Les intérêts personnels d’abord

Qui crache en l’air, retombe sur le nez. Pravind Jugnauth ne le sait probablement pas. Ou peut-être a-t-il la mémoire courte. Il a cru faire un grand coup avec le rapport de la commission d’enquête sur les agissements, qualifiés de ‘damning’, de l’ex-présidente de la République. Histoire de rendre k.o un de ses plus fervents opposants, en jouant lui-même à Monsieur Propre. Mais il oublie l’essentiel. C’est le gouvernement MSM-ML qui avait nommé la scientifique Ameenah Gurib-Fakim à la présidence. Quand le Premier ministre juge aujourd’hui « accablant » ce rapport qui la condamne d’avoir agi en violation de plusieurs sections de la Constitution, c’est une claque qu’il inflige à son propre ‘primeministership’ et à son gouvernement. Puisque c’est la preuve que les institutions ne fonctionnent plus sous la gestion du MSM de Jugnauth. Les postes constitutionnels ne sont plus qu’une moquerie. Et notre démocratie n’est désormais qu’une farce.

Il convient de souligner que cette commission d’enquête avait été instituée peu après le départ d’Ameenah Gurib-Fakim de la State House en mars 2018. Les travaux avaient débuté en septembre de la même année et ont pris fin deux années plus tard, soit en janvier 2020. Il a fallu deux ans et demi additionnels avant que ce rapport ne soit finalement soumis au président de la République le 2 septembre dernier. Ce qui fait au total quatre ans et demi. Plus que la lenteur qu’a prise la rédaction de ce rapport, c’est le ‘timing’ de sa publication qui étonne. Ce rapport aurait-il été rendu public ce 16 septembre si un mois plus tôt, l’identité de l’auteur de la lettre « anonyme » citée par Pravind Jugnauth dans le sillage de la démission de l’ex-présidente de la République n’avait pas été révélée ? Le chef du gouvernement a-t-il tenté une ‘face saving device’ pour déjouer ses détracteurs et sauver l’image du PMO qu’il dirige ainsi que celle de son ex-Senior Advisor, Ken Arian qui est jusqu’ici exempté d’une enquête en bonne et due forme ?

Qu’Ameenah Gurib-Fakim soit éventuellement trouvée coupable ou pas par une éventuelle enquête de la police ou de l’ICAC – deux institutions qui n’inspirent plus confiance -, le blâme reviendrait toujours au gouvernement MSM. Tout comme cela avait été le cas quand l’ancien ministre et membre influent du MSM, Roshi Bhadain, avait été mis en cause par la commission d’enquête sur Britam Holdings Ltd dans une tentative de règlement de compte après sa démission du gouvernement. Ce qui avait également causé un effet boomerang sur le régime MSM. Évidemment, dans le présent cas, le gouvernement a tout mis en œuvre pour coincer l’ex-présidente et d’essayer d’en sortir lui-même indemne. Ce qui explique pourquoi la commission d’enquête a été chargée d’enquêter sur les agissements d’Ameenah Gurib-Fakim et non pas sur l’affaire Alvarro Sobrinho qui méritait d’être passée à la loupe en toute transparence.

Or, celle-ci avait été confiée à l’ICAC et, sans surprise, on n’en a pas entendu parler jusqu’ici. Pourtant, c’est clairement là que résidait le plus gros scandale financier. Et que des institutions telles que l’‘Economic Development Board’ (EDB) a lamentablement failli de prévenir. En verrons-nous la lumière au bout du tunnel ? Sûrement pas, puisque l’ex-DPM Ivan Collendavelloo et partenaire d’alliance du Premier ministre avait déjà juré en l’innocence de l’homme d’affaires angolais. Exactement comme il l’a fait à Rivière-des-Anguilles samedi dernier en prédisant qu’il n’y aura pas de suite dans l’affaire Saint-Louis, bien que celle-ci lui a coûté son poste de Premier ministre adjoint et de ministre des Utilités publiques. Une autre affaire qui nous rappelle l’affligeant échec de notre institution investigatrice qu’est l’ICAC.

Tout compte fait, ce rapport sur Ameenah Gurib-Fakim ne sert que les intérêts personnels de Pravind Jugnauth alors que l’intérêt national est ailleurs. Nous, le peuple, cherchons plutôt à connaître la vérité sur l’affaire Sobrinho et sur celle de la lettre anonyme écrite par le conseiller du Premier ministre, attestant ainsi du complot ourdi au plus haut niveau du gouvernement pour servir ses sombres desseins. Qu’il fasse ce qu’il faut pour éclairer nos lanternes. Et autant qu’il rende aussi public les rapports du ‘fact finding committee’ sur la mort des 11 patients dialysés et de la Cour d’investigation sur le naufrage du remorqueur Sir Gaëtan. Et qu’il nous dise également où sont arrivés les enquêtes sur Saint-Louis Gate, Pack & Blister et Molnupiravir, l’affaire Kistnen, Angus Road et tant d’autres. Nous verrons alors s’il peut toujours prétendre agir dans l’intérêt public.