on avec les discussions ?
R : Il faut d’abord que je vous dise que l’introduction d’un salaire minimum avait été promise par l’Alliance Lepep avant les dernières législatives. Elle figurait d’ailleurs dans son manifeste électoral. C’était évidemment bien joli à voir, mais un an plus tard, on ne voyait toujours rien venir. Les syndicats ont alors commencé à exercer des pressions sur le gouvernement pour qu’il concrétise sa promesse. C’est ainsi que le National Wage Consultative Council (NWCC) a vu le jour. Et ce n’est que deux jours avant la présentation du projet de loi à l’Assemblée nationale qu’on en a finalement eu une ébauche. Le comble, c’est qu’il y avait sept points majeurs sur lesquels nous n’étions pas d’accord. Suite à une manifestation que nous avons alors tenue devant le Parlement, le ministre du Travail nous a reçus en catastrophe pour écouter nos revendications. Il est retourné, deux mois plus tard, avec une nouvelle ébauche de ce projet de loi. Toutefois, il y a une clause qui s’y est glissée sans que nous nous en apercevions. Cette clause stipule qu’en l’absence des syndicats, les représentants du gouvernement et du patronat peuvent décider seuls du quantum du salaire minimum. Ce qui est tout à fait scandaleux, d’autant qu’elle viole le principe des tripartites.
Q : Beejaye Kumar Appanah a-t-il mis la charrue avant les bœufs en annonçant, sans consultation avec les syndicats, que le salaire minimum sera inférieur à Rs 12 800 ?
R : Certainement ! Nous dénonçons le ‘one-man show’ de Beejaye Kumar Appanah. Il tente d’undermine tout le monde. On ne peut pas décider du quantum au pied levé. Il faut qu’il y ait d’abord des discussions et des négociations en profondeur. S’il continue d’agir de la sorte, nous n’aurons d’autre choix que de faire un walk-out.
Q : Quels sont les facteurs qui doivent être pris en considération pour établir le quantum ?
R : Le salaire minimum doit être basé sur deux facteurs : le coût du panier ménager et le salaire moyen. Ce qui nous ramène à Rs 8500 à Rs 9000. Ce quantum doit être le salaire de démarrage pour tout emploi. Prenons un exemple : la zone franche emploie 60 000 travailleurs, dont 15 000 étrangers. Les Mauriciens touchent Rs 5 400 comme salaire alors que les étrangers, eux, reçoivent Rs 8 000 ‘in cash and in kind’, puisqu’ils ne payent pas de logement et de transport. Au lieu d’employer des étrangers et leur payer Rs 8 000, pourquoi ne pas encourager les Mauriciens à travailler dans ce secteur en leur proposant ce même montant ?
À la CTSP, on propose que le gouvernement vienne de l’avant avec un ‘stimulus package’ pour la zone franche, et ce pendant quelques années. Tout ce qu’il faut pour l’appliquer, c’est un plan bien structuré et un minimum de volonté politique. Je pense que, si nos élus continuent à courber l’échine devant le patronat, il nous faudra nous débarrasser d’eux et les remplacer par des étrangers.
Q : Cela ne permettra-t-il pas aux représentants des secteurs publics et privés de décider du quantum, comme vous le craigniez vous-même ?
R : Justement, nous ne voulons pas que cela se produise. Il y a des syndicalistes qui ne font que du tapage. Ce n’est pas notre style. Nou nou manze are zotte dans négociation. Mais si on nous pousse à bout, on le fera. Cependant, on ne restera pas les bras croisés. On mènera alors une croisade contre le gouvernement. La population ne l’excusera pas de toutes les façons.
- « Si nos élus continuent à courber l’échine devant le patronat, il nous faudra nous débarrasser d’eux et les remplacer par des étrangers »
Q : Selon les statistiques de la CTSP, combien de travailleurs perçoivent-ils moins de Rs 6000/ mois en 2017 ?
R : Il y a 100 000 personnes qui reçoivent moins de Rs 6000 par mois. 85% d’entre elles sont des femmes. Elles évoluent dans plusieurs secteurs, dont la zone franche, le seafood hub et certains call centres, entre autres. Pire, il y a 300 femmes travaillant dans la cour des écoles du primaire et du secondaire qui ne perçoivent que Rs 1500 mensuellement. Elles sont en train d’être exploitées. Malgré les promesses faites par l’ancien ministre des Finances, Vishnu Lutchmeenaraidoo, rien n’a été fait jusqu’ici pour revoir leurs conditions. Même le Premier ministre, qui est aussi responsable des Finances, n’a accordé aucune importance à ce dossier.
Q : Peut-on comparer l’incomparable? Quand Gérard Sanspeur, le super conseiller aux rémunérations de près de Rs 500 000 par mois vous dit que cela ne doit pas choquer, comment réagissez-vous à cela ?
R : J’ai d’abord été choquée quand il a fait allusion aux meter readers. Ceci dit, s’il pense effectivement qu’il mérite son salaire, il aurait dû avoir un peu plus de considération pour ces pauvres femmes qui ne perçoivent que Rs 1500 mensuellement. S’il s’était rendu compte de cette farce, il serait intervenu en leur faveur auprès du Premier ministre et ministre des Finances. Malheureusement, cela ne semble pas être sa priorité.
Q : Puisqu’on parle de salaire, ceux des nominés politiques sont-ils justifiés, selon vous ?
R : Certainement pas ! Il faut être réaliste. Avec quoi paye-t-on leurs salaires ? Avec le ‘hard earned money’ des contribuables. Nous trimons pour qu’ils puissent jouir de notre argent. C’est honteux !
Q : Vous semblez être très amère envers le gouvernement. Pourquoi cette amertume ?
R : Le gouvernement n’a fait que des promesses jusqu’ici. Bane zoli paroles mais rien de concret. En décembre 2016, le ministre du Travail, Soodesh Callychurn avait dit que “2017 will be the year of the workers”, mais il n’en est rien. On lutte toujours pour que l’Employment Rights Act (ERA) soit amendé. Aux dernières nouvelles, on a appris que ce sera le DPM Ivan Collendavelloo qui présidera le comité sur l’ERA. Or, nous ne sommes pas d’accord avec cette décision car Collendavelloo est l’avocat des patrons. Il a déjà, en 2003, défendu la cause du patronat au détriment d’une soixantaine de chauffeurs de Whitesand Tours. Nous avons donc des doutes sur ses intentions. On a demandé une rencontre avec le ministre du Travail pour évoquer ce sujet avec lui. Nous attendons toujours d’avoir un rendez-vous avec lui.
Je vous donne un autre exemple. Le salaire dans la zone franche aurait dû passer de Rs 5 400 à Rs 6 500 depuis décembre 2016. Toutefois, le gouvernement a accordé un moratoire de six mois au patronat parce que quelques employeurs sont allés pleurer dans le bureau de Showkutally Soodhun. Voilà à quel type de gouvernement on a affaire ! On a aussi tenu plusieurs manifestations pour diverses raisons, mais zotte pas trouvé, zotte pas tendé. La MBC nous projette comme des cartoons. S’il n’y avait pas la presse libre, nos revendications n’auraient pas été entendues.
Q : En prenant en compte vos nombreuses revendications, votre rassemblement du 1er mai s’annonce plutôt chaud…
R : Effectivement. On a fait une évaluation des actions gouvernementales durant ces deux ans et demi au pouvoir. Si le gouvernement ne rectifie pas le tir, on va accentuer les pressions syndicales. Et aux prochaines législatives, la CTSP donnera le mot d’ordre qu’il faudra.