Gestion des ‘shelters’ Stéphanie Anquetil : « Opération lave la main en cours »

Le ‘Children’s Bill’ est un pas en avant, mais il reste quand même un long chemin à parcourir concernant le sort des enfants vulnérables. C’est le sentiment exprimé par la députée travailliste Stéphanie Anquetil. Elle déplore, par ailleurs, le comportement de la ministre de l’Égalité des genres, mais surtout « l’opération lave la main » de la gestion des abris pour enfants…  

 

Zahirah RADHA

 

Q : Annoncé depuis belle lurette, le ‘Children’s Bill’ est enfin prêt. Est-ce un ouf de soulagement ?

Évidemment ! Mais je dois quand même dire que la ministre de l’Égalité des genres n’avait pas vraiment de choix, surtout après avait fait de grandes déclarations peu de temps après sa prestation de serment l’année dernière pour se vanter que le ‘Children’s Bill’ allait être présenté alors qu’il avait quand même été annoncé sous le précédent mandat de ce gouvernement. Il y a aussi eu beaucoup de pressions de la part de la société civile, des ONGs et des partis de l’Opposition pour que le projet de loi soit enfin présenté. On peut maintenant pousser un ouf de soulagement et nous l’accueillons bien sûr.

 

Q : La ministre Kalpana Koonjoo-Shah parle d’une loi audacieuse. Partagez-vous son avis ?

Je ne suis pas le genre de personne qui critique de A à Z. D’autant que le projet de loi contient des points positifs. J’ai eu une réunion de travail avec un groupe de femmes travaillistes composé d’anciennes ministres, de juristes et d’éducatrices pour décortiquer le ‘Children’s Bill’ et nous avons retenu au moins deux gros amendements, dont celui concernant l’âge légal de mariage qui passe désormais à 18 ans. Par contre, nous avons noté un ‘loophole’ en ce qu’il s’agit du concubinage des enfants de moins de 18 ans.

 

Q : Pensez-vous qu’il fallait criminaliser le concubinage des mineurs ?

C’est un sujet qui nécessite des débats. On ne peut pas le mettre sous le tapis ou prétendre qu’il n’a pas d’importance. Regardons les choses en face. Le concubinage est une réalité qui prend de l’ampleur. Le nombre d’enfants en-dessous de 18 ans qui sont en concubinage a augmenté considérablement comparé à dix ans de cela. Et très souvent, le concubinage se fait avec le consentement des parents, certains partageant d’ailleurs le même toit. Raison pour laquelle nous pensons que cet aspect aurait dû également être inclus dans ce projet de loi. J’y reviendrai lors des débats budgétaires.

 

Q : Il y a aussi des inquiétudes par rapport à la grossesse précoce. Que se passera-t-il maintenant que l’âge légal du mariage passe à 18 ans sans aucune dérogation ?

La grossesse précoce demeure un sujet très effrayant. Il faut aller plus en profondeur pour situer le problème. Pourquoi y a-t-il autant de grossesses précoces dans le pays ? Nous pensons que c’est un problème qui découle de la cellule familiale, surtout quand il y a des familles brisées. C’est un problème de société bien réel qui met en danger la vie de beaucoup de jeunes filles. D’ailleurs, certaines ont même trouvé la mort.

 

Q : L’éducation sexuelle aurait-elle pu aider à contenir ce problème ?

Il y a eu une question supplémentaire à ce sujet au Parlement mardi. La ministre de l’Égalité des genres est montée sur ses grands chevaux en disant qu’elle en parlera avec sa collègue. Je suis alors intervenue pour demander que l’éducation sexuelle soit aussi enseignée dans des ‘shelters’. Il n’y en a pas actuellement, selon mes informations, alors que les enfants se trouvant dans les ‘shelters’, surtout ceux qui sont mixtes, sont hautement à risque. Je suis déconcertée par la façon dont la ministre s’y est prise en disant qu’il y a déjà des ‘workshops’ qui sont organisés tandis que c’est totalement faux ! Je pèse bien mes mots, il n’y a aucune éducation sexuelle qui ne se fait ni dans les écoles ni dans les ‘shelters’. Et il est grand temps qu’on le fasse !

 

Q : La création d’un tribunal des enfants est-elle un pas en avant ?

Oui et nous l’accueillons favorablement. Par contre, j’espère très sincèrement qu’on fera appel aux magistrats et aux juges qui ont de l’expérience pour y siéger. Je pense qu’il faudrait peut-être chercher des juges retraités qui ont travaillé dans la ‘family court’ pour donner un coup de main et former de jeunes avocats et avocates, car c’est un travail très délicat.

 

Q : Ne faudrait-il pas aussi qu’il y ait un desk spécial dans les postes de police pour traiter des cas d’abus ou d’attouchements contre les enfants et les femmes ?

Tout à fait ! Je suis entièrement d’accord qu’il faut un desk spécial dans les postes de police pour traiter ce genre de cas. Je viendrai avec des propositions concrètes en ce sens quand j’interviendrai sur le ‘Children’s Bill’ au Parlement. Je ferai également des suggestions concernant les écoles.

 

Q : La gestion des ‘shelters’ est souvent décriée. Ne faudrait-il pas que ces abris soient sujets à des règlements stricts ?

La priorité du ministère de l’Égalité des genres, de la protection des enfants et du bien-être de la famille devrait être la réduction du nombre des enfants se trouvant dans les ‘shelters’. Or, je suis surprise par la façon dont on enlève brutalement des enfants de leurs familles, certains pour des raisons injustifiées, pour les envoyer dans des abris. Ce qui explique que les ‘shelters’ sont surpeuplés. Le drame c’est qu’en raison de manque de places, des enfants sont envoyés dans des hôpitaux. En plein confinement, des enfants ont été contraints de rester pendant trois mois dans des hôpitaux alors qu’ils ne sont pas malades. Le pire, c’est qu’ils ne vont pas à l’école. Au lieu de les encadrer puisqu’ils sont déjà vulnérables, on les expose à davantage de problèmes.

Je suis bouleversée par les choses effroyables qui se passent dans ces abris. Une mineure de 15 ans s’est échappée récemment sans que sa famille n’en soit informée. Les droits de visites sont aussi source de problème alors qu’il aurait dû y en avoir régulièrement et cela dans un espace approprié et confortable et non pas dans un bureau et sous le regard d’un officier comme cela se fait actuellement. Le fonctionnement de la CDU doit également être revue.

J’’ai été choquée en constatant dans un journal récemment une ‘expression of interest’ pour la gestion des ‘shelters’. C’est une opération « lave la main », une façon de se débarrasser de la responsabilité de ces enfants pour la laisser aux ONGs alors qu’il incombe au ministère de l’assumer. D’ailleurs, j’ai entendu la ministre dire à la radio qu’elle ne s’occupe plus des ‘shelters’. Pourtant, la date butoir pour cette ‘expression of interest’ n’est que le 20 novembre, mais déjà elle s’en lave les mains. C’est incroyable ! D’ailleurs, même si la gestion de ces abris est confiée aux ONGs, le ministère ne peut pas s’en débarrasser puisque ceux-ci sont subventionnés par l’État. Il faut, par ailleurs, savoir qui a pris la décision de léguer la gestion des ‘shelters’ aux ONGs. Est-ce que le Cabinet a ratifié cette décision ?

Il est clair, pour moi, que c’est l’incapacité de la ministre à gérer ce problème qui la pousse à s’en débarrasser.

 

Q : N’est-ce pas quand même une partie importante de son portefeuille qu’elle délègue ou abandonne comme vous le dîtes ?

Justement ! Il faudra que la ministre réponde. Pourtant, une bonne structure et une bonne gestion aurait pu résoudre ces problèmes. Et puis, il faut qu’on arrête avec cette culture de nominations politiques. Il faut des personnes formées, dévouées, passionnées et sincères pour faire ce genre de travail, mais malheureusement tel n’est pas toujours le cas.

 

Q : Finalement, il reste encore une longue route à parcourir…

Définitivement ! Le problème, c’est que la ministre, qui se montre souvent nerveuse ou arrogante quand elle est interpellée, s’enlise trop dans des contradictions. Elle prétend avoir l’intérêt des enfants à cœur alors qu’elle est en train de démissionner de ses responsabilités envers des enfants vulnérables. D’ailleurs, je trouve impensable que cette même ministre n’a point élevé sa voix ou montrer un quelconque signe de soutien ou de solidarité quand des enfants issus de familles squatters avaient été expulsés de leurs maisons durant le confinement.

Je suis extrêmement préoccupée par ce qui se déroule dans les ‘shelters’ et par le destin de ces enfants, mais aussi par le sort des enfants des rues. Je n’ai pas encore lu les deux autres projets de loi mis à part le ‘Children’s Bill’, mais je n’ai rien vu concernant les enfants en situation de handicap. Cela m’attriste qu’on n’a pas encore eu un ‘Disability Bill’ alors qu’il était déjà prêt quand Mme. Bappoo était ministre.

Je dois aussi ajouter qu’on peut voter une grande loi, mais c’est son implémentation qui demeure la clé de son succès. J’ai aussi des interrogations sur le rôle de l’Ombudsperson. Franchement, je suis inquiète pour l’avenir des enfants vulnérables, mais je viendrai certainement avec des propositions.