Shakeel Mohamed : « Roshi Bhadain a été détruit politiquement par Pravind Jugnauth »

  • « Certains ministres empochent Rs 35 000 par jour rien qu’avec les per diem »

Le chef de file du PTr à l’Assemblée nationale, Shakeel Mohamed, est révolté contre le gouvernement qu’il qualifie, sans ambages, de « revanchard, dominère et pourri ».  Il ne ménage pas non plus la présidente de la République, Ameenah Gurib-Fakim, qui aurait failli dans sa tâche en ne procédant pas aux vérifications d’usage avant d’avoir nommé Mary Jane Yerriah à l’Equal Opportunities Commission (EOC). Le député rouge réclame aussi des explications sur le rachat d’Apollo Bramwell par Omega Ark, un exercice qui, selon lui, sent le roussi.

Zahirah Radha

 

Q : L’Alliance Lepep avait, aux dernières législatives, promis de nettoyer le pays et de le « reconstruire sur un soubassement sain et solide ». Ce nouveau soubassement est-il toujours « sain et solide », s’agissant de nombreux scandales auxquels le gouvernement est confronté ces derniers temps?

R : Toutes les promesses que l’Alliance Lepep a faites, que ce soit au niveau des finances, de l’infrastructure, de l’emploi, des institutions, des relations internationales et du law and order, entre autres, n’ont pas été respectées. Voyez-vous, les finances sont clairement en difficulté. L’investissement direct étranger a chuté par au moins Rs 10 milliards en un an seulement. Le nombre de jeunes chômeurs, âgés entre 16 et 24 ans, ainsi que le chômage des femmes a augmenté. Le law and order est chaotique. Les vols, viols, crimes et autres ‘white collar crimes’ sont en hausse. Pire, il y a une certaine proximité entre ceux qui commettent les crimes en col blanc et le gouvernement. Il y a eu zéro développement du côté des infrastructures publiques. Les relations diplomatiques sont au plus bas en termes de visibilité internationale. Etienne Sinatambou n’a rien fait pour rehausser l’image de Maurice alors que Vishnu Lutchmeenaraidoo est, lui, un ministre très effacé. Bref, rien de concret n’a été fait jusqu’ici. Le peuple est totalement dégoûté et déçu de ces fausses promesses.

 

Q : Et qu’en est-il des scandales ?  

R : Certains au gouvernement pensent que c’est tout à fait normal que leurs proches se font embaucher. Mais c’est scandaleux pour les Mauriciens. C’est scandaleux que des avocats proches du pouvoir obtiennent des honoraires faramineux, comme dans le cas de Trilochun, mais qu’ils soient approuvés par le board de l’ICTA et sur lequel siègent deux membres du Bureau du Premier ministre c’est encore plus révoltant. D’autant que sir Anerood Jugnauth vienne lui-même nous dire qu’il est ‘shocked’ par cela. Le Heritage City nous a coûté des millions de roupies. J’aurais bien aimé que le gouvernement vienne s’expliquer sur les réclamations de Stree Consulting pour encore plusieurs millions de roupies et que les contribuables vont devoir casquer. Ce gouvernement affairiste n’hésite même pas à se servir de l’Assemblée nationale pour légitimer des pratiques sombres. C’est tout aussi scandaleux la façon dont le pouvoir se permet d’imposer ses opinions sur le Commissaire de police et que celui-ci ne fait qu’acquiescer.  Comment expliquer que l’enquête sur Raj Dayal et Vishnu Lutchmeenaraidoo par l’ICAC soient au point mort? Les guerres intestines entre le MSM et le PMSD, les bisbilles au sein du MSM et l’hypocrisie de ceux qui affirment qu’il n’y a pas de problème à l’intérieur du gouvernement simplement pour pouvoir conserver leurs sièges ne font qu’augmenter davantage le dégoût de la population. Et je ne parle même pas des ‘per diem’ des ministres et des berlines neuves qu’ils s’offrent au profit des contribuables.

 

Q : Mais cette dernière pratique a existé sous tous les gouvernements précédents…

R : Sous l’ancien gouvernement, on n’avait pas le droit d’acheter une nouvelle voiture tant que celle qu’on utilisait n’avait pas quatre ans. Est-ce que cette règle existe toujours ? Je connais des cas où des voitures ayant moins de deux ans ont été mises de côté afin que des ministres puissent en acheter de nouvelles. L’ancien gouvernement n’a jamais autorisé les voyages ministériels avec autant de passion. Au contraire, Navin Ramgoolam annulait les voyages des ministres s’ils n’étaient pas justifiés et s’ils n’apportaient rien au pays. Sous le présent régime, on a des pigeons voyageurs. Certains ministres empochent au-dessus de Rs 35 000 par jour rien qu’avec les ‘per diem’. Imaginez combien cela coûte au pays s’ils effectuent un voyage de dix jours ? Rs 350 000 en sus de son salaire de ministre ! Et ce alors que certaines personnes à Maurice ne pourront jamais obtenir de tels revenus, même pendant un lustre !

 

Q : Vishnu Lutchmeenaraidoo et Kailash Trilochun, à travers son avocat Rama Valayden, se sont dit victimes de complots alors que Roshi Bhadain évoque, lui, l’existence d’un ‘cercle mafieux’. Ces déclarations, venant surtout de la part des membres du gouvernement et du MSM, ne font-elles pas peur ?

R : Tout à fait. C’est inacceptable que des ministres viennent dire haut et fort et publiquement qu’il y a eu complots contre eux tout en montrant du doigt leurs propres collègues ou camarades de parti. C’est d’ailleurs malheureux que le Premier ministre ne réagisse pas. Cela a une répercussion négative sur Maurice. Est-ce donc étonnant que l’investissement direct étranger soit en chute ? Il y a tellement de morosité sur le plan financier que le cabinet ministériel avait approuvé un ‘Finance Bill’ qui contenait une clause scandaleuse à l’effet qu’un étranger ayant un maximum de 25% d’actions dans une compagnie puisse faire l’acquisition d’un terrain à Maurice sans la permission du Bureau du Premier ministre. Alors que le ‘Finance Bill’ était déjà au ‘committee stage’, je suis intervenu au Parlement pour le dénoncer. Le gouvernement était tellement acculé sur la question qu’il a dû enlever la totalité de cette clause de ce projet de loi lors de sa présentation, mercredi soir. Heureusement que le PTr était, encore une fois, présent pour protéger nos terres dans un souci d’intérêt national alors que le gouvernement voulait les dilapider. Nous avons affaire à un gouvernement qui vit dans une tour d’ivoire et qui est déconnecté de toute la population, voire la réalité.

 

Q : Partagez-vous le point de vue de Paul Bérenger selon lequel Omega Ark est un autre Medpoint ?

R : Les architectes d’Omega Ark ne sont autres que Lutchmeenaraidoo et Bhadain. En devenant ministre des Finances, Pravind Jugnauth a dû non seulement assumer mais aussi couvrir les bêtises et les conneries de ses collègues. Et s’il persiste dans cette voie, il se fera du tort à lui-même. Ce dossier est un boulet que Lutchmeenaraidoo a attaché à ses pieds et une corde que lui a mise Bhadain au cou. Valeur du jour, on ne sait toujours pas qui est le propriétaire d’Omega Ark. Le gouvernement s’est simplement contenté de nous donner les noms des ‘nominee directors’. Les employés ont déjà signé un contrat avec Omega Ark mais le gouvernement vient nous dire le contraire. La compagnie n’a pas encore obtenu son permis d’opération mais elle a déjà affiché son panneau, ne serait-ce que pour cacher le nom d’Apollo Bramwell. Pravind Jugnauth a soutenu à l’Assemblée nationale qu’aucun document n’a été signé. Or, sur le website de la compagnie, il est clairement mentionné que l’accord de vente a déjà été signé.

Il y a certainement anguille sous roche. Et c’est dommage que Pravind Jugnauth s’énerve autant quand on lui réclame des explications. Le peuple a le droit de connaître l’identité des vrais propriétaires. Ce qui est encore pire c’est que l’appel d’offres a foiré parce que les règles du jeu ont été changées alors que le match se jouait toujours. Je ne vois pas pourquoi BDO a dit que le ‘preferred bidder’ doit être Omega Ark. Je me pose aussi des questions sur l’exercice de ‘due diligence’ qui a été fait par un avocat proche de BDO.  Je ne dispose pas des renseignements que Bérenger dit avoir, mais cela ne m’empêche pas de conclure que « this whole deal stinks ». Vous rendez-vous compte que les travailleurs n’ont toujours pas rencontré le CEO ? D’ailleurs, un proche de Lutchmeenaraidoo convoite déjà ce poste.

 

Q : Est-il juste de parler de pillage institutionnel depuis que l’Alliance Lepep est au pouvoir ?

R : Non. On aurait pu en parler si les institutions existaient toujours. Or, certaines d’entre elles ont connu une explosion tandis que d’autres ont subi une implosion. Jusqu’au point où elles n’existent plus. Quel respect peut-on avoir pour l’ICTA, par exemple, quand on sait que le board, qui  a approuvé des honoraires de Rs 19 millions pour un avocat, n’a pas encore été révoqué ? Serait-ce parce qu’il y a des proches du pouvoir qui y siègent ? Comment peut-on avoir du respect pour l’ICAC quand on connaît la façon dont des gens y sont nommés ?  Idem pour l’Equal Opportunities Commission (EOC). Comment peut-on faire confiance à cette institution quand le Bureau du Premier ministre n’a pas procédé aux vérifications nécessaires pour s’assurer que ceux qui y sont nommés possèdent les qualifications nécessaires ? Et comment expliquer que la présidente de la République n’ait pas vérifié les qualifications de cette personne avant d’apposer sa signature sur la lettre de nomination? C’est une preuve, s’il le faut, que la présidente n’est qu’une ‘rubber stamp’…

 

Q : Vous êtes très dur dans vos propos…

R : A mes yeux, cela est très grave. Jamais je n’ai vu la présidence commettre une telle erreur. Comment se fait-il qu’elle n’a pas procédé aux vérifications d’usage avant de signer la lettre de nomination de Mary Jane Yerriah ? Elle ne fait que voyager avec l’argent des contribuables. Elle a certes une belle influence à l’étranger. Je ne dis pas le contraire. Mais j’aurais bien aimé la voir un peu plus partie prenante des affaires du pays. Pour moi, c’est une preuve d’incompétence. Un garant de la Constitution, qu’il soit homme ou femme, doit pouvoir nommer quelqu’un selon les paramètres de la loi et non pas agir avec un manque de professionnalisme et une légèreté pareille. Or, la Présidente a failli dans sa tâche. D’ailleurs,  son silence sur ce scandale est éloquent. Elle aurait dû venir s’expliquer devant la population. Je dois avouer qu’elle m’a énormément déçu. Outre le Premier ministre lui-même, les officiers du PMO et de la présidence ont également failli à leurs devoirs et responsabilités. Et c’est révoltant qu’il n’y a eu aucune sanction contre eux jusqu’ici. Il y a des gens qui ont perdu leur emploi pour rien du tout ou simplement parce qu’ils connaissent telle ou telle personne. Mais enfin, c’est le style qui caractérise l’Alliance Lepep.

 

Q : Comment avez-vous pris la remarque de SAJ qui a demandé à Bhadain de se débarrasser de votre ancien attaché de presse parce qu’il a encore des contacts avec vous ?

R : (Rire sarcastique) It’s a joke. Cela me donne envie de vomir. C’est une autre preuve, s’il le faut, qu’on est sur écoute. Malheureusement, le Premier ministre se comporte comme un gosse. C’est dommage parce qu’à l’Assemblée Nationale mercredi soir, il a agi avec fermeté et a montré qu’il a l’étoffe d’un leader en signifiant son désaccord sur le contenu du ‘Finance Bill’, en dépit du fait qu’il l’avait lui-même approuvé. C’était comme s’il s’était soudainement réveillé de sa torpeur. Dans l’affaire de Yaasin Pohrun, c’est le PMO, dirigé par Anerood Jugnauth lui-même, qui a fait cette offre d’emploi, fait le ‘security check’ et finalement approuvé sa nomination. Et 24 h après, Anerood Jugnauth vient nous dire qu’il n’est pas d’accord avec ce choix ! Il agit comme Dr Jekyll and My Hyde : c’est une seule personne, mais qui a deux personnalités différentes. Ce qui est plus grave, c’est qu’il affirme « ki banla encore pé communiqué ».

Vous savez, mercredi au Parlement, Roshi Bhadain m’a dit, et ce devant Ezra Jhuboo, « ey aret koze are li. To pou fer moi gagne problème » en se référant à Yaasin Pohrun. Et la seule fois que j’ai parlé à ce dernier c’était justement mercredi. Je l’avais appelé par watsapp pour le féliciter de sa nomination. J’étais à ce moment-là seul dans ma voiture et personne ne pouvait savoir que je parlais avec lui. A peine deux heures plus tard, Roshi Bhadain, qui avait rencontré le Premier ministre un peu plus tôt, m’a fait cette remarque. La seule façon que SAJ ait pu savoir que je parlais avec Yaasin c’est que mon portable soit sur écoute. Ce qui est vraiment dégoûtant c’est qu’ils ont même une technologie pour épier nos conversations et messageries sur watsapp.

Par ailleurs, le fait que SAJ ait demandé la révocation de Yaasin Pohrun démontre clairement que Dayal vaut plus que Bhadain. Les compétences professionnelles de ce jeune homme ne comptent finalement pas. On l’a viré et détruit sa carrière simplement à cause de ses contacts avec moi. Cela me rappelle l’épisode Xavier Duval. Certains ministres l’avaient forcé à consigner une déposition contre moi simplement parce que j’avais dit qu’on a de bonnes relations et qu’on se communique régulièrement au téléphone. Ce sont là les attitudes d’un gouvernement revanchard, dominère et pourri.

 « Omega Ark : The whole deal stinks »

 

Q : Il est évident que le PTr ménage Roshi Bhadain depuis quelque temps. Y aurait-il un rapprochement entre les deux protagonistes ?

R : Roshi Bhadain a clairement été détruit politiquement. D’abord par Pravind Jugnauth quand ce dernier s’est rangé du côté de Gérard Sanspeur et puis par Anerood Jugnauth quand celui-ci rejette son choix d’attaché de presse et aussi quand il a été laminé dans l’affaire Heritage City. Ses propres « amis » se sont acharnés contre lui et ils l’ont fait d’ailleurs mieux que nous. Il n’y a donc aucune raison pour que le PTr s’en occupe. Nou préfère manze pistas guet cinéma. Ena croire éna Shah Rukh Khan là-bas. Le temps guetté éna Rajinikanth !

 

Q : Pensez-vous qu’une lutte à trois comme souhaité par Navin Ramgoolam soit possible ?

R : Moi j’aurais aimé qu’il y ait une lutte à quatre. Cependant, il faut que le PMSD se sente assez fort pour pouvoir aller seul aux élections, quoique je suis certain que Xavier Duval va refuser tout de suite. Il préfère rester « on the fence » puisque c’est « the safest place to be ». Cela dit, je dois avouer que Xavier Duval est un bon ami. Je l’apprécie pour ses prises de position, ou de ses non-prises de position plutôt. Mais entre amis, on peut se permettre de se faire des vannes et de rigoler.

En ce qui concerne le PTr, je pense qu’il est temps pour qu’il aille seul aux élections. Il est temps de mettre fin à cette hypocrisie du MSM et du PMSD qui font semblant qu’ils n’étaient pas en alliance avec le PTr au gouvernement entre 2005 et 2015. Cette hypocrisie me dégoûte. Il nous faut maintenant adopter une politique de vérité. Il est temps que la population connaisse la force réelle de chaque parti.

 

Q : Avez-vous imaginé un PTr sans Navin Ramgoolam, un MMM sans Paul Bérenger, un MSM sans Jugnauth et un PMSD sans Xavier Duval ? Serait-ce salutaire pour le renouveau du paysage politique ?

R : Cela viendra un jour. Il est clair que Navin Ramgoolam sera le prochain Premier ministre et qu’il va s’en sortir brillamment. Mais après cela, on vivra certainement une nouvelle époque où il n’y aura pas un Ramgoolam à la tête du PTr. Quant au MSM, on ne sait pas trop si c’est le père ou le fils qui est à la barre et qui sera le prochain dirigeant. Il y aura certainement un autre Duval qui prendra le relais au PMSD alors qu’au MMM, un proche de Bérenger prendra sûrement le leadership du parti. Il arrivera un moment où la population se réveillera et exigera un nouveau paysage politique. Tout comme il y a eu, au Canada, une nouvelle génération de politiciens, surtout en la personne de Justin Trudeau. C’est ce que j’espère aussi pour Maurice. Navin Ramgoolam sera ce Premier ministre de transition qui nous amènera vers cette nouvelle génération de politiciens. Sinon, tout cet engagement politique aurait été une perte de temps.