[INTERVIEW] Salim Abbas Mamode : « Je ne laisserai pas mon électorat aller à l’abattoir »

« Le parti se laisse dicter par les BBB, nommément Badhain, Bodha et Bérenger »

Il a claqué la porte de la basse-cour bleue avec fracas, entraînant derrière lui plusieurs défections et un parti déplumé. Salim Abbas Mamode, député au no. 3, nous en dit plus…

Zahirah RADHA

Q : Pourquoi avez-vous démissionné du PMSD sans crier gare ?

Quand vous êtes membre d’un parti, il vous faut faire des concessions afin de pouvoir travailler dans le consensus. Mais depuis ces derniers temps, le leader m’a dit à plusieurs reprises qu’il me fallait, pour mon propre intérêt, que j’arrête de parler. C’était bien évidemment une menace à peine voilée. Mais l’épisode Okeeb a été la goutte d’eau qui a fait déborder le vase.

Kan éna difé dan ou lakaz, ou pas téléphone ou mama ou papa pou dire li ki éna difé. Ou téléphone pompier avant ! C’est ce que j’ai fait en me rendant à la police, comme je l’avais fait la première fois quand Okeeb avait été agressé et que son père avait été pris à parti. Ce premier épisode, bien que j’eusse aidé à apaiser la tension, avait malheureusement terminé par un crime et une effusion de sang. Cette fois-ci, il n’y a pas eu de tensions. Au lieu de me féliciter, Xavier Duval était agacé et il avait qualifié ma décision de « weird » sur le groupe WhatsApp du PMSD.

Quand j’ai tenté de lui expliquer ma démarche le lendemain, il ne m’en a pas donné l’occasion et il s’est montré très sarcastique à mon égard. Je ne sais pas pourquoi Xavier Duval est agacé quand j’interviens dans une affaire qui concerne les communautés musulmane et hindoue ou quand j’évoque des problèmes liés à ma circonscription qui regroupe Roche-Bois, Camp Yoloff, Plaine-Verte et une partie du Chinatown. J’ai aussi été sommé par le Whip de l’Opposition, Patrice Armance, de maltraiter le ministre Jagutpal lors de mon éventuelle intervention au Parlement sur le « Mental Health Care (Amendment) Bill » jusqu’à ce que le Speaker m’« ordered out ». Or, il n’est pas de mes habitudes d’agir ainsi ou de faire des discours qui sont à côté de la plaque.

C’est finalement avec beaucoup de regret que j’ai décidé de quitter le parti. Je croyais fermement pouvoir faire la politique autrement, mais j’ai réalisé que tout le monde n’était pas traité sur le même pied d’égalité au PMSD.

Q : Votre démission a été suivie de plusieurs autres défections. Était-ce un coup monté ou une décision prise sur un coup de tête ?

Il y a effectivement eu une série de démissions, et non des moindres, suivant la mienne. Toutes ces personnes ont démissionné pour la même et unique raison. Depuis que le PMSD n’est plus en alliance avec le PTr, je vous rappelle d’ailleurs que j’ai été élu sous la bannière PTr-PMSD et non pas celle du PMSD-MMM, nous apprenons les décisions prises par le parti à travers les médias. D’ailleurs, le lancement de l’Alliance de l’Espoir a été tenu sans qu’aucun membre du PMSD n’en soit au courant.

Ces derniers temps, on nous imposait des décisions alors que tel n’était pas le cas auparavant. Depuis que le poste de leader de l’Opposition lui est revenu, le PMSD est dicté par une force extérieure. On nous mettait devant des faits accomplis. Est-ce qu’il fallait que nous restions au parti quand il était clair qu’on se dirigeait vers un abattoir ? Est-ce que je devais arrêter de parler ou de défendre les intérêts de mes mandants parce que nos convictions n’étaient plus les mêmes ? Non, cela n’en valait pas la peine.

Q : À quelle force extérieure faites-vous allusion ?

De la nouvelle alliance. On recevait des directives de l’extérieur et on était censé ‘aret kozer et écoute zis seki leader dire’ !

Q : Vous voulez dire que le PMSD se laisse dicter par le MMM-RP et Bodha ?

Oui, le parti se laisse dicter par les BBB, nommément Badhain, Bodha et Bérenger. C’est eux qui prennent les décisions avant que celles-ci ne soient imposées et ratifiées au PMSD. On ne connaissait même plus les sujets de la PNQ. On l’apprenait à travers la presse. Tel n’a jamais été le cas auparavant.

Q : Vous insinuez que Xavier Duval n’est plus le maître à bord de son parti ?

Il est toujours le maître, mais les décisions sont prises ailleurs. J’espère que Xavier Duval réalise qu’il ne lui reste plus que quatre députés. Il risque de les perdre un par un s’il persiste dans cette voie. Lui qui aime parler d’opacité, c’est au PMSD qu’il y a de l’opacité maintenant.

Q : Avez-vous été le seul, parmi les élus bleus, d’avoir ressenti ce malaise dont vous évoquez ?

Il y en d’autres, mais par respect pour eux, je ne dévoilerai pas leurs noms. Je peux prouver, grâce à mon téléphone, le nombre de membres du PMSD qui m’ont témoigné leur soutien après ma démission. Je tiens d’ailleurs à préciser que ce ne sont pas des ‘dimoune ki pena rôle’ qui ont démissionné du parti, mais des anciens conseillers et des personnes ayant fait partie de l’équipe PNQ et du ‘Research Team’ qui ont claqué la porte. Xavier Duval a eu le culot de les insulter et de les traiter d’insignifiants sur sa page Facebook. Il aurait dû faire preuve de plus de modération et de reconnaître leur contribution dans les fonctions qu’il a occupées avant.

Q : C’est une véritable sortie en règle que vous faites contre votre ancien leader…

Non, ce n’est pas une sortie en règle, mais un constat. J’espère qu’il se ressaisisse dans l’intérêt du parti. C’est un parti qui a beaucoup contribué au développement du pays. Malheureusement, le PMSD d’aujourd’hui est devenu une succursale d’autres partis.

Q : Une succursale d’autres partis depuis la création de l’Alliance de l’Espoir ?

Les choses ont empiré depuis quelques jours avant ma démission. Je pensais pouvoir redresser la situation en prônant le dialogue avec le leader. Malheureusement, il n’a pas voulu être à l’écoute. Il m’a sommé de ‘ferme mo la bouche’ à plusieurs reprises.

Q : À quel sujet vous a-t-il demandé de ‘ferme la bouche’ ?

À tout ce qui a trait au no. 3. Mais aussi sur d’autres sujets sur lesquels je voulais m’entretenir avec lui.

Q : Êtes-vous conscient d’avoir contribué à fragmenter l’opposition ?

Est-ce moi qui ai fragmenté l’opposition ou s’agit-il de l’œuvre de l’alliance de l’Espoir ? Navin Ramgoolam a réuni les partis de l’opposition avant qu’il ne se retrouve subitement exclu de ce regroupement. Quel intérêt avait-il avant les élections municipales d’éclater cette entente alors que les élections générales ne sont prévues qu’en 2024 ?

Q : Vous avez été de ceux qui défendaient la position adoptée par le PMSD-MMM-RP et Bodha…

Mais pas celle prise vis-à-vis de Navin Ramgoolam ! Il faut reconnaître que c’était lui l’architecte de cette entente de l’opposition. On ne peut pas, du jour au lendemain, se débarrasser de lui. Vous réalisez l’hypocrisie qu’il y a eu autour de cette affaire ? Imaginez maintenant ce qu’ils nous réservent à l’avenir. ‘Ou pou gueter ou mem’, cette Alliance de l’Espoir s’éclatera tôt ou tard.

Q : Après le MMM, le PTr et le PMSD, ou poserez-vous maintenant vos valises ?

Je n’ai jamais été membre du PTr. Par contre, j’ai fait un long parcours au MMM. J’ai toutefois démissionné de ce parti pour les mêmes raisons que celles qui ont motivé ma démission du PMSD. Je m’étais engagé en politique pour défendre l’intérêt des ti-dimounes, d’œuvrer en faveur de l’unité nationale et de lutter pour que tout le monde soit traité sur le même pied d’égalité. Mais quand vos convictions ne sont plus partagées par un parti, que des politiciens s’adonnent à des calculs communaux et que vous n’êtes plus à l’aise, il n’y a qu’un seul choix : leve paké aller.

Quant à la question de ‘pose valises’, j’ai, à plusieurs reprises, fait état de mes états d’âme à mes deux colistiers Shakeel Mohamed et Eshan Juman. Je leur ai dit que j’en ai marre parce que la cause n’existe plus en politique. Elle ne se résume, aujourd’hui, qu’à des stratégies pour être au pouvoir, faire du ‘character assassination’ et d’attaquer sous la ceinture. Si vous ne pouvez plus défendre l’électorat qui vous a voté, que vous reste-t-il ? 2024 est loin…

Q : Mais c’est un aveu d’échec !

C’est un aveu d’échec d’une mouvance. Kot mo été kan zafer la pa pe traversé, pane kapave, voilà lettre démission.

Q : Vous avez démissionné du PMSD, mais vous êtes toujours député du no. 3 et voilà que vous dites qu’il vous est difficile d’opérer. Arriverez-vous à faire avancer la cause de vos mandants ?

Certainement. Je peux aujourd’hui lutter pour mes mandants sans prendre de l’ordre de qui que ce soit.

Q : Votre marge de manœuvre n’est-elle pas limitée ?

Non. Je vous donne un exemple. Il y a eu un problème sur un transformateur à la Route Militaire durant la semaine et il n’y avait pas d’électricité alors que nous sommes en plein mois du Ramadan. J’ai d’abord téléphoné sur la hotline, mais je n’ai pas eu de résultat. J’ai alors appelé Joe Lesjongard et il a réglé le problème. Si j’étais au PMSD, il m’aurait fallu chercher une autorisation avant que je ne puisse appeler Joe Lesjongard. Cet appel a créé beaucoup de remous d’ailleurs. Même Alexandre Duval a pris la peine, à 23h, de poster sur ma page Facebook qu’« ensam, tou possib ». La vérité, c’est qu’aujourd’hui, j’ai les mains libres.

Q : Les mains libres sont-elles synonymes d’avoir un pied dans le gouvernement ?

J’ai un pied auprès des autorités à qui je peux directement faire appel quand il y a un problème au no. 3.

Q : Une adhésion au gouvernement est-elle envisageable ?

Toutes les options sont possibles, mais ce n’est pas d’actualité. Je ne ferai pas d’activités politiques durant ces dix derniers jours du Ramadan. À ce stade, je n’ai rencontré ni Navin Ramgoolam ni Pravind Jugnauth pour discuter de la politique. Je le ferai après le Ramadan.

Q : La possibilité que vous rejoignez le gouvernement n’est donc pas à écarter ?

J’ai travaillé avec Pravind Jugnauth quand j’étais Lord-maire ainsi qu’avec Navin Ramgoolam quand j’étais conseiller. L’Entente de l’opposition marchait bien, mais l’Alliance de l’Espoir a tout gâché et celle-ci se dirige maintenant vers l’abattoir. Je ne peux pas laisser mon électorat aller de nouveau à l’abattoir.