Décembre a toujours été synonyme de fêtes de fin d’année, d’achats et de dépenses. Mais cette année-ci, les choses vont être un peu différentes. Avec la pandémie de covid-19, l’économie de plusieurs pays, y compris celle de Maurice, a été mise à genoux. Plusieurs personnes ont ainsi perdu leur travail, tandis que les prix des produits de base ont pris l’ascenseur. La question dont se posent les observateurs : comment se dérouleront les achats en cette fin d’année ? Jayen Chellum, le secrétaire-général de l’Association des consommateurs de l’île Maurice (ACIM), Reza Uteem, député du MMM et Manisha Dookhony, économiste, nous en disent plus.

Il y a fort à parier que beaucoup de consommateurs vont être prudents en cette période de fin d’année, car l’avenir est incertain. Beaucoup de gens feront donc attention aux répercussions qui vont se faire sentir l’an prochain.

Les Mauriciens vont généralement faire attention, note Reza Uteem. Il y aura d’un côté, une augmentation des prix qui se traduira par une baisse dans la consommation des produits de luxe.

Mais le député mauve dit toutefois avoir remarqué que le prix des fruits et des légumes à beaucoup diminué, cela vu que les hôtels ont cessé toute demande pour les fruits de saison.

Pour sa part, l’économiste Manisha Dookhony explique qu’il y a quelques semaines de cela, elle avait été questionnée par un journaliste sur les dépenses de fin d’année. « J’avais répondu que je ne pensais pas que les gens allaient beaucoup dépenser. Tâtant le pouls autour de moi, je voyais que les gens préféraient faire attention, car on ne sait pas de quoi demain sera fait. » Puis les soldes du ‘Black Friday’ sont arrivés… Et voilà, il y avait énormément de circulation autour de certains centres commerciaux populaires. « Alors peut-être que j’avais tort ! », admet l’économiste.

Elle note qu’heureusement, le chômage a été inférieur à ce que l’on craignait initialement, ce qui est peut-être dû avec les divers ‘schemes’ du gouvernement. Ce qui fait que la perte du pouvoir d’achat a donc été moindre, d’autant plus que le taux d’inflation est assez bas.

Autre facteur en faveur des dépenses de fin d’année : les personnes qui avaient l’habitude de voyager sont restées chez elles, ce qui fait qu’il y a eu des économies sur le budget familial.

Mais cette dernière explique que l’incertitude persiste. Il est donc fort possible que les gens restent prudents dans leurs achats. L’économiste dit connaitre beaucoup de gens qui ont décidé de mettre de l’argent de côté et de reporter certaines dépenses importantes, en particulier pour faire face aux incertitudes.

Au niveau des entreprises, les entrepreneurs restent prudents. Il a été noté que beaucoup d’entre eux sont parcimonieux quant à leurs dépenses de fin d’année, par exemple en rognant sur les dépenses telles que les cadeaux qu’ils avaient l’habitude de donner à leurs membres du personnel.

Une analyse par segmentation des consommateurs

Jayen Chellum, secrétaire-général de l’Association des consommateurs de l’île Maurice (ACIM), dit qu’avec son expérience, nous allons définitivement voir une différence cette année-ci, avec le danger d’une grande crise économique et sociale en toile de fond.

Il explique que la société mauricienne comprend des personnes qui ont préservé leurs emplois ; d’autres qui ont eu un salaire réduit ; tandis que d’autres encore ont été remerciés. De ce fait, la façon dont les gens dépensent leur argent va être en fonction dans le groupe auquel ils appartiennent.

Pour ceux qui n’ont pas été affectés par la crise, qui reçoivent leurs salaires normalement, ils vont définitivement continuer de faire leurs dépenses comme ils le font en temps normal, c’est-à-dire les achats de fin d’année, avec les cadeaux et autres.

En ce qui concerne ceux qui ont vu une réduction de salaire, mais qui ont toujours un emploi, ils seront dans l’incertitude car ils ne savent pas quelles seront les répercussions de la crise, et ce que l’avenir leur resserve dans les mois à venir. De ce fait, ils ne vont pas faire des dépenses comme dans les années précédentes, il y aura un certain discernement dans leur approche avant de faire leurs achats.

Puis il y a ceux qui ont perdu leur emploi. Ces gens, en cette fin d’année sont psychologiquement perturbés, et ils sont sous pression, surtout s’ils sont pères ou mères de famille, alors que leurs enfants ne comprennent pas qu’ils n’ont plus d’emploi. Ces parents sont les nouveaux pauvres et ils doivent faire de leur mieux pour joindre les deux bouts, ce qui est dur.

Il y a aussi ceux qui sont au bas de l’échelle, qui ont tout le temps fait face à des difficultés et qui n’avaient jamais les moyens de faire bombance en fin d’année.

Mais Jayen Chellum note qu’il se peut qu’il y ait un phénomène inverse, c’est-à-dire qu’il y aura certaines personnes qui ne savent pas ce que 2021 leur reserve… Alors ils essaieront de profiter le maximum cette année.

Selon Jayen Chellum, vu que beaucoup de personnes seront en difficulté, il y a aura peut-être une recrudescence dans les problèmes sociaux tels que les vols, que ce soit dans les rues, dans les supermarchés, les magasins, voire dans les maisons.

Une hausse des prix qui ne va nullement arranger les choses 

On a pu voir ces derniers temps une hausse dans le prix de plusieurs produits, ce qui va encore décourager les gens à dépenser pour les fêtes de fin d’année.

  • La dépréciation de la roupie mauricienne fait que les produits qu’on importe coûtent plus cher. Notre roupie a ainsi connu la dégringolade au cours de l’année écoulée en ce qui concerne le taux de change. Ainsi, l’euro s’échangeait pour environ Rs 39 à la même époque l’année dernière, et est maintenant équivalent à Rs 48, nous explique Manisha Dookhony, économiste.

Photo D'illusatration

  • L’augmentation du coût du fret Manisha Dookhony, Reza Uteem et Jayen Chellum, attirent notre attention sur le fait qu’il y a aussi eu l’augmentation du coût du fret, ce qui va rendre les articles encore plus cher.

 

D’après les discussions que Manisha Dookhony dit avoir eu avec des spécialistes de la logistique, il y a désormais moins de cargos qui s’arrêtent à Maurice. Cela a également nui à nos exportations.

Jayen Chellum note que dans le passé, les marchandises se livraient au bout de chaque 25 jours, ce qui n’est plus le cas. Maintenant, il faut compter 65 jours avant que les marchandises ne soient livrées à Port-Louis. Et les cargos sont plus petits…

Reza Uteem dit noter que ce n’est pas seulement les prix des produits alimentaires et les articles qu’on achète habituellement en fin d’année qui ont augmenté, il y a aussi les prix des produits pharmaceutiques.

Pour Jayen Chellum, il y a aussi le fait que le gouvernement ne veut pas prendre la décision de s’éloigner d’une politique économique libérale, notamment par le contrôle de prix.

Une petite famille dans la tourmente « On devra priver les enfants pour la Noël »

Nous nous sommes tournés vers une famille de quatre personnes à Beau-Bassin, pour savoir comment les gens en difficulté prévoient de dépenser pour cette fin d’année.

Prema (nom fictif), dans la trentaine, mère de deux enfants en bas âge, travaillait dans le secteur du tourisme, tandis que son époux travaille comme maçon. Ayant perdu son job après le confinement, elle nous explique que sa famille rencontre beaucoup de difficultés pour pouvoir joindre les deux bouts.

« Mes enfants sont tout petits. Comment vais-je pouvoir leur expliquer que ce mois-ci, je n’ai pas suffisamment d’argent pour leur acheter des cadeaux ? Comme les autres enfants, ils ont fait leur longue liste à l’intention du Père Noël », se désole Prema.

Son mari, qui est maçon, travaille uniquement quand le temps est beau et s’il y a effectivement du travail. Ce père de famille nous explique qu’après le confinement, les choses ont changé en ce qui concerne le travail. De plus en plus de gens se retrouvent à court d’argent et de ce fait, il n’y a pas le même volume de travail d’avant le confinement. De plus, les prix des produits alimentaires ont augmenté en flèche.

Neevedita Nundowah