Margoz

Nous croyions le temps des ‘patates manioc’, comme nous l’avaient maintes fois conté nos parents et grands-parents, révolu. Mais ces jours que nous vivons actuellement nous semblent bien pires. Et ce, malgré tous les développements infrastructurels et économiques et toutes les avancées technologiques. Sous le règne du MSM de Pravind Jugnauth, la vie de la plupart des Mauriciens, sauf d’une poignée de ‘chatwas’ lèche-bottes, est devenu aussi amer que le ‘margoz’ servi aux étudiants ayant permis à Maurice de figurer dans le ‘Guinness Book of Records’ pour le plus grand drapeau flottant humain. Amer parce que rien ne va plus dans ce pays. Des millions et des milliards de roupies sont dépensées dans des projets non-prioritaires alors que des milliers de familles sont contraintes d’assister, impuissantes, leurs maisons inondées à chaque pluie torrentielle, comme on en a vu encore cette semaine et qu’on reverra sans doute davantage durant la période pluvieuse allant jusqu’à mars.

Pourtant, plus de Rs 16 milliards ont été budgétés pour la construction, l’amélioration, l’entretien et le nettoyage des drains de 2015 à 2022. Contrairement à ce qu’a dit le Premier ministre vendredi, la scène de désolation qu’on a vue pendant les pluies torrentielles de jeudi et vendredi nous empêche de croire que tout cet argent, une somme faramineuse, a été utilisé à bon escient. Nous tendons plutôt à croire que ces fonds ont été distribués à gogo à travers de juteux contrats aux proches du régime, sans que le travail ne soit fait correctement, bien qu’ils sont payés à prix d’or. Comme l’a d’ailleurs révélé Kishore Ramkhalawon, conseiller de district de Moka et président du village de La Laura. « Alors que le nettoyage de sept drains allait coûter Rs 2 millions, au final, on a accepté des offres de Rs 17 millions, quand le maximum ne devrait pas dépasser Rs 7 millions. Où iront les Rs 10 millions ?» s’était-il demandé dans les colonnes de notre confrère l’Express le mardi 24 janvier. Voilà comment l’argent des contribuables ‘pe alle dan drains et rane nou lavie ‘margoz’.

Des milliers de nos jeunes, très souvent désintéressés par la chose politique, retiendront aussi le goût amer du ‘margoz’ et du ‘baigan’ brûlé que des hôtels étoilés, regroupés au sein de l’AHRIM, leur ont servi au stade Anjalay sis à Belle-Rue Harel… non pardon, à Belle-Vue Harel. En sus du pain fourré qui ressemble à tout sauf à un repas appétissant, ils ont dû aussi, en guise de remerciement pour avoir fait flotter le drapeau mauricien, digérer, aussi indigestes soient-ils, les commentaires disgracieux de l’épouse du conseiller Zouberr Joomaye qui leur a lancé « atan nou donne toi caviar ». Elle aurait pu se taire, à l’instar de ces élus du gouvernement qui ont fièrement posé avec le certificat du ‘Guinness Record’ sans se soucier du déluge de critiques sur ces pains fourrés. Mais non, la dame, sans doute parce qu’elle est actionnaire d’un hôtel qui a sans doute ‘tape plein’ comme centre de quarantaine pendant la Covid-19, a choisi de déverser sa hargne contre ces pauvres étudiants qui ne demandaient qu’un peu de considération de la part du gouvernement et de ses partenaires.

Ce n’est pas parce que ce sont des hôtels qui ont fourni ces pains que ces jeunes doivent se montrer reconnaissants et se taire. Ce n’est pas non plus parce qu’ils ont participé à un événement patriotique et historique qu’ils doivent accepter de subir un tel manque d’égards. Ils ont eu raison de protester et de faire entendre leur voix. Mais au lieu de reconnaître leur erreur, le ministre concerné et l’AHRIM sont venus défendre l’indéfendable. Ne nous faites pas croire que ces hôtels étoilés, dont beaucoup ont bénéficié des fonds de la ‘Mauritius Investment Corporation’ (MIC), n’auraient pas pu offrir à nos jeunes un meilleur ravitaillement, avec des sandwiches plus présentables et digérables, par souci des normes sanitaires. Ce qui est évident, et désolant par contre, c’est que notre industrie touristique semble être à l’image du gouvernement : incompétent et pitoyable. Parce que si ce niveau de service est acceptable pour le gouvernement et l’AHRIM, cela expliquerait pourquoi notre tourisme piétine, contrairement à nos concurrents tels que les Maldives. Tant pis pour nous.