Directive du PM au CEO de MT : Me Reza Uteem : « Sous quelle loi le PM a-t-il agi ? »

Après que le Premier ministre ait confirmé qu’il avait bien appelé Sherry Singh pour lui demander d’autoriser une équipe technique indienne d’avoir accès au ‘landing station’ de Baie-du-Jacotet pour des raisons de sécurité nationale, il convient de se poser des questions sur la légalité d’une telle démarche.

Le Premier ministre, Pravind Jugnauth, a confirmé mercredi soir qu’il avait effectivement appelé l’ex-CEO de Mauritius Telecom (MT), Sherry Singh, pour lui demander d’autoriser une équipe de techniciens de l’Inde de faire un ‘survey’ portant sur la sécurité nationale à partir de la station de Baie-du-Jacotet. Mais un Premier ministre en fonction peut-il donner de directives au CEO de Mauritius Telecom via un appel téléphonique, surtout lorsqu’il s’agit d’une chose aussi sensible que la sécurité nationale ?

Sollicité pour une interprétation légale de cet appel téléphonique, Me Reza Uteem, ‘corporate lawyer’, membre du MMM et parlementaire de l’Opposition, se demande d’emblée « sous quelle loi a agi le PM pour donner une telle directive au CEO de MT ? » Pour lui, le Premier ministre n’a pas le droit de téléphoner au CEO de MT pour lui donner de directives, même si celles-ci concernent la sécurité nationale. « Le CEO de MT est redevable au Conseil d’administration (‘Board’) de MT, mais pas au Premier ministre, ni à aucun autre ministre », nous dit  Me Uteem.

« À mon avis, cette question dépasse le cadre de ‘corporate law’. Les trois lois régissant la sécurité nationale dans le domaine de la technologie informatique, notamment ‘The Cybersecurity and Cybercrime Act’ de 2021, l’‘Information, Communication and Technologies Act’ et la ‘Prevention of Terrorism Act’ ne donnent aucun pouvoir au Premier ministre d’intervenir directement auprès du CEO de MT en lui donnant des instructions au téléphone », souligne-t-il. Se basant sur les différentes sections de ces lois, l’avocat explique que le PM aurait dû passer par le juge-en-chambre pour obtenir une autorisation au préalable avant de demander au CEO de MT de permettre à une équipe technique, de surcroît étrangère, d’effectuer un ‘survey’ sur la sécurité nationale.

« Il parle de ‘survey’. C’est quoi ce ‘survey’ ? », s’est-il demandé. Pour lui, Sherry Singh avait tout le droit de refuser de se soumettre à cette directive. « Si le Premier ministre craingnait que Maurice est sous une menace terroriste, il aurait pu se tourner vers la CounterTerrorism Unit (CTU), qui tombe sous le Bureau du Premier ministre ». « Pourquoi l’Inde ? », s’est-il demandé, avant d’ajouter, « à moins qu’il ne fasse pas confiance aux Mauriciens ».

Dans un autre ordre d’idées, Me Reza Uteem rappelle que nous avons une Constitution, qui garantit le droit à la vie privée de chaque individu. À son avis, même si le PM a recours au juge-en-chambre, il doit justifier sa demande, qui doit être ciblée mais non généralisée. « Le PM doit venir justifier pourquoi il doute qu’un groupe de personnes représente un danger pour le pays, et dans quelle mesure », a fait ressortir notre interlocuteur.   

ASH