Covid-19 : Le rapport du PAC décrypté

Kailesh Jagutpal : Un menteur récidiviste

  • « The Minister received instructions and we execute as executors of decisions, of policy decision », a révélé le représentant de la Santé, clouant au pilori le ministre qui a systématiquement nié s’être interféré dans l’exercice d’‘emergency procurement

Le ministre de la Santé, Kailesh Jagutpal, a été rattrapé par ses mensonges. En témoigne le rapport du ‘Public Accounts Committee’ (PAC) rendu public cette semaine. Bien que beaucoup a déjà été dit sur la saga d’‘emergency procurement’ et le scandale Molnupiravir, le rapport du PAC lève le voile sur ce qui s’est passé au 5ème étage du bâtiment Emmanuel Anquetil à Port-Louis ainsi qu’au ministère du Commerce au moment où Yogida Sawmynaden, colistier de Pravind Jugnauth, était encore ministre.

D’abord, ce rapport prouve encore une fois que le ministre Kailesh Jagutpal a menti au Parlement et à la population. On se rappellera que ses mensonges avaient précédemment été exposés en décembre 2021 quand le consul honoraire de Maurice à la Réunion, Younous Ravate, avait révélé avoir été personnellement remercié par le ministre de la Santé pour avoir facilité l’importation des médicaments Tocilizumab par la compagnie « CPN Distributors Ltd ». Cela après que Kailesh Jagutpal avait, dans un premier temps, nié toute ingérence dans cette affaire.

Revenons au rapport du PAC, signé par le député mauve Reza Uteem. Alors que le ministre de la Santé Kailesh Jagutpal s’était, à maintes fois, défendu dans l’affaire « emergency procurement », en prétextant qu’il n’était pas concerné, les révélations de la représentante de son propre ministère le prend carrément à contre-pied. Cette dernière souligne que les fonctionnaires ne faisaient que suivre les directives ministérielles. « When the Minister comes from the Committee, the Minister received instructions and we execute as executors of decisions, of policy decision ». Ce qui cloue au pilori Kailesh Jagutpal qui avait jusqu’ici plaidé l’ignorance dans toute cette affaire.

Le ministre de la Santé avait d’ailleurs déclaré, lors d’une conférence de presse le 22 décembre, que « jamais ene ministre alle gueter ki procurement process [..] jamais ene ministre interfere. Laisse sa section ki guet sa, li koner ki bizin fer ». Or, il s’avère dans le présent cas que c’est lui-même qui avaient donné ces instructions en sortant du ‘High Level Committee’ qui est, rappelons-le, présidé par nul autre que le Premier ministre Pravind Jugnauth. Ce qui semble également donner raison à l’ancien ‘Principal Pharmacist’ Brijendrasingh Nayeck. Ce dernier avait, lors de son interrogatoire, révélé que la décision pour l’achat de 999 000 comprimés de Molnupiravir auprès de « CPN Distributors Ltd » avait été prise en haut lieu, tout en soutenant qu’une situation d’urgence artificielle avait été orchestrée pour favoriser cette compagnie venant de nulle part.

Sawmynaden au pied du mur

Le ‘High Level Committee’ présidé par le Premier ministre peut-il continuer à prétendre ne rien savoir sur ce scandale ? La question se pose à la lumière de ce qu’a dit ce fonctionnaire de la Santé. Serait-ce la raison pour laquelle Kailesh Jagutpal n’a pas été sanctionné jusqu’ici ? Mais ce dernier n’est pas le seul fautif dans cette affaire. Un autre de ses collègues du cabinet ministériel était également impliqué jusqu’à la moelle dans ce scandale. Et les révélations contre lui sont encore plus ‘damning’. Il s’agit de l’ancien ministre du Commerce, Yogida Sawmynaden.

Le colistier du Premier ministre était aussi partie prenante de cette machinerie et transmettait également les instructions du ‘High Level Commitee’ aux fonctionnaires de son ministère. D’ailleurs, les révélations du représentant du Commerce sont encore plus troublantes puisqu’elles dévoilent carrément l’ingérence de l’ancien ministre Sawmynaden dans l’exercice de « procurement », défiant ainsi les « Public Procurement Regulations ».

« The instructions I received for the award of the contract for the nasal swabs and for the other two equipment were verbal instructions that I received from my Minister », a soutenu un officier du ministère du Commerce, en avouant qu’il ne pouvait agir contre cette décision puisque « an instruction to effect a policy procurement, emergency procurement in/during a pandemic is of a policy nature and has to be acted upon. I dutifully acted on that ».

Cela sous-entendrait-il que les fonctionnaires ont été contraints de se plier à des instructions ministérielles qui vont à l’encontre des règlements établis et des provisions de la loi ? Mais que ce soit à la Santé ou au Commerce, aucune instruction en écrit n’a été émise. Ce qui laisse ainsi présager que les ministres concernés, agissant eux-mêmes, selon les témoignages recueillis par les représentants de ces deux ministères, sur les instructions du ‘High Level Committee’ avaient bien calculé leur coup pour ne pas laisser des traces de leur sale besogne visant à favoriser des proches du pouvoir, tout en saignant à blanc les caisses de la Trésorerie publique.

Tout au long de cette affaire pourtant, le ministre de la Santé Kailesh Jagutpal, a « mislead » le Parlement et la population, en refusant catégoriquement de démissionner, et ce avec la bénédiction du PMO et du Premier ministre lui-même. En répondant à une PNQ le 10 décembre dernier, Kailesh Jagutpal disait que the « Public Accounts Committee is there to have all the answers ». Le PAC n’a pas eu toutes les réponses qu’il souhaitait, mais n’empêche que la petite combine de Kailesh Jagutpal, de l’ancien ministre Sawmynaden et peut-être même du ‘High Level Committee’, a été divulguée. Que fera maintenant tout ce petit monde qui a comploté pour déplumer la population ?

STC : simple agent payeur

Le rapport du PAC révèle aussi une relation incestueuse entre le ministère de la Santé et celui du Commerce. Il s’avère ainsi que la Santé n’a fait que 35% des achats liés au « emergency procurement » qui s’élèvent à hauteur de Rs 1, 7 milliard. Les frais des autres acquisitions ont été encourues par le ministère du Commerce à travers la STC. Cela suivant une instruction venant du ‘High Level Committee’ sur la Covid-19. Ce qui laisse perplexe, c’est que cette « instruction » n’était que verbale, ne laissant ainsi aucune trace sur papier. La STC, selon son représentant, n’a fait que suivre les directives de son ministère de tutelle et n’a agi que comme simple agent payeur.

Quant aux contrats alloués dans le cadre de ces « emergency procurements », plusieurs facteurs troublants ont été mis à jour et dont certains ont déjà été révélés dans le passé. Le PAC relève ainsi, à la lumière des informations fournies par les représentants de ces trois organismes, dont la Santé, le Commerce et la STC, que des contrats ont été alloués à des fournisseurs non-enregistrés. Aucun exercice de ‘due diligence’ n’a été fait, enfreignant ainsi le règlement 10 des « Public Procurement Regulations ».

Ce n’est pas tout puisque dans la plupart de ces cas, la totalité du montant des achats avaient déjà été payée aux fournisseurs avant même la livraison de ces équipements. Pire, contrairement aux pratiques établies, aucune garantie bancaire n’avait été fournie concernant ces paiements. « There was no proper contract executed for the supply of several medical products and no penalty clause for late delivery and for defective products », souligne le rapport du PAC, en ajoutant qu’un représentant du ministère de la Santé s’est contenté de répondre qu’ils ne faisaient que « saving lives » quand il a été confronté à ces nombreuses irrégularités.

Pénurie d’informations

Une tâche herculéenne. En effet, cela n’a pas été une mince affaire pour le PAC que d’obtenir des informations de la part des représentants des ministères de la Santé et du Commerce et de la ‘State Trading Corporation’ (STC) sur les achats de médicaments et des équipements effectués dans le sillage de la pandémie de la Covid-19. Ces derniers ont été convoqués à sept reprises pour être entendus. Mais il semble que le comité présidé par Reza Uteem a presque fallu leur tirer les vers du nez. Certains éléments ont aussi joué contre le PAC, l’empêchant d’avoir des informations cruciales et précises.

Retraite de deux cadres

Pain béni pour le gouvernement

Deux départs à la retraite ont joué en faveur du ministère de la Santé, semble-t-il. D’abord celle de l’ancien ‘Senior Chief Executive’ du ministère de la Santé. Sa remplaçante, Dalida Allagapen, a dit se fier aux informations contenues dans les dossiers. Cette dernière, sœur du ministre Alan Ganoo, a, on le sait, décidé de s’offrir une retraite anticipée mais bien dorée aussitôt que toute l’affaire Molnupiravir a éclaté.

Il y a ensuite eu le depart à la retraite d’un ‘Supervising Officer’. Les remplaçants de ces deux cadres n’ont pu ainsi que divulguer des informations que des fonctionnaires leur ont fourni. Conséquence : le PAC n’a pu faire la lumière « on such crucial matters as to who chose the suppliers, why were such suppliers chosen, what steps had been taken to ensure that we were getting value for money and why were records not properly kept in breach of Directive 44 ». Une situation qui évite, à coup sûr, de mettre le gouvernement dans une situation embarrassante.  

D’ailleurs, le PAC se dit étonné qu’aucune sanction n’a été prise suivant le rapport de l’Audit 2019-2020 bien que celui-ci ait relevé d’importantes irrégularités durant l’exercice d’‘emergency procurement’.

Pack & Blister

Un « advance payment » de Rs 77, 9 millions pour des respirateurs défectueux

Le PAC s’est aussi penché sur le scandale ‘Pack & Blister’. Tout comme dans les autres achats de médicaments et d’équipements médicaux sous « emergency procurement », aucune information n’était disponible sur le choix de ce fournisseur pour l’achat des respirateurs artificiels à travers la STC. Pourtant, un paiement de Rs 77, 9 millions avait été effectué à l’avance. D’ailleurs, au lieu des modèles « Aeromed VG70 », le fournisseur a livré des « AeroDuo ventilators » sans qu’une explication ne soit réclamée et sans que le prix ne soit revu.

Les respirateurs artificiels ne correspondaient pas aux exigences du ministère de la Santé, même après qu’ils aient été calibrés par des techniciens étrangers. Ils ont dû être renvoyés au fournisseur sans avoir été utilisés. Fait notable : jusqu’ici, le gouvernement n’a pas encore récupéré un seul sou de la somme de Rs 77, 9 millions déjà déboursée. Pour justifier cette commande, les représentants du ministère de la Santé ont soutenu « either we take it or we leave it. If we leave it, we are going to lose about 100 people a day ». Or, on sait tous que ces 50 respirateurs artificiels n’ont jamais pu être utilisés. Ce qui nous pousse à conclure que le gouvernement a bel et bien joué avec la vie des Mauriciens.

Reza Uteem 

« Pas le rôle d’un ministre de s’ingérer dans le ‘procurement’ »

Le président du PAC, Reza Uteem, est catégorique. « Ce n’est pas le rôle d’un ministre de s’ingérer dans le ‘procurement’. Or, des fonctionnaires ont soutenu avoir reçu des directives ministérielles pour l’allocation des contrats sous ‘emergency procurement’. Ce n’est pas normal », martèle-t-il. Le député mauve insiste aussi que les fonctionnaires ayant enfreint les règlements doivent être sanctionnés. Mais pas seulement. Il faut aussi que des mesures soient prises pour protéger les fonctionnaires contre les ingérences ministérielles.