L’ancien Président de la République, Cassam Uteem, ne passe par quatre chemins pour dénoncer les critiques auxquelles font face la locataire de la State House. Celle-ci, soutient-il, ne doit des explications à personne. Des critiques ou reproches contre la Présidence, s’il y en a, doivent être débattues au sein du cabinet, et ce en toute confidentialité, et non pas en public. Cassam Uteem dénonce également le manque de leadership à la tête du pays. Il est temps, selon lui, pour que SAJ, qui est « physiquement amoindri et fragilisé », cède sa place à Pravind Jugnauth. Dans une telle éventualité toutefois, le pays devrait retourner aux urnes dans un délai d’un an afin d’éviter de projeter une image « monarchique et anti-démocratique » du pays. Le comportement de la police et le dossier Chagos sont également abordés dans l’entretien qui suit.
Zahirah Radha
Q : Vous qui avez démissionné de votre poste de Président sur une question de principe en 2002, comment réagissez-vous quand vous entendez que l’actuelle locataire de la State House songerait également à rendre son tablier présidentiel ?
R : En l’absence de confirmation officielle, l’information qui a circulé à propos de l’éventualité d’une démission du chef de l’État, est pour moi de l’ordre de la spéculation. J’éviterais donc de me perdre en conjectures.
Q: Est-ce éthiquement et moralement correct qu’un chef d’État soit sommé de s’expliquer devant le chef du gouvernement ?
R : Bien sûr que non ! Un chef d’État ne doit des explications à personne, sauf au peuple ou s’il décide, de son propre chef, de le faire, aussi longtemps que son comportement et ses actions sont conformes à la Constitution du pays. Il doit, bien entendu, avoir entre la Présidente et le Premier ministre des relations suivies et régulières, des relations de confiance et au sommet de l’État, outre l’échange d’informations souvent confidentielles et le partage de points de vue sur les affaires courantes ou importantes du pays, il pourrait également arriver que l’un et l’autre expriment une opinion contraire sur la voie à suivre dans une situation donnée ou sur la nécessité d’un déplacement vers tel ou tel pays. L’opinion de l’un et de l’autre pèse alors de tout son poids dans la prise de décision finale sur toute question tant soit peu ‘litigieuse’. Il est important de souligner que cela se fait hors de la vue du public, c’est-à-dire de façon très confidentielle.
- « Les agissements puérils, les déclarations intempestives, les actions irréfléchies ainsi que la mégalomanie de certains énergumènes propulsés au sommet de l’État ne doivent guère surprendre »
Q: Justement, Ameenah Gurib-Fakim a été ouvertement critiquée par certains au Conseil des ministres pour ses missions officielles et ses initiatives, entre autres. Le rôle et les responsabilités de la Présidence ne devraient-ils pas être clairement définis pour éviter ce genre de situation?
R : En ce qui me concerne, le rôle et les responsabilités de la Présidence se trouvent inscrits dans l’esprit et la lettre de la Constitution et donc, clairement définis. Il est, par ailleurs, malséant pour un ministre, quel qu’il soit, de porter sur la place publique des réserves ou des critiques sur la conduite du chef de l’État. Cependant, on ne peut empêcher que le Conseil des ministres débatte des sujets ayant trait à la Présidence. L’essentiel c’est de préserver la confidentialité des travaux du cabinet ministériel et non de prendre un malin plaisir de créer des fuites organisées.
Q : Au vu de ces récents événements, une réforme de notre système électoral, avec un partage équitable entre le Président et le Premier ministre ne s’avère-t-il pas plus que jamais nécessaire ?
R : Je ne parlerais pas de réforme de notre système électoral dans ce contexte précis. Je suis d’ailleurs en faveur du système actuel où le Président agit comme garant de la Constitution avec un rôle de rassembleur, au-dessus de la mêlée et au-delà des partis politiques, tandis que le Premier ministre et son cabinet ministériel détiennent eux le pouvoir exécutif. Toute autre formule risque d’aboutir à un système de pouvoir bicéphale, qui serait, de mon point de vue, une recette d’instabilité politique pour notre pays. Ce qui est toutefois souhaitable – et cela dans le but d’approfondir notre démocratie – c’est d’apporter, par un amendement constitutionnel, des attributions additionnelles à la fonction présidentielle notamment dans le domaine de la politique étrangère ou celui de la culture.
- « Pour éviter au pays cette image monarchique et anti-démocratique, une fois élu Premier ministre, Pravind Jugnauth devrait annoncer la date des élections générales dans un délai raisonnable de 6 mois à un an »
Q : Un Premier ministre qui n’est pratiquement au courant de rien concernant les affaires du pays. Cela vous choque-t-il ?
R : Bien sûr que ce serait choquant si tel était le cas ! J’ai, en d’autres occasions, exprimé le souhait que notre Premier ministre considère sérieusement son retrait à la tête du gouvernement car il lui arrive difficilement à gérer les affaires du pays, qui souffre d’un manque de leadership aigu – malgré la présence de 4 leaders de partis au pouvoir et d’une absence évidente de direction. Nous nous sommes retrouvés récemment à Lucknow, en Inde, et je l’ai trouvé très lucide mais physiquement amoindri et fragilisé. Il est grand temps qu’il prenne un ‘back-seat’ après avoir été si longtemps à l’avant-scène, au service du pays.
Q : Devrait-il céder sa place à son fils Pravind Jugnauth, au plus vite, dans l’intérêt du pays, vu son incapacité à gérer le pays au mieux de ses capacités?
R : La démission de sir Anerood Jugnauth (SAJ) permettrait au leader qui contrôle la majorité à l’Assemblée nationale, en l’occurrence Pravind Jugnauth, d’accéder au poste de Premier ministre. Celui-ci est incidemment le fils de SAJ et son accession au poste de Premier ministre, quoique constitutionnellement légale, risque d’être interprétée comme une passation de pouvoir de père en fils, telle que l’on connait dans des systèmes politiques dynastiques. Pour éviter au pays cette image monarchique et anti-démocratique, une fois élu Premier ministre, Pravind Jugnauth devrait annoncer la date des élections générales dans un délai raisonnable de 6 mois à un an. C’est du moins la suggestion que je me suis permis de lui faire.
Q : L’accession de Pravind Jugnauth au poste de Premier ministre permettra-t-il de ramener l’ordre et la sérénité au sein du cabinet ministériel ?
R : Cette accession à la primature donnera d’abord lieu, espérons-le, à un remaniement ministériel afin de reconstituer une équipe plus rodée et plus cohérente. S’ensuivront ensuite des consignes claires et nettes afin de redonner confiance aux acteurs économiques locaux et aux institutions financières internationales ainsi qu’une conduite des affaires plus professionnelle.
- « Chagos – Les Anglais ont voulu jouer aux plus rusés et ont réussi une fois de plus à nous prendre au piège »
Q : L’abus du pouvoir semble régner en maître ces derniers temps. A quoi devrait-on s’attendre, selon vous, quand un Premier ministre suppléant se permet de donner des instructions à la police pour « faire ramasse » des membres d’un parti de l’Opposition, en l’occurrence le PTr ?
R : Les agissements puérils, les déclarations intempestives, les actions irréfléchies ainsi que la mégalomanie de certains énergumènes propulsés au sommet de l’État ne doivent guère surprendre. Il faut poser la question de savoir qui sont ceux responsables d’avoir imposé au pays de tels ignares pour occuper ne serait-ce que pendant 24 heures le plus haut poste de commande. Nous sommes en passe de devenir la risée du monde entier. Le pire dans cet incident précis ne sont pas ces ‘instructions’ données à la police mais c’est surtout le comportement et la réaction de la police suite à ces ‘instructions’ qu’elle trouve ‘acceptables’ et peut-être même raisonnables !
Q : Les principes de bonne gouvernance promis par l’Alliance Lepep ne sont-ils qu’une utopie finalement ?
R : Les principes de bonne gouvernance ne sont pas utopiques. Leur mise en pratique est même essentielle dans l’administration des affaires publiques. Toutes les institutions fondamentales du pays doivent veiller au respect de la bonne gouvernance, surtout là où il est question de fonds publics. Pour cela, un ministère consacré à la bonne gouvernance et quelques projets de loi ne suffisent pas. Il y a toute une éducation et une formation à entreprendre. Le bon exemple doit venir d’en haut et c’est là où le régime actuel a jusqu’ici péché.
Q : Le comité parlementaire a décidé de soumettre sa résolution sur le dossier Chagos à l’ONU le plus vite possible au lieu d’attendre juin 2017, comme initialement prévu. Le gouvernement s’est-il laissé prendre par les Britanniques ?
R : Je n’ai jamais compris pourquoi à New York, en marge de la dernière Assemblée générale des Nations Unies, notre Premier ministre a d’abord accepté de rencontrer le Secrétaire d’État aux affaires étrangères britannique, il devait plutôt insister pour rencontrer son homologue britannique à Londres ou ailleurs, et ensuite de reporter à juin de l’année prochaine notre requête sur les Chagos auprès de la Cour internationale de Justice à La Haye. Les Anglais ont voulu jouer aux plus rusés et ont réussi une fois de plus à nous prendre au piège. Je suis bien évidemment en faveur de la décision prise par le comité parlementaire.
Il n’est pas faux de dire que depuis l’indépendance, les différents gouvernements, à une ou deux exceptions près, en 1982 et 2004, ont traité de façon amateur et sans grand enthousiasme le dossier Chagos. La volonté politique n’y était pas et on a même donné l’impression aux Chagossiens que l’État mauricien n’accordait que très peu d’intérêt à leur sort. Ce n’est que tout récemment, avec d’abord l’initiative de Navin Ramgoolam de faire appel à la CNUDM à propos du parc marin autour des Chagos, et SAJ ensuite, avec sa menace de saisir la Cour Internationale de Justice que de sérieux efforts ont été entrepris pour récupérer notre souveraineté sur l’archipel des Chagos et pour démontrer une solidarité agissante envers nos compatriotes Chagossiens. Encore que ni l’un ni l’autre ne considère que la présence d’une base militaire américaine sur notre territoire, à Diégo Garcia, soit une aberration! Seule Lalit a montré un intérêt soutenu, pendant de très longues années, pour la récupération des Chagos, pour une compensation adéquate aux Chagossiens et leur droit de retour dans leur île natale et pour le démantèlement de la base militaire de Diégo Garcia. Il faut aussi saluer le combat mené par Olivier Bancoult et son Groupe Refugiés Chagos qui ont courageusement affronté les autorités britanniques pour que leurs droits fondamentaux soient respectés.