Mare Chicose : Un dépotoir saturé

Après le grave incendie au dépotoir de Mare Chicose, des spécialistes dans le domaine de l’environnement tirent la sonnette d’alarme : il devient de plus en plus urgent de revoir notre politique d’élimination des déchets dans le pays, alors que Mare Chicose est déjà arrivée à saturation et que le volume de déchets produits par les Mauriciens prend une courbe ascendante. Hélas, le gouvernement compte continuer à utiliser Mare Chicose. Qui plus est, il n’a absolument aucune politique en matière de gestion des déchets.

Le centre d’enfouissement de Mare Chicose est en opération depuis 1997. Il est actuellement le seul dépotoir du pays, et recueille entre 480 000 et 500 000 tonnes de déchets par an. Selon le Pr Khalil Elahee, de l’Université de Maurice, il est déjà arrivé à saturation, et ce n’est qu’une question de temps avant que le gouvernement ne soit obligé de venir de l’avant avec des mesures alternatives, d’autant que la quantité de déchets générée dans tout le pays a connu une hausse ces dernières années. Un volume qui devient de plus en plus inquiétant (voir tableau ci-dessous). Comme on peut le constater, le volume de déchets solides mis en décharge par habitant a augmenté de 28,7 %, passant de 0,87 kg/jour en 2012 à 1,12 kg/jour en 2021.

Qui plus est, alors que nous parlons sans cesse de développement durable et d’une île Maurice verte, sur le plan pratique, il n’y a toujours pas eu un changement de politique à ce jour en ce qui concerne la gestion des déchets dans le pays. Qu’en est-il de nos décideurs politiques ? Le ministre de l’Environnement, de la gestion des déchets solides et du changement climatique, Le ministre de l’Environnement, Kavy Ramano, avait annoncé le 7 juillet 2020 en réponse à une ‘Private Notice Question’ (PNQ) à l’Assemblée nationale, que les autorités identifiaient des sites potentiels pour la mise sur pied de cinq centres supplémentaires à proximité des régions à forte densité de population.

Ces déchetteries, avait-il souligné, permettront aux ménages de se débarrasser de certains déchets qui ne sont normalement pas pris en charge par les autorités locales. Cette initiative, selon lui, pouvait ainsi résoudre le problème de déversement illégal des déchets dans des terrains vagues et assurer que ces déchets soient réutilisés et recyclés, conformément au concept d’économie circulaire. Mais hélas, rien ne semble avoir été fait jusqu’ici.

Constat accablant

Le député du PTr, Osman Mahomed, qui était responsable de Maurice Ile Durable (MID), un projet mis au rencart par l’actuel gouvernement, dresse un constat accablant de la situation. Il tire la sonnette d’alarme en ce qui concerne les déchets tels que les LED (diodes électroluminescentes) ou encore les déchets pharmaceutique ou médicaux, ainsi que bien d’autres déchets qui sont néfastes à l’environnement, et qui sont envoyés à Mare Chicose. « Le gouvernement a failli lamentablement dans tous les sens en ce qui concerne la gestion de déchets dans le pays », nous lance Osman Mahomed tout de go.

Selon lui, lorsqu’il était à la tête de MID, il avait pris l’initiative de fournir de bacs à compost aux maisonnées, dans le but de sensibiliser les gens à faire le compostage et le recyclage des déchets chez eux, ce qui aurait diminué le volume de déchets à Mare Chicose. Une initiative qui est hélas morte de sa belle mort avec le changement de régime. Qui plus est, le projet de recyclage a aussi été abandonné en 2016. « C’est déjà un recul pour le gouvernement », constate le député.

Il nous explique ainsi que cela fait déjà trois ans que le ministre de l’Environnement déblatère sur « l’économie circulaire ». Selon ce concept, les déchets sont recyclés et repris dans l’industrie. « Il y a eu toutes sortes d’annonces faites par le ministre au Parlement ou durant les conférences de presse ou ailleurs sur l’économie circulaire. Tout ceci est du bluff, dans le but de berner la population. Car lorsqu’on voit le bilan après trois ans, au lieu d’avoir un changement et un semblant d’amélioration, les choses se sont empirées », dénonce-t-il.

Qui plus est, selon lui, le gouvernement n’a absolument aucune vision ou plan stratégique en ce qui concerne la gestion des déchets ou l’implémentation d’une économie circulaire à Maurice.Pour illustrer ses propos, Osman Mahomed fait ressortir qu’au parlement ce mardi 29 novembre, il avait posé une question au ministre de l’Environnement, Kavi Ramano, par rapport à un test de l’air à Mare Chicose, test effectué par un laboratoire du gouvernement. Osman Mahomed avait ainsi suggéré que ce test soit effectué par un laboratoire privé pour qu’il y ait plus de transparence. Ceci pour démontrer, selon lui, que le gouvernement n’a pas un bon sens de direction pour voir les choses.

« Gouverner, c’est prévoir, et il faut voir plus loin que son nez. Toutefois, le manque de sérieux de la part du gouvernement sur ce dossier est effarant », déplore-t-il. « Il faut ‘walk the talk’. C’est à ce moment-là que la population saura que le travail est fait comme il le faut. Il faut vite trouver des solutions avant qu’il ne soit trop tard sur le plan environnemental », conclut-il.

Retard et relâchement

Pour sa part, le professeur Khalil Elahee, qui est dans le domaine de la gestion énergétique à la Faculté d’ingénierie de l’Université de Maurice, avance que Mare Chicose est effectivement saturée et qu’il faudrait arrêter de s’en servir comme dépotoir. Mais le gouvernement compte continuer à l’utiliser, de manière différente, et cela pour une dizaine d’années encore. Toutefois, le Pr Elahee insiste qu’à long terme, le gouvernement devra venir avec des alternatives concrètes.

Selon lui, une stratégie à considérer est la réduction du volume des déchets par habitant. Or, il y a trop de retard dans la mise en application des mesures concernant l’économie circulaire, le recyclage ou le compostage. « Il y a certainement eu un relâchement quelque part, et il faudrait se remettre dans le droit chemin », dit-il.

Selon lui, il n’y a jamais eu de politique de recyclage dans le pays, sauf un amorçage timide. Qui plus est, le compostage ne se fait pas à l’échelle requise. Malheureusement, selon lui, notre plus grand retard concerne l’absence de tri sélectif des déchets (connu comme ‘sorting’).

« Il y a aujourd’hui l’absence totale d’une politique nationale concernant la gestion des déchets. Il n’y a aucune vision dans ce domaine, alors qu’il aurait fallu avoir une vision intégrée. Par exemple, on peut quelque part utiliser les déchets à produire de l’électricité », dit-il. « Le problème est là, les solutions sont là, mais les responsable ne savent pas par où commencer, ce qui fait que nous nous retrouvons dans une situation difficile. »