Gaza : Comment Israël humilie l’ONU

Un cessez-le feu de cinq jours est intervenu vendredi. Il devrait permettre des échanges d’otages israéliens et palestiniens et l’arrivée de l’aide humanitaire dans le territoire meurtri. Mais globalement, l’Etat hébreu soutenu par les puissances occidentales n’a cure de l’organisation onusienne.

Rarement un Etat a fait à ce point fi de l’ONU, dont la principale tâche est de maintenir la paix, protéger les droits de l’homme, fournir de l’aide humanitaire et promouvoir le développement. Alors même que le territoire occupé de Gaza est le triste théâtre de toutes les violations, d’un régime d’apartheid imposé par Israël et des bombardements aveugles sur la population civile, l’organisation onusienne y est à peine audible tant ce dernier se permet de faire la sourde oreille aux récriminations qui lui sont constamment faites. Fin octobre, l’Etat hébreu, plus culotté que jamais, s’est même permis d’appeler à la démission du secrétaire général de l’ONU Antonio Gutteres. Le Portugais avait osé affirmer que « l’attaque du Hamas du 7 octobre ne venait pas de rien, mais de 56 ans de brutale colonisation ».

L’appel à la démission d’Antonio Gutteres a d’abord été lancé par l’ambassadeur israélien à l’ONU à New York, Gilad Erdan, dans un message posté sur X, l’ancien Twitter. « Sa déclaration selon laquelle les attaques de Hamas ne se sont pas produites dans le vide exprime une sympathie pour le terrorisme. Il est vraiment triste que le chef d’une organisation née après l’Holocauste ait des opinions aussi horribles », a écrit le diplomate israélien. Une telle arrogance ne serait pas passée sans faire de vagues s’il s’agissait d’un tout autre pays.

Si de telles insultes ont été proférées au grand jour, c’est que l’Etat hébreu jouit de la tacite bénédiction des puissances occidentales.  Evidemment pour Gilad Erdan, « l’ONU ne représente pas les membres les plus importants, et certainement pas les États-Unis, l’Allemagne, la France ou la Grande-Bretagne, qui soutiennent Israël ». Sur ce point, il n’a pas tort.

Gilad Erdan n’a pas parlé sans l’aval de Tel Aviv. Le ministre israélien des Affaires étrangères, Eli Cohen, qui devait rencontrer le secrétaire général de l’ONU la semaine passée, a annulé le rendez-vous. Et accusé Antonio Gutterres d’être « compréhensif face au terrorisme et aux meurtres ». Peu avant, ce dernier, comme un grand nombre de décideurs politiques et économiques mondiaux, avait dénoncé la punition collective infligée à Gaza par l’armée israélienne. « Je suis profondément préoccupé par les violations manifestes du droit humanitaire international auxquelles nous assistons à Gaza. Soyons clairs. Aucune partie à un conflit armé n’est au-dessus du droit international humanitaire. Rien ne peut justifier que des civils soient délibérément tués, blessés ou enlevés, ou que des roquettes soient lancées contre des cibles civiles. »

A ce jour, plus de 15 000 Gazaouis ont été tués par les bombes israéliennes. A la demande du secrétaire général de l’ONU d’un cessez-le-feu humanitaire immédiat, relayant les demandes de multiples organisations aux quatre coins du monde, le ministre Eli Cohen a opposé une fin de non-recevoir. Ses propos ont été repris et amplifié sur les réseaux sociaux. Déchaînés, certains internautes sont allés jusqu’à demander le démantèlement de l’organisation onusienne crée en 1945 sur les ruines de la Seconde Guerre mondiale.

Un cessez-le-feu de cinq jours a enfin été négocié non sans difficulté par l’intermédiaire du Qatar et est entré en vigueur vendredi. Il porte sur l’échange d’une cinquantaine d’otages qui sont entre les mains du Hamas, contre quelque 150 otages palestiniens détenus dans des prisons israéliennes. Durant cette courte période, l’aide d’urgence devait arriver à Gaza en passant par Rafah, la frontière entre l’Egypte et Israël. Dans une opération de nettoyage ethnique orchestrée par le gouvernement de Benyamin Netanyahou, plus d’un million de Gazaouis ont été contraints de se déplacer dans leur propre pays et survivent sans eau et sans accès aux soins.

Les organisations spécialisées de l’ONU –  Organisation mondiale de la santé (OMS), le Programme alimentaire mondial (PAM), l’Unicef, l’organisation pour la protection de l’enfance, le Commissaire aux droits de l’homme – et surtout l’Office des secours et des travaux de l’ONU pour les réfugiés de Palestine dans le Proche-Orient (UNRWA) subissent la même humiliation et le même mépris de la part de l’Etat hébreu. En imposant un siège total au territoire occupé de Gaza dans le sillage du 7 octobre, elles se sont retrouvées encore un peu plus dans l’impossibilité d’accomplir leur mission. Pour le Haut-Commissaire aux Droits de l’homme, un tel blocus est interdit par le droit international. Dans un communiqué de presse émis le 10 octobre, son patron Volker Türk a déclaré que « l’imposition de siège qui met en danger la vie des civils en les privant des biens essentiels à leur survie est interdites par le droit international humanitaire. » Israël ne fait même pas attention à de telles mises en garde.

Ce n’est pas uniquement depuis le 7 octobre 2023 que ces agences onusiennes ne peuvent pas fonctionner normalement, mais depuis 2007. En réalité, rien ne se passe dans le territoire occupé de Gaza sans l’approbation de l’armée israélienne qui contrôle tous les mouvements. Ces dernières années, elles ont certes trouvé un modus vivendi avec le Tshaal, mais le siège brutal – sans eau, sans électricité, sans carburant- imposé au lendemain du 7 octobre et ses conséquences sont inimaginables et inadmissible au 21e siècle.  Du reste, l’ONU a voté, non sans difficulté, une résolution exigeant un cessez-le-feu, mais Israël l’a ignorée, en toute impunité.

La révolte onusienne contre Israël n’est toutefois pas inexistante. En cette fin de semaine, l’OMS a appelé à mettre un terme aux meurtres des personnes innocentes à Gaza.  Pour le Dr Ahmed Al-Mandhari, directeur pour la région de la Méditerranée orientale, les meurtres et les mutilations des civils innocents dans la bande de Gaza doivent cesser. « Ces personnes innocentes n’ont pas commis de péché pour mériter ces épreuves qu’elles n’ont pas choisies et qu’aucun esprit ne peut imaginer », a-t-il protesté. L’OMS, dont une collaboratrice a été tuée par l’explosion d’une bombe israélienne à Gaza, se dit soulagée par le cessez-le feu, mais selon elle, il doit être permanent. L’agence onusienne a documenté 178 attaques contre les établissements de santé depuis le 7 octobre.  27 des 36 centres de santé sont actuellement hors service.

Le gouvernement de Benyamin Netanyahou n’entend pas non plus les appels de l’UNRWA. « Malgré toutes les images insoutenables en provenance de Gaza, il n’y a pas de réactions », a réagi son commissaire général Philippe Lazzarini : Dans une déclaration faite fin octobre, il a déploré le cap franchi par Israël dans la violence des bombardements israéliens et a dénoncé l’assimilation dangereuse de la population palestinienne de Gaza avec l’aile militaire de Hamas.

L’Unicef, l’organisation pour la protection de l’enfance, n’a pas non plus d’écoute auprès de Tsahal. Elle n’a pas cessé de dénoncer le blocus et les bombardements qui mettent la vie des milliers de personnes, plus particulièrement des enfants en danger. « La situation est catastrophique, marquée par des bombardements incessants et des déplacements massifs des familles. Il n’y a pas d’endroits sûrs », a dénoncé sa directrice Catherine Russell. Les enfants de Gaza ont besoin d’une aide vitale et chaque minute compte. »

Le fait est que depuis 1967, l’ONU a adopté plus de 250 résolutions sur le conflit Israëlo-palestinien et qu’Israël ne respecte pas. Sans compter quelque 70 autres qui n’ont pas été votées à cause du véto américain. C’est paradoxal pour un pays qui a lui-même vu le jour par une résolution onusienne, la 181 votée en 1949, qui confirme la reconnaissance internationale que le peuple juif méritait son propre Etat.

Par Ram ETWAREEA (Journaliste)