Judiciaire : La ‘Courts Act’ date de … 1945 ! Parvez Dookhy : « Une réforme globale est impérative »

Le leader du PTr, Navin Ramgoolam, a de nouveau évoqué la nécessité de réformer le judiciaire lors du congrès annuel du parti, dimanche dernier. Une réforme qui fait l’unanimité, que ce soit au sein de l’opposition parlementaire ou extra-parlementaire. « La loi sur les juridictions (Courts Act) date de 1945 », nous confirme d’ailleurs le constitutionnaliste Parvez Dookhy, également co-fondateur du Ralliement Citoyen pour la Patrie (RCP). Il va sans dire qu’en 2022, le monde a drastiquement évolué. Ce qui rend primordial une révision complète de notre système judiciaire. D’autant que des lacunes, notamment la lenteur des procès, ont systématiquement été notées et dénoncées à plusieurs reprises.

Parvez Dookhy insiste ainsi sur l’importance de cette réforme.  « Tout a changé dans le monde, notamment avec l’avènement des nouveaux moyens de communication. Dans les pays européens, tout le dossier soumis au juge et aux adversaires est dématérialisé, en format PDF », explique-t-il. Ce qui n’est pas le cas à Maurice qui fait toujours face « à un souci de simplification des procédures ». « Nous avons une procédure, un système de débats d’un autre temps : la forme de saisine du juge, la manière de juger, l’administration des preuves, tout doit être simplifié », note notre interlocuteur. Cette simplification, ajoute-t-il, « doit s’opérer tant dans la procédure civile, administrative (droit public) que pénale ».

« La faiblesse du système actuel est, en grande partie, liée au fait qu’elle soit inspirée principalement du système anglais alors que nous n’avons pas les mœurs britanniques à Maurice. Par exemple, pourquoi maintenir l’intervention de deux professionnels du droit, l’avocat et l’avoué, que nous appelons ‘attorney’ ici et ‘solicitor’ en Angleterre ? L’avoué a disparu dans pratiquement tous les pays. Avec l’avènement de l’informatique et de l’internet, un seul professionnel peut avoir la charge d’un dossier. C’est aussi une nécessaire réduction de coût pour le justiciable », avance-t-il.

Parvez Dookhy s’étend ainsi sur les changements qu’il pense doivent être apportés au système actuel. « On doit par exemple pouvoir saisir, notamment en matière administrative, le juge par une simple requête directement dans laquelle le requérant fait état de l’ensemble des griefs et demandes. On doit en finir avec cette procédure d’affidavit. C’est lourd pour rien. Le citoyen doit pouvoir avoir un accès direct à la justice. Il faudrait développer devant le juge la pratique de reconnaissance de la force probante des témoignages écrits ou attestations », affirme-t-il.

Institution de la « partie civile »

L’avocat reconnait néanmoins que « c’est en matière pénale que les besoins de réformes sont les plus criants ». « La justice pénale est dépendante de l’enquête pénale », explique-t-il. Selon lui, « le Directeur des Poursuites Publiques (DPP) doit avoir un regard systématique sur la conduite des enquêtes relevant de la direction de la police (hors juge d’instruction) et doit pouvoir lui donner des directives ». Comme c’est d’ailleurs le cas du Procureur en France. Or, actuellement chez nous, le dossier n’est référé au DPP qu’à la fin d’une enquête, d’autant que c’est bien rare, selon lui, que l’avis du DPP est recherché durant une enquête. Ce qui ralentit les procédures, surtout lorsque des lacunes sont notées dans le dossier une fois qu’il soit entre les mains du DPP.

Notre système actuel permet à la défense de profiter d’une enquête policière défaillante puisque la victime ne peut rien dire ou demander. Ce qui pousse Parvez Dookhy à plaider en faveur de l’institution d’une partie civile qui est « « inexistante chez nous, dans le cadre des procédures pénales/criminelles ». « La partie civile est la victime, ou si elle est décédée, ses proches. Elle est une partie au procès de l’accusé. Actuellement, la victime n’est au mieux qu’un témoin dans sa propre affaire. Si la victime devenait partie civile, elle pourrait avoir droit au dossier, poser des questions, demander des actes. Une partie civile a aussi un autre intérêt, celui de palier à la carence de la police ou d’un juge. Imaginons que la police oublie ou ne veut pas entendre une personne. La partie civile, parce qu’elle est partie au procès, peut la lui contraindre d’entendre la personne. Dans les affaires de crimes économiques, il y a lieu de permettre aux associations qui ont pour finalité la bonne gouvernance ou la lutte contre ces crimes de pouvoir se constituer en « partie civile » devant la justice », soutient-il.

Juge d’instruction et démantèlement de l’ICAC

Le constitutionnaliste préconise parallèlement la création de trois pôles de juges d’instruction. Ces juges d’instruction seront chargés, affirme-t-il, de diriger l’enquête (policière/criminelle) dans trois domaines et de manière permanente : (1) pour les crimes de sang, (2) les affaires complexes de crimes économiques et (3) les grands trafics de stupéfiants (drogues). « L’enquête dans ces affaires doivent être placées sous la direction d’un juge en détachement et affecté à ces pôles d’instruction », plaide Parvez Dookhy.

Cette mesure, dit-il, est nécessaire puisqu’un juge d’instruction « agit de la même manière qu’une commission d’enquête, sauf qu’il existe en permanence et est systématiquement saisi des affaires graves ». Ces juges d’instruction, renchérit l’avocat, devraient être nommés par la ‘Judicial and Legal Services Commission’ (JLSC). « Au vu du rapport du juge d’instruction, l’affaire est renvoyée devant le juge (la cour) pour être jugée et sanctionnée », souligne-t-il. Et d’ajouter que l’ICAC n’aura alors plus sa raison d’être. « L’ICAC, particulièrement inefficace notamment parce que son directeur est nommé en toute discrétion par le Premier ministre, devra purement et simplement être abolie », dit-il.

Parvez Dookhy est d’avis que « l’actuel régime de la preuve (‘evidence’) rend impossible l’établissement de la culpabilité alors même que les faits sont évidents. Il est inadapté à notre société et nos mœurs. Dans notre système actuel, trop d’éléments de preuve sont exclus, de manière à ce qu’il n’en reste plus rien. Le régime de la preuve doit être libre, ce qui signifie que tout mode de preuve, sauf lorsqu’il a été obtenu de manière particulièrement déloyale, doit être recevable (‘admissible’) et au juge, à la lumière de l’ensemble des éléments de preuve ou du faisceau d’indices, d’en tirer une conclusion fondée raisonnablement ».

L’avocat se penche aussi pour une révision des critères d’obtention pour la libération provisoire (‘bail’). « Ceux qui sont économiquement plus faibles ne doivent pas être privés du droit à la liberté provisoire », martèle Parvez Dookhy. « Il y a lieu de privilégier les critères dits de garanties de représentation (travail, famille, charge familiale, enfants scolarisés, antécédents) à celui du versement de la caution. Qui, aujourd’hui, en 2022, peut tenter de prendre la fuite ? C’est juste impossible puisqu’on peut être géolocalisé très vite. Pourquoi imposer une lourde caution ? » s’interroge-t-il.

Toute réforme, martèle Parvez Dookhy, doit se faire de façon globale. « On ne pourra pas procéder par étape. Il faudrait une vraie commission composée de manière inclusive, de vrais juristes, praticiens comme théoriciens du droit, pour proposer une réforme adaptée à nos mœurs et la réalité sociétale », insiste-t-il.