Manifestations et grèves: Efficaces ou stériles ?

Une pluie de grèves et de manifestations s’abat sur le pays. Alors que Bhoopa Brizmohun, secrétaire du Government General Services Union (GGSU) et le président de ce syndicat, Rashid Imrith ont entamé, de lundi à jeudi, une grève de la faim à Emmanuel Anquetil Building à Port-Louis, les membres du Secondary Education Common Front (SECF) et la Nursing Association ont tenu, eux aussi, leur manifestation cette semaine. Ils manifestent leur colère contre le rapport du PRB qui est, selon eux, injustes envers les fonctionnaires. Dans plusieurs secteurs, les syndicalistes sont nombreux à utiliser leur arme qu’est la grève, pour faire entendre leur voix aux autorités.

La grève est une action syndicale qui ne date pas d’hier. Jack Bizlall, syndicaliste, décrit la grève comme ceci : « Faire la grève, c’est arrêter de travailler collectivement, ralentir son rythme de travailler, limiter son travail aux strictes définitions de son contrat, ne plus parler, ne plus sourire…Ce sont là autant de moyens de protester pour diverses raisons ». Lui-même organisateur de plusieurs grèves, explique que parmi les multiples raisons qui peuvent motiver le travailleur à entamer une grève, « il y a le besoin de faire respecter son droit et sa liberté ». Jack Bizlall mentionne cinq types de grève : La grève spontanée, grève insurrectionnelle, grève économique, grève politique et la grève dite de dernier recours.

 

Les premières grèves

C’est en 1921 qu’a eu lieu le premier conflit industriel quand les cheminots de Plaine Lauzun ont fait la grève. Dans celle du juillet à septembre 1943, plusieurs morts étaient à déplorer quand les forces de l’ordre s’en ont pris aux grévistes. Un garçonnet de 10 ans et une femme enceinte, Anjalay Coopen, ont perdu la vie dans ce combat. Soulignons que le syndicaliste Hurryparsad Ramnarain avait participé à cette grève de la faim pendant 26 jours.

En août 1971, la grève dans le transport public suivie d’une grève généralisée affectant l’usine à sacs, le port et le CEB, entre autres, pour demander une augmentation des salaires.   Plusieurs autres grèves se sont suivies, notamment dans le port et l’industrie sucrière. Les travailleurs de ces secteurs revendiquaient leurs droits en tant que tels.  Il est à noter que trois grandes grèves ont eu lieu, soit en août, novembre et décembre de la même année. Une vague de manifestations avait emporté le pays. De leur côte, les forces de l’ordre tentaient tout pour calmer l’effervescence des travailleurs. Le gouvernement d’alors décide de décréter la grève illégale, et les principaux dirigeants syndicaux sont arrêtés. Parmi les dirigeants, on retrouve Paul Bérenger qui fut arrêté et traduit en justice. Une grève dans les collèges secondaires privés avait été déclenchée en février 1983. Deux ans plus tard, la zone franche est paralysée par un mot d’ordre de la Fédération Des Travailleurs Unis (FTU) qui proteste contre la façon de faire d’un cadre envers des ouvrières dans une usine. Le gouvernement a été contraint d’envoyer la Special Mobile Force (SMF) sur les lieux du travail pour assurer l’ordre. L’ex-syndicaliste Soodhun et deux autres travailleurs sont arrêtés.

bizlall

Jack Bizlall : « Il faut repenser le syndicalisme à Maurice »

Lui-même témoin des grandes grèves, Jack Bizlall a fait son entrée dans le syndicalisme en 1972. Il a débuté en tant que membre de l’Union of Primary School Teachers (USPT) et  a mené bien des combats pour le bien-être des travailleurs mauriciens. « Auparavant il n’y avait que 70 dirigeants syndicaux, alors qu’aujourd’hui, il faut compter dans les 4 000. C’est à partir de 1973 que le nombre des syndicats a multiplié. La loi de 1973 a démocratisé la lutte syndicale», soutient-il. Le syndicaliste ajoute que de nos jours, pour construire un syndicat, il faut au moins 30 membres. « Il y a une conspiration derrière les grèves. Certaines personnes ne savent même pas pourquoi elles font la grève ». À propos d’une différence qu’il relève dans le syndicalisme par rapport aux années précédentes, Jack Bizlall propose «qu’il faut repenser le syndicalisme à Maurice ».

 

Rapport PRB : Grèves de la faim et Manifestation

Bhoopa Brizmohun «Nous finn commence enn combat nous pas pou céder tant ki li pas abouti »

DSC_3756

Bhoopa Brizmohun, sécrétaire du Governement General Services Union (GGSU), et le président de ce syndicat, Rashid imrith, en cimpagnie du syndicaliste Feizal Ally Beegun

La secrétaire de la Government General Services Union (GGSU), Bhoopa Brizmohun, est catégorique : « Nous finn commence enn combat nous pas pou céder tant ki li pa abouti ». Le président de la (GGSU) s’est joint à elle dans cette grève de la faim depuis mercredi. Selon eux, ce rapport « éna boucoup anomalies, bann irrégularités, bann inconsistencies, increment in diminuer et equal work for equal pay pas respecter ». Outre les anomalies qu’ils contestent, ils se plaignent du fait que le ministre de la fonction publique, Alain Wong, leur aurait dit que son ministère allait s’occuper de ces anomalies. « Minister Fonction public pas sipozer passe par so minister pou fer sa. PRB sipozer enn organisme indépendant sa. Faudrer pas ki minis la laisse li dicter par lezot », ont-ils lancé. De son côté, Bhoopa demande que le rapport donne l’opportunité aux fonctionnaires qui ont  entre 30 et 40 ans de service d’avoir une promotion dans son travail. « Pendant 30 ans nou finn lutter, bizin ena equal remuneration…bann travayer éna zot dignité », lâche-t-elle.

Vikash Ramdonee, président du Government Secondary School Teachers Union (GSSTU), et membre du SECF qualifie le rapport de ‘dénigrant’ envers les enseignants secondaire. « Sa rapport la pas reconnait contribution bann professeurs secondaire. Depi 1998 rapport la in continuer dénigrer nous, zot in tir bann privilèges ki nous ti pe gagner. Zott dir nous trop qualifie pou ki zot récompense nous. C’est PRB ki finn crée sa image la ki professeurs gagne trop boucoup congé et sa finn couloute nous enkor. Nous rejette so rapport, nous dimann pou fer enn nouvo rapport et si bizin fer enn lot spéciale pou professeurs », lance-t-il. Cette manifestation a vu la participation d’une centaine d’enseignants dans les rues de la capitale qui criaient : « Nous pas le 34 périodes », pour contester le rapport qui préconise que les enseignants secondaires auront plus de travail.

eric_ng

Eric Ng« Plus de Rs 10 millions de perte pour un jour de grève dans le port » 

Eric Ng, économiste,  explique qu’une grève peut causer de graves répercussions économiques. « Cela dépend de quel genre de grève il s’agit et dans quel secteur. Par exemple, un jour de grève dans le port peut causer une perte d’une dizaine de millions de roupies au pays. Quand il y a une grève dans le port, cela paralyse l’import/l’export, qui contribue 65% du PIB. À Maurice, on importe beaucoup de marchandises qui viennent par cargo. Chaque jour qu’un bateau reste dans le port, il y a des deadlines à respecter  et des frais à payer, on parle là des milliers de dollars. Une grève dans le secteur manufacturier affectera directement la production. Par conséquent, le manufacturier subira des pertes colossales et peut même dans certains cas voir son contrat annulé », dit-il.

 

Derniers recours ?

reaz_chuttoo_2

Reaz Chuttoo : « Double effet tranchant » 

Reaz Chuttoo, secrétaire de la Confédérationdes Travailleurs du Secteur Privé (CTSP), travaille à plein temps. Il nous confie ses diverses fonctions : conseiller légal, négociateur syndical et il est aussi formateur au niveau national et international. Le syndicaliste s’élève toujours contre la dictature et tente de trouver une solution face aux injustices. Selon Reaz Chuttoo, entamer une manifestation ou une grève reste toujours le plan B car tout d’abord, il est indispensable d’argumenter et de négocier autour d’une table, en compagnie des personnes concernées afin de trouver un accord. Les manifestations et les grèves sont mises en place pour conscientiser la population ainsi que le gouvernement en particulier. « En effet, ce projet a un double effet tranchant. Si toutefois, rien n’a été fait après ces interventions, nous, les négociateurs syndicaux, nous subirions des pressions de la part les interlocuteurs et de l’autorité ».

atma-shanto

Atma Shanto : « Seul recours »

Atma Shanto, négociateur de la Fédération des Travailleurs Unis, pense qu’une grève ou unemanifestation est le seul recours face à l’injustice contre les travailleurs. « Nous avons le droit de nous exprimer librement et de démontrer notre mécontentement vis-à-vis des patrons ». Il affirme qu’en 1975, la loi de Protectionlabour Act a été intégrée dans le pays grâce à plusieurs grèves, mais malheureusement, cette loi a été révoquée, et désormais les patrons ont plus de pouvoir. Une grève amène  toujours du changement et du progrès, selon Atma Shanto. Il nous confie qu’il faut toujours avoir une négociation entre le syndicaliste et le patron avant d’entamer une procédure telle que  grève et manifestation. « Une manifestation est une action visuelle et physique et  cela est un plus pour changer l’opinion des personnes concernées aussi bien que la population ». L’annéedernière, une grève a été organisée pour  avoir le droit de faire la grève.Cependant il y a eu une intervention du ministre du Travail et le cas a été référé à la en cours. Eventuellement plusieurs personnes ont voté en faveur de la grève.

 

Nursing Association : « Une protestation contre le rapport du PRB »

Gondeea, secrétaire générale de la Nursing Association, nous confie qu’une manifestation ou une grève est parfois décevantes car malgré tous les efforts, les problèmes restent irrésolus. La manifestation que l’association avait organisée l’an dernier devant l’hôpital du Nord, n’a pas été un succès. « C’était un transfert barbare, sept membres et un président de la Nursing Associations ont été transférés sans consultation avec des syndicalistes. Le but était de les aider à retrouver leur poste vu leurs qualifications et expériences, malheureusement cela n’a pas été abouti ».  La protestation contre le rapport du PRB est pour conscientiser ceux qui sont concernés, selon Gondeea. « Déception, est le mot pour décrire ce rapport. On est insatisfait car les diplômés de la Nursing Association ainsi que ceux affectes autres secteurs méritent mieux ».s

 salim-muthy

BAI : Marche pacifique le 1er Mai

Selon Salim Muthy, travailleur social et porte-parole de l’association des victimes de la BAI, le gouvernement aurait promis un remboursement de leur capital en juin 2016, mais il aurait annoncé que l’intérêt serait déduit. L’association des victimes a donc organisé une manifestation le lundi 11 avril, devant le bâtiment de la National Property Fund Ltd pour protester contre les actions de la BAI. Une deuxième manifestation a eu lieu vendredi alors qu’une marche pacifique est aussi prévue le 1er Mai. Salim Muthy souligne que cette marche pacifique sera aussi dédiée à l’injustice, le crime, le chômage, la corruption et l’endettement. Il espère sensibiliser la population ainsi que les politiciens. « En 2014, grève de la faim ti p faire ravage mais dapré céki mo p trouver 2016 osi pou rempli avek la grève parski nou but c ki l’autorité tane nou la voix et c l’ultime recours ».