Livrés à eux-mêmes et ignorés des autorités

Les enfants des rues plus exposés que jamais aux fléaux sociaux

Vous avez peut-être entendu dire que tel ou tel enfant dans votre quartier est un enfant des rues, surtout si vous habitez un quartier décrit comme défavorisé. Il est difficile de dénombrer ces enfants avec exactitude car il y a plusieurs cas non décelés. Mais aujourd’hui, ces enfants sont plus exposés que jamais aux fléaux de la drogue et de la prostitution infantile. Qui plus est, les autorités ont souvent tendance à ignorer ce problème. Le point sur la situation.

Les causes du phénomène des enfants des rues

Shirley est une éducatrice de rue dans la région de Bambous. Elle a sous sa charge environ une vingtaine d’enfants qui ne sont pas scolarisés.

Quelle est la cause du phénomène des enfants des rues ? Pour Shirley, c’est grâce aux problèmes familiaux et à la négligence des parents, que des enfants se retrouvent dans la rue. En outre, il ne faut pas oublier le fait que plusieurs enfants n’arrivent pas à s’adapter avec le système scolaire, surtout ceux venant des quartiers défavorisés. Selon notre interlocutrice, il y a aussi le problème de ‘peer pressure’. Des enfants peuvent ainsi subir l’influence néfaste de leurs amis et finissent par les suivre dans les rues.

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Les dangers qui guettent ces enfants

Le CEDEM (Centre d’éducation et de développement pour les enfants mauriciens) est une ONG qui s’occupe essentiellement des enfants vulnérables, notamment les enfants handicapés, les orphelins, ceux qui sont victimes d’abus de toutes sortes, les enfants pauvres et les enfants des rues, grâce à plusieurs projets sociaux et éducatifs.

Les enfants des rues peuvent ainsi aller à l’école spécialisée du CEDEM, car ils ne peuvent souvent pas suivre les classes ‘mainstream’. Cette école leur offre la possibilité  de suivre des cours de rattrapage et de se livrer à diverses activités.

La directrice du CEDEM, Mme Sehenaz Hossain Saeb, ne cache pas son inquiétude, vu qu’il y a plusieurs cas non décelés en ce qui concerne les enfants des rues. Pour elle, ce sont des adolescents qui sont les plus concernés. « Avec les fléaux qu’il y a en ce moment, comme la drogue et la prostitution infantile, les enfants sont plus exposés que jamais », nous explique-t-elle. « Ce qui attire les enfants, c’est l’argent facile et c’est très grave. C’est aussi un facteur à prendre en considération », estime la directrice du CEDEM.

Selon cette dernière, ce sont les régions défavorisées et celles qui manquent de structures et d’encadrement, entre autres, qui sont les plus concernées.

Un manque de travailleurs sociaux pour se pencher sur ce problème

Corine Daumoo est une travailleuse sociale dans la région d’Anse Jonchée et de Bambous-Virieux, dans le sud-est du pays, et cela depuis deux ans maintenant. Elle nous livre son constat de la situation. « La situation des enfants des rues est plutôt difficile. La plupart du temps, ils marchent pieds nus. Souvent, ils vont à l’école sans manger. C’est désolant », décrit la travailleuse sociale.

Selon les estimations personnelles de Corine Daumoo, rien que dans les localités où elle travaille, il y aurait plus d’une centaine d’enfants des rues. « En tout cas, dans ma localité, je note qu’il y a beaucoup d’enfants des rues », nous dit-elle.

Qu’est-ce qui explique cette situation ? Selon Corine Daumoo, beaucoup de parents n’assument pas leurs  responsabilités, faute d’un emploi fixe.

Cette travailleuse sociale tente par tous les moyens possibles de venir en aide à ces enfants. Elle n’opère pas dans le cadre d’une association et doit dépendre de l’aide d’autres personnes pour qu’elle puisse venir en aide aux enfants des rues. Corine Daumoo fait aussi ressortir le manque de travailleurs sociaux. « Il aurait dû avoir plus de travailleurs sociaux pour pouvoir mieux encadrer ces enfants. Chaque travailleur social pourrait aider à sa façon à sortir ces enfants de cet enfer. Or, valeur du jour, je suis la seule à m’occuper des enfants de Bambous Virieux ».

Pour elle, ce problème n’existe pas seulement dans son endroit mais aussi un peu partout dans le pays. Elle pense que le phénomène s’est aggravé avec la pandémie de covid-19. Qui plus est, au niveau local, avec le naufrage du Wakashio et le déversement d’hydrocarbures, plusieurs pêcheurs du littoral sud-est se sont retrouvés sans emploi, aggravant ainsi la précarité de ces familles. Les premiers à en souffrir : les enfants.

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Quand les autorités s’en lavent les mains

Shirley, l’éducatrice de rue de Bambous soutient aussi qu’il n’y a pas grand-chose que les autorités font pour ces enfants. Ce que la travailleuse sociale Corine Daumoo tient aussi à dénoncer pour sa part : l’apathie des autorités envers ces enfants de rue.

De son côté, Amanda déplore le manque de financement aux ONG dans ce secteur. Elle avance aussi que bien qu’il y ait des lois en faveur de ces enfants, c’est l’implémentation de ces lois qui est nécessaire, et de ce côté-ci, il y a un retard. Elle estime qu’au lieu d’amender la loi encore une fois, il serait plus important d’implémenter les lois existantes. Elle devait conclure en disant que « Il y a des choses concernant les enfants des rues qui a sont hors de contrôle. »

Le travail d’une ONG qui s’occupe des enfants des rues

SAFIRE (Service d’accompagnement, de formation, d’insertion et de réhabilitation de l’enfant) est une ONG qui vient en aide aux enfants en situation de rue dans la République de Maurice. Elle doit son existence suite à un programme gouvernemental qui avait été mis en place une quinzaine d’années de cela.

Mise sur pied en 2006, l’association compte 13 employés. Elle travaille directement avec environ 350 enfants de rue, dans différents endroits, dont Baie-du-Tombeau, Triolet, La Valette, Bambous, Camp Levieux, Beau-Vallon, Camp Ithier, Bel-Air et Caroline, entre autres. Chaque enfant a un dossier, et fait l’objet d’un suivi par un éducateur.

L’ONG s’occupe des enfants qui ont atteint l’âge de 10 ans. Une responsable, Amanda, nous indique que l’ONG se concentre plus sur les adolescents entre 13 et 15 ans. Pour elle, c’est l’âge critique où ces derniers sont le plus à risques. « Nous avons eu des cas où des filles ont déserté le toit familial dès l’âge de 13 ou de 14 ans », nous dit-elle.

Cette responsable de l’ONG fait ressortir que chaque période semble privilégier un certain fléau. Ainsi, à une époque, on avait tiré la sonnette d’alarme, vu il y avait des jeunes qui consommaient de l’alcool. « La tendance actuelle : les jeunes restent toute une journée sans rien faire, et deviennent ainsi les cibles des dealers de drogue », dit-elle.

SAFIRE a aussi une ‘ferme pédagogique’ à Verdun pour les enfants qui souhaitent recommencer à apprendre à zéro. Ces enfants peuvent ainsi apprendre l’agriculture et l’élevage des animaux. Ils ont aussi accès à différentes activités, autour des thèmes de la sexualité et la drogue. C’est toute une campagne de prévention, selon Amanda.

Par ailleurs, l’ONG lance actuellement un projet pour accueillir les enfants qui souhaitent venir habiter avec eux.

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La difficile prise en charge des enfants des rues

Shirley, l’éducatrice de rue de Bambous, nous explique que le travail se fait en amont, sur le terrain. Un travailleur social va sur le terrain, pour observer les enfants suspectés d’être des enfants des rues. Ces derniers sont ainsi repérés. « Si à plusieurs reprises, on voit un enfant dans la rue durant les heures de classes, alors il y a un problème », nous explique l’éducatrice.

L’approche d’un enfant des rues est aussi importante. « Il y a tout un processus de relation de confiance qui est alors établi avec l’enfant », nous explique Amanda, de l’ONG SAFIRE. Des activités lui sont proposées, d’après ce qu’il aime faire, comme par exemple le foot.

Après qu’une relation de confiance ait été établie avec l’enfant, il y un accompagnement psychosocial, qui commence à la base, pour comprendre le problème de l’enfant. Il y a ensuite un accompagnement éducatif pour s’assurer que l’enfant va toujours à l’école. Il y a aussi un accompagnement médical, afin d’accompagner et de soutenir les enfants dans les centres de santé publics quand ils sont malades. Il y a même un accompagnement des enfants dans une cour de justice.

« Nous suivons un plan d’action spécifique. Le suivi de l’enfant peut continuer même jusqu’à l’âge de 18 ans. Tout dépend de la situation familiale. À un moment donné, nous laissons l’enfant un peu libre car il doit savoir faire son ‘empowerment’ lui-même », nous dit Amanda. « Notre travail, c’est la réintégration de ces enfants », nous résume Shirley. Selon elle, il est ainsi important de travailler beaucoup aussi sur le comportement de ces enfants.