Jean-Claude de l’Estrac : « Aucun autre GM n’a été aussi loin dans la volonté de neutraliser et d’asphyxier la presse »

Liberté de la presse

Le 3 mai 2023 marquait la trentième Journée mondiale de la liberté de la presse. Une commémoration qui intervient dans un contexte global de recul de la liberté de la presse à travers le monde, compte tenu du fait que les journalistes continuent à faire l’objet de pressions multiples dans l’exercice de leurs fonctions, quand ils ne sont tout simplement pas muselés, bâillonnés, ou même tués. Au sujet de Maurice, l’accent est mis sur les attaques que subissent nombre de journalistes mauriciens. « Les attaques en ligne contre les journalistes ont augmenté », peut-on dans le dernier rapport de Reporters sans frontières (RSF).

Quant au classement, Maurice se retrouve à la 63e place alors qu’il se trouvait, en 2020, à la 56ᵉ place sur 180 pays. Ce qui n’est pas surprenant, selon les professionnels de la presse. L’ancien rédacteur-en-chef du quotidien l’Express et observateur politique, Jean Claude de l’Estrac, trouve regrettable que le pays ait perdu plusieurs rangs dans le classement de RSF. « L’île Maurice a toujours figuré parmi les presses les plus libres et les plus indépendantes, c’est dommage que notre pays recule. Il y a une série de raisons pour expliquer cela. Un pouvoir politique hostile envers la presse écrite, comme cela a toujours été le cas à l’île Maurice. Mais aucun gouvernement autre que celui-là, n’as été aussi loin dans la volonté de neutraliser et d’asphyxier la presse », dit-il.

Dans son rapport, RSF évoque également des cas de censure visant les médias proches de l’opposition, comme l’interdiction pour Top FM, en décembre 2020, de diffuser pendant 72 heures. En plus de cela, ces médias doivent faire face à des blocages économiques, notamment à travers le boycott publicitaire pratiqué par le gouvernement, qui entraine des difficultés financières et met en danger leur survie.

Les supports publicitaires sont indispensables à l’existence de la presse. Leur boycott vise à nuire à une rédaction dont la ligne éditoriale n’est pas en conformité avec le pouvoir en place, ou avec certains gros groupes du patronat. Bien qu’ayant toujours eu lieu, ces cas sont désormais de plus en plus fréquents. « Même le gouvernement de Navin Ramgoolam le faisait quand il voulait ‘punir’ un média en particulier. Mais ce gouvernement-ci bat tous les records, » martèle Jean Claude de l’Estrac.

Les attaques systématiques de Pravind Jugnauth contre certains quotidiens et journalistes, peuvent avoir un impact sur le lectorat de ces journaux. De moins en moins de personnes en achètent et cela contribue à asphyxier les revenus des rédactions. Selon Jean Claude de l’Estrac, les journalistes doivent avoir un esprit critique envers les politiciens, puisque la presse est un contre-pouvoir, pour ne pas dire un chien de garde. « Le journaliste est l’œil et l’oreille du citoyen, il demande des comptes à ceux qui gouvernent, ils ne peuvent être copain-copain. Le journalisme est un service public. »

Si les Mauriciens lisent de moins en moins les journaux de nos jours, c’est parce que l’espace médiatique est dominé par les fréquences radio, ainsi que les plateformes numériques sur les réseaux sociaux. Jean Claude de l’Estrac estime qu’on arrive à la fin d’un cycle. Les journalistes de carrière partent à la retraite, et le marché est dominé par une nouvelle génération de journalistes nés à l’ère numérique. Jean-Claude de l’Estrac est d’avis qu’il faut laisser le temps aux jeunes journalistes de se former. « On recrute à un niveau inférieur de nos jours, et le talent n’est pas présent. Les journalistes curieux se font de plus en plus rares », avance l’ancien rédacteur-en-chef.

« Il existe de plus en plus de façons pour les journalistes d’avoir accès à la formation de nos jours, mais il est difficile de trouver des jeunes qui lisent et qui sont sérieux. La presse a de plus en plus besoin de gens ayant une culture générale solide. Les journalistes d’aujourd’hui ne sont plus des collecteurs d’information. Même si les gens préfèrent l’information instantanée, le rôle des journaux est de hiérarchiser ces informations, » rappelle Jean Claude de l’Estrac.