Nawshad Khudurrun « J’aurai pu subir le même sort que Kaya si j’étais resté au pays »

Le caméraman, agent du MSM au no. 8 lors des législatives de 2014, avait, seul contre tous, dénoncé le ministre Yogida Sawmynaden et ses conseillers pour des irrégularités entourant l’octroi des contrats publics dès … avril 2016 ! Ses dénonciations à l’ICAC n’ont abouti à rien alors qu’il a été contraint de quitter le pays quelques années plus tard suivant les menaces persistantes à son encontre. De son pays d’adoption où il a trouvé refuge, il suit de près l’affaire Kistnen qui est, selon ses dires, similaire à son cas. 

 

Zahirah RADHA

 

Q : Vous avez été la première personne à dénoncer le ministre Yogida Sawmynaden et son conseiller pour des maldonnes entourant l’octroi d’un contrat par le MSC en avril 2016. Où en est l’enquête de l’ICAC aujourd’hui ?

Franchement vous dire, l’affaire a tout bonnement été étouffée. J’avais été convoqué à plusieurs reprises par l’ICAC dans le sillage de ma déposition. D’avril 2016 à ce jour, mes deux cellulaires sont toujours entre les mains des enquêteurs. Cependant, l’enquête n’a jamais réellement décollé. Seulement deux personnes avaient été convoquées pour une parade d’identification alors que j’avais cité les noms de douze personnes, dont celui du ministre Sawmynaden et de ses conseillers. Raison pour laquelle j’avais refusé d’y participer. Cet exercice n’était qu’une mascarade. Et l’affaire s’est arrêtée là. J’avais même juré un affidavit contre l’ICAC puisqu’elle abdiquait à ses responsabilités.

 

Q : Quels sentiments vous inspire la mort de Soopramanien Kistnen que vous aviez côtoyé au no. 8 ?

Nous étions de bons amis et nous avions travaillé ensemble durant la campagne électorale de 2014. C’est très triste ce qui lui est arrivé. Je peux vous dire qu’il était très proche de Pravind et de Yogida, bien plus proche que je ne l’ai été avec ce dernier. Je me souviens qu’il avait de grandes responsabilités au sein du MSM. C’est lui qui était chargé d’effectuer les paiements des bases au no. 8. Je l’accompagnais d’ailleurs quelques fois. Quand je regarde les médias aujourd’hui, je me sens soulagé d’avoir quitté le pays car j’aurais pu subir le même sort que lui.

 

Q : C’est-à-dire ?

Je recevais souvent des lettres de menaces et des appels anonymes m’ordonnant de mettre un terme à mes dénonciations. Auparavant, j’avais, un soir après la prière d’Esha, été enlevé de force par deux agents du MSM. Ils m’avaient conduit à Dagotière où ils ont tenté de m’intimider avant de me proposer Rs 400 000 pour que je change de version. J’avais pu leur tenir tête et j’ai carrément refusé leur proposition. Je craignais vraiment pour ma sécurité, pas parce que j’avais peur mais surtout parce que j’ai une famille. J’avais d’ailleurs alerté la « National Human Rights Commission ». Je crois fermement que j’étais sur le point de payer le prix fort de mes dénonciations, mais Dieu merci, j’ai pu quitter le pays à temps. Malheureusement, Kaya n’a pas eu la même chance que moi. Son cas est presque similaire au mien.

 

Q : Vous êtes donc convaincu que Kaya a été victime d’homicide ?

Je le connaissais très bien. Il était un vainqueur. Quand j’ai appris la nouvelle et les circonstances de son décès, je n’ai pas cru un seul instant qu’il ait pu se suicider. Je n’ai donc pas été choqué quand la police a confirmé, il y a deux semaines de cela, que c’était bel et bien un cas de ‘murder’. Il était trop fort…

 

Q : Connaissait-il trop de secrets, selon vous ?

Définitivement ! Il n’était pas un simple colleur d’affiches, mais un agent fort qui siégeait sur le comité d’organisation qui était à l’époque présidé par le ‘Campaign Manager’ Sherry Singh.

 

Q : Vous avez été successivement agent et victime de Yogida Sawmynaden et de son entourage. Que diriez-vous de la façon dont ils opèrent ?

Le fonctionnement du MSM, du moins au no. 8, est vraiment malpropre. Je vous le dis sans ambages. À la veille des élections générales de 2014, on m’avait remis une somme d’argent et on m’a dit de donner Rs 200 à ‘tou bane dimounes ki pe deboute lor chemin’ en leur disant d’aller voter tôt le matin.

 

Q : Êtes-vous surpris par les allégations d’irrégularités entourant l’octroi des contrats publics dans le sillage de l’affaire Kistnen ?

Pas du tout, puisque je suis passé par là ! Je ne me fais pas de doute quant à la véracité de ces allégations. Ils procèdent de la même façon pour tous les contrats qui sont alloués à travers le pays.

 

Q : Parlez-vous en connaissance de cause ou est-ce des allégations tout court ?

Ce ne sont pas des allégations, mais une vérité. Je sais de quoi je parle. Je peux le prouver.

 

Q : Avez-vous des preuves ?

J’ai des preuves. Ki so bane dimoune, kuma zot fonctionner, kot zot fonctionner, zot noms… Mo sûr de seki mo pe dire.

 

Q : Avez-vous tout déballé sur ce réseau mafieux ?

 J’ai déjà tout déballé à l’ICAC. Je ne vous dis rien de nouveau.

 

Q : On n’en serait donc pas là, face à ces nouvelles allégations d’irrégularités, si l’ICAC avait agi ?

Tout à fait ! Si nanrien pane marser, tou ine bloker, c’est grâce à ministre Sawmynaden.

Q : Avez-vous alerté le Premier ministre qui est aussi député du no. 8 ?

J’avais contacté un de ses agents pour obtenir un rendez-vous avec lui avant même que je ne fasse mes dénonciations, mais j’ai appris qu’il avait carrément refusé de me rencontrer. Li dire li pena nanrien à fer avec moi ni li intéresser zoine moi.

 

Q : Vous attendez-vous à ce qu’il y ait des développements dans l’affaire Kistnen ou risque-t-elle de finir dans un tiroir comme votre plainte l’a été ?

Je suis cette affaire de près et je suis confiant qu’il y aura des développements suite aux pressions exercées par le panel d’avocats de Mme. Kistnen.  Mo pe attane avec impatience pou koner ki pou arrive le ministre Sawmynaden.

 

Hors-texte

« Zot pou donne toi ene chèque officiel, mo donne toi le reste en cash… »

L’affaire, révélée en primeur par Sunday Times dans son édition du 10 avril 2016, avait fait grand bruit à l’époque. Le caméraman Nawshad Khudurrun, ancien agent de Yogida Sawmynaden, avait révélé, dans nos colonnes, comment il avait été approché par un Senior Advisor de Yogida Sawmynaden en août 2015 pour lui offrir un contrat pour le tournage du ‘National Sports Award’ organisé par le « Mauritius Sports Council ». Cette instance tombait sous la tutelle du ministère de la Jeunesse et des sports dirigé alors par Yogida Sawmynaden.

Ce ‘sealed contract’, Nawshad Khudurrun l’avait eu bien qu’il n’était pas enregistré comme un ‘potential supplier’ auprès du ministère concerné. Cependant, sa quotation officielle de Rs 176 000 n’ayant pas été respectée une fois le travail terminé, le cameraman avait menacé de traîner le MSC en justice. Yogida Sawmynaden est alors intervenu. Dans un enregistrement audio, on pouvait entendre le ministre dire « to ti kapave poursuive MSC mais puisque to ene camarade de parti, nou essaye trouve ene solution à l’amiable […] Zotte pou donne toi ene chèque officiel. Mo pou donne toi le reste en cash. Selma mo oulé ki sa fini lamem ».

Une offre que Nawshad Khudurrun avait refusée bien qu’une enveloppe contenant de l’argent lui avait été remise en mains propres par un conseiller du ministre. Le caméraman s’était alors tourné vers nous pour tout dénoncer avant d’aller à l’ICAC.