Haniff Peerun : « Il y a collusion entre dirigeants syndicaux pour bénéficier des voyages »

Haniff Peerun préside aux destinées du Mauritius Labour Congress (MLC) depuis le 23 avril 2011. Également président du Government Urdu Teachers’ Union (GUTU) et de la All Workers’ Federation, il a participé, comme personne-ressource, à plusieurs ateliers de formation à l’invitation du mouvement syndical d’Afrique. Cet instituteur de profession a donc formé des syndicalistes algériens, soudanais, kenyans et sud-africains entre autres. Son engagement au service de l’être humain date du temps où il avait commencé à œuvrer au sein d’un club de jeunesse, des centres communautaires et des organisations socioculturelles. À travers le mouvement syndical, il se réjouit de pouvoir davantage lutter en faveur des plus démunis de la société.

 

Comment se porte le Mauritius Labour Congress (MLC) ?

Le MLC, la première confédération syndicale à Maurice, a été dirigé par de grands tribuns comme Emmanuel Anquetil, Bhageerathee, Lutchmun Roy et nous sommes le berceau du syndicalisme ici. Nous sommes une équipe très dynamique et nous continuons de défendre les droits des travailleurs bénévolement et avec la même sincérité et le même dévouement qui ont caractérisé le combat de ces illustres patriotes. Sous ma présidence, nous avons lancé une aile féminine et une aile jeune du MLC. Nous représentons ainsi les employés de tous les secteurs économiques du pays sans compter les fonctionnaires et les autres travailleurs du privé. Mon approche, c’est de déléguer les responsabilités, preuve que nous avons confiance en nos membres. Sous mon leadership et sur les conseils de mon comité exécutif, ils travaillent les dossiers déjà, signe que nous préparons les jeunes à prendre la relève et assurer l’avenir.

 

Même en 2016, le nombre de syndiqués est en baisse. Est-ce bon signe pour le mouvement syndical ?

Cette baisse est un phénomène mondial, mais à Maurice, le taux est élevé dans le service public contrairement au constat qui se fait dans le privé avec des employeurs qui découragent leurs employés à se syndiquer sous la menace d’être privés d’une promotion ou d’être licenciés. D’autre part, il y a aussi le fait que les travailleurs eux-mêmes ne veulent pas déplaire à leurs patrons sachant que se joindre à un mouvement syndical va fragiliser leur emploi.  Le MLC a demandé au gouvernement de légiférer pour qu’il y ait une obligation pour tous les travailleurs du pays de faire partie d’un syndicat.

 

Tous les syndicalistes ne bénéficient-ils pas d’un prélèvement découlant des cotisations syndicales reçues ?

Il y a deux types de syndicalistes. La première catégorie concerne ceux qui sont des employés, donc rémunérés par leurs employeurs. La seconde obtient sa paie du syndicat qui l’emploie. Au MLC, nous faisons partie du premier groupe avec des laboureurs, des infirmiers, des instituteurs, des employés de banque qui sacrifient leur temps et leur famille pour être au service de ses membres sur une base volontaire, donc sans la moindre rémunération. Pour la bonne marche du MLC, il nous arrive même de devoir contribuer financièrement…

 

Qu’est-ce qui explique ce manque de finances ?

De nos jours, nous remarquons qu’il y a eu une multiplication de syndicats, de fédérations et de confédérations. « Éna syndika pé mette solde kot travayer pé paye ène cotité bien minime ». Nous faisons face à des contraintes financières, nous avons des dépenses administratives parce que, entre autres raisons, le fonds du Trade Union Trust Fund (TUTF) est bloqué depuis deux ans. Nous avons déjà fait appel au ministre du Travail et des Relations industrielles pour revoir le fonctionnement du TUTF.

 

Il y a comme une pagaille dans le monde syndical à Maurice, non ?

Nous avons des syndicats et des fédérations qui font partie de deux ou trois confédérations avec pour seul but de gonfler le nombre de leurs membres. Cette affaire de « double/triple membership » est chose commune dans cet environnement. Je vous révèle qu’actuellement, il y a un président d’un syndicat qui est également président d’une fédération et d’une confédération. C’est son droit. Mais ce n’est pas possible que juste pour jouir de certains avantages, il est affilié à plusieurs confédérations. C’est un jeu dangereux. Au MLC, nous n’avons jamais pratiqué ce genre de syndicalisme.

 

S’il y a un avantage dont jouissent les dirigeants syndicaux, ce sont bien les voyages pour des formations, conférences ou séminaires à l’étranger. Y a-t-il une collusion entre certains pour profiter de cette aubaine ?

Au sein du Mauritius Labour Congress, nous avons établi une liste pour que chacun ait sa chance d’aller suivre des cours de formation à l’étranger. En ce qui concerne le BIT, c’est la politique du gouvernement de déléguer les dirigeants des organisations syndicales qui sont « most representative ». Ce n’est pas faux de dire qu’il y a une certaine entente secrète et malheureusement c’est ainsi. Nous sommes résolument contre et nous avons déjà fait savoir au ministre du Travail que chacun doit avoir sa chance. Le MLC a sa propre spécificité et nous représentons les travailleurs de tous les secteurs dont ceux de la santé, de l’agriculture, de l’éducation, des corps parapublics, de la fonction publique, des administrations régionales, du port, de l’aéroport, etc.

 

Et encore que le MLC ne soit pas le mieux représenté…

Le MLC a été la première confédération syndicale à être créée à Maurice. Chez nous, nos membres ne vont pas grossir artificiellement le nombre d’adhésions à d’autres syndicats. Nos syndiqués ne sont pas affiliés ailleurs.

 

Que faut-il pour une vraie unité syndicale ?

Il faut commencer par galvaniser les travailleurs afin de les unir autour de vraies valeurs syndicales. Les dirigeants qui sont arrivés au summum doivent savoir quand se retirer pour faire la place aux autres. Ce n’est malheureusement pas le cas à Maurice. C’est cette mainmise, cette manière de faire de certains dirigeants qui ont créé ce manque de confiance de la classe laborieuse dans les syndicalistes. S’il n’y a pas d’unité aujourd’hui, c’est aussi parce qu’il y a certains qui une fois bottés hors de leur ‘trade-union’, vont fonder une autre organisation pour continuer de jouir. J’invite les jeunes à se rallier derrière un mouvement syndical national comme le MLC et nous les formerons pour porter haut notre flambeau.

 

Arrivez-vous, puisque vous le faites bénévolement, à donner satisfaction à tous vos membres ?

Aucun syndicat n’existe sans des affiliés. Lorsque vous avez décidé de vous engager dans cette voie volontairement, il faut trouver le temps pour conseiller et guider les travailleurs convenablement et sincèrement. Il ne faut pas leur donner de faux espoirs avec le risque de les faire perdre leur emploi. Avec des dirigeants sérieux et qui respectent tous les idéaux afin de protéger les droits des salariés. Ainsi, un membre doit pouvoir obtenir satisfaction. C’est vrai qu’à cause de certaines contraintes, tout n’est pas possible, mais nous faisons de notre mieux, au péril de notre santé, de notre famille et de notre emploi pour donner le meilleur de nous-mêmes avec conviction et sincérité. Nos membres et nos collègues nous sollicitent pour des problèmes syndicaux, familiaux et sociaux. Et nous aidons toujours au mieux de nos possibilités.

 

Si nous devions aborder un aspect de la politique gouvernementale qui fait le plus souffrir la population, que diriez-vous ?

La population s’attendait à voir à l’oeuvre, au terme des dernières législatives, un gouvernement socialiste tant on avait promis monts et merveilles pendant la dernière campagne électorale. Les Mauriciens en avaient marre de l’ancien régime « sirtou parski travayers pas fine gagne narien ». Aujourd’hui, la population se retrouve dans la même situation. L’ordre et la paix, les valeurs morales, la situation sociale, tout se détériore parce que le pouvoir en place ne peut créer des emplois pour nos jeunes. Être détenteur d’un HSC paraît banal ces jours-ci puisque les milliers de gradués-chômeurs sont toujours dans l’attente d’un emploi. Les parents ont tout sacrifié pour envoyer leurs enfants à l’université, mais ce n’est que la déprime dans leur foyer. Ils sentent que leur confiance a été trahie d’autant qu’il n’y a pas de transparence et justice dans les recrutements et les nominations. Je reconnais que la situation n’est pas facile, mais le gouvernement a tout le temps et les moyens pour rectifier le tir. Espérons que les dirigeants du pays feront diligence.