Cassam Uteem, ancien Président de la République :« Une assemblée constituante pour proposer et adopter une nouvelle Constitution »

Il le dit haut et fort : un gouvernement ne peut pas faire la sourde oreille aux revendications du peuple. Le statu quo, dit l’ancien Président de la République, serait une insulte à la population.  Cassam Uteem plaide ainsi pour l’instauration d’une Assemblée constituante pour se pencher sur la proposition et l’adoption d’une nouvelle Constitution pour le pays…

 

Zahirah RADHA

 

Q : Deux marches citoyennes en l’espace de deux semaines. Les voyiez-vous venir ? 

Non, absolument pas! D’ailleurs, je pense que personne ne les voyait venir même s’ils étaient nombreux à souhaiter un sursaut d’indignation des Mauriciens devant l’arrogance, la suffisance et la désinvolture  affichées de certains dirigeants du pays pendant la période de confinement dû à la pandémie Covid-19. Ce qui est caractérisé, entre autres, par la démolition, en plein hiver, des bicoques des ‘squatters’ sur les terrains de l’Etat et les contrats mirobolants accordés aux improbables importateurs, proches du pouvoir, pour l’achat des équipements sanitaires.

Le naufrage du vraquier Wakashio dans la soirée du samedi 25 juillet dans des circonstances mystérieuses et surtout le déversement, 12 jours après, à la suite d’une brèche dans la coque du vraquier, de l’hydrocarbure dans le lagon non loin du parc marin de Blue Bay et le site Ramsar de Pointe d’Esny avaient provoqué un profond sentiment de colère dans la population. Celle-ci avait l’impression, à tort ou à raison, que rien n’avait été fait par les autorités concernées pour éviter cette catastrophe écologique sans précédent qui aura servi de déclencheurs. D’aucuns parlaient même de négligence et d’incompétence.

Lorsque fut lancée l’invitation de participer à la marche citoyenne, très peu de personnes pouvaient imaginer une mobilisation populaire d’une telle ampleur. C’était en fait l’expression d’un vrai ras-le-bol.

 

Q : Que vous inspirent-elles ? 

Le réveil du citoyen mauricien, avec une participation massive des jeunes, est salutaire pour le pays et devrait interpeller ses dirigeants et les inciter à apporter des changements dans la manière de gérer le pays et, en même temps, servir à revoir le fonctionnement de notre démocratie parlementaire, ses failles et ses insuffisances, et répondre ainsi à l’attente d’une population désabusée et exaspérée. Le statu quo après ces marches citoyennes n’est plus une option et serait une insulte à la population et suicidaire pour le régime.

 

Q : Comment jugez-vous certaines tentatives de vouloir communaliser ce mouvement contestataire qui vise principalement à dénoncer la souffrance du peuple ? 

Elles sont vouées à l’échec car nous avons aujourd’hui, plus qu’hier, une population éduquée, avertie et sophistiquée qui aspire à vivre dans une société paisible et unie dans le respect de sa diversité. Les problèmes auxquels nous faisons face et les injustices, discriminations et les passe-droits que l’on ne cesse de dénoncer touchent l’ensemble de notre population, qui réalise que seule une poignée de courtisans bénéficient des largesses et des traitements de faveur au détriment de ceux les plus méritants, qui se trouvent dans toutes les couches sociales et toutes les composantes de notre société. La jeunesse d’aujourd’hui sert de bouclier à notre société et fera échouer ces tentatives désespérées et irresponsables de raviver les sentiments communautaristes.

 

Q : À qui profite le crime ?

Aux manipulateurs qui agissent dans l’ombre et sur les réseaux sociaux et qui seront mis à nu, tôt ou tard!

 

Q : Ce réveil de la conscience mauricienne pourra-t-il faire courber l’échine du gouvernement et le contraindre à revoir son fonctionnement et sa gestion des affaires du pays? 

Le gouvernement a intérêt à rectifier le tir. Le statu quo comme je viens de vous le dire, n’est guère une option. Entendre les cris d’un peuple en colère, frustré et indigné et répondre sans tergiverser à ses attentes légitimes pour plus de justice et de transparence, pour l’instauration de la méritocratie et le respect des droits sociaux des plus défavorisés de la société, entre autres, c’est emprunter la voie du dialogue et de la sagesse.

 

Q : Avec la tenue d’autres marches qui se précise sans que le gouvernement ne montre le moindre signe de fléchissement, ne risque-t-on pas de se retrouver avec un climat de tensions perpétuelles? 

La situation post-Covid du pays est déjà dramatique avec une crise sanitaire sans précédent, une économie en panne entraînant un marasme des affaires, des pertes d’emplois massives, l’appauvrissement accéléré de la classe moyenne, une recrudescence du trafic de la drogue malgré la fermeture des frontières, une crise de logements affectant les familles les plus pauvres du pays auxquels sont venus s’ajouter le naufrage du vraquier Wakashio, la pollution de notre lagon et la mort inexplicable des dauphins échoués sur nos plages suivi du naufrage du remorqueur Sir Gaëtan qui occasionna la mort de trois membres de son équipage et la disparition de son capitaine emporté par les vagues.

Dans de telles circonstances, il est inimaginable qu’un gouvernement fasse la sourde oreille et continue avec une attitude de ‘business as usual’ et ne prenant pas l’initiative de la décanter par un geste à la hauteur de l’attente d’une population désabusée. Il n’y a plus de temps à perdre!

 

Q : Qui a le dernier mot: le gouvernement qui a légalement quatre ans encore pour gouverner ou le peuple qui élit le gouvernement ?

Théoriquement c’est le peuple qui a le dernier mot mais dans la pratique, entre deux élections, le gouvernement du jour, élu au suffrage universel pour une période de 5 ans, a la légitimité d’agir et de prendre toute action en son nom aussi longtemps qu’il détient une majorité à l’Assemblée nationale. C’est ainsi que fonctionne la démocratie parlementaire, basé sur le système westministérien, qui est aussi le nôtre.

 

Q : Une véritable refonte du système, avec une réforme électorale et une nouvelle Constitution, ne s’avère-t-elle pas  plus que jamais nécessaire? 

À mon avis, c’est maintenant qu’il faut le faire et ce sera également un des moyens pour que le gouvernement démontre qu’il est à l’écoute du peuple, qu’il n’est pas insensible à ses cris de détresse et qu’il a bien compris les vœux de la population pour une refonte de notre système de gouvernance. J’appelle de tous mes vœux l’instauration par le Premier ministre ou par des élections, et sans plus tarder, d’une Assemblée constituante dont l’attribution principale serait la proposition et l’adoption d’une nouvelle Constitution pour le pays. Une Constitution qui sera le reflet d’un pays libre, moderne et démocratique, plus inclusif, plus égalitaire, plus juste et solidaire.  Cette Assemblée constituante devra être représentative des différents courants d’opinions et écoles de pensées politiques et réunir des représentants de la société civile et des ONGs, des juristes constitutionnels, des chercheurs, etc.

 

Q : Pensez-vous que l’électorat est suffisamment éclairé aujourd’hui pour qu’il puisse soutenir une vraie réforme électorale sans qu’elle ne heurte les sensibilités ? 

Cette Assemblée constituante dont je viens de vous parler permettra précisément de dépassionner les débats sur la question et de confronter les différentes propositions de réforme électorale pour aboutir à un consensus sur un système électoral qui pourra mieux refléter le choix de l’ensemble de la population.

 

Q : Le poste de Président de la République mérite-t-il d’être conservé dans un nouveau système électoral ?

Je serais curieux de savoir s’il existe dans le monde une République sans Président! Cependant, chaque pays décide des pouvoirs à attribuer à son Président et ceux-ci sont généralement inscrits dans la Constitution. Les pouvoirs du Président indien par exemple ne sont pas les mêmes que ceux détenus par le Président français. Leurs modes d’élections sont également différents. Le second est élu au suffrage universel tandis que le premier est élu par un collège électoral restreint. Les deux jouissent toutefois d’une autorité morale et d’un prestige tout à fait comparables auprès de leurs concitoyens respectifs.

Au moment de l’accession de Maurice au statut de République en 1992, des amendements ont été apportés à la Constitution pour faire de la présidence de la République la plus haute fonction de l’Etat, avec un Président garant de la Constitution et de l’unité nationale tout en ne lui accordant que des pouvoirs symboliques alors que les pouvoirs exécutifs étaient détenus par le Premier ministre et son cabinet ministériel. Peut-être devons-nous considérer la possibilité pour un meilleur partage des pouvoirs entre ces deux plus hautes institutions de l’État mauricien, ne serait-ce que pour une meilleure utilisation des ressources humaine et financière. Voilà donc un autre aspect de notre Constitution qui devrait faire l’objet d’une réflexion sérieuse par l’éventuelle Assemblée constituante.

 

Q : Pourtant, il y en a un qui se contente de s’occuper de son jardin alors que le pays passe par des moments difficiles. Peut-on se permettre de gaspiller ainsi des fonds publics dans des moments pareils ?

Il faut respecter la fonction de Président de la République. Moi, par principe, je ne commente jamais, en public, les dires et les faits de mes prédécesseurs ou de mes successeurs à la State House. Vous ne m’en voudrez donc pas, j’espère, de ne pas répondre à cette question.

 

Q : Un souhait ou un message pour le pays et la nation mauricienne ? 

Je souhaite que le pays retrouve le plus rapidement possible sa sérénité. Pour cela, il suffit au Premier ministre de faire un pas dans la bonne direction. J’invite à la construction et à la consolidation d’une société plus égalitaire où tous ont les mêmes droits, où les droits de chacun sont respectés, où règnent la justice et la méritocratie.

Oeuvrons ensemble pour l’émergence d’une société plus inclusive dans le respect de nos différences, en nous enrichissant de nos différences et en célébrant nos différences. Mettons un terme à nos préjugés à l’encontre de tel ou de tel autre groupe social ou communauté et évitons de faire quoique ce soit, par nos paroles ou nos actes, qui puisse servir de prétexte aux pyromanes pour attiser le feu communal et mettre le pays à feu et à sang.

Et, pour terminer, je prie pour que nous n’ayons pas, avec l’ouverture prochaine de nos frontières, une nouvelle vague de la pandémie Covid-19.