Nishal Joyram  : « Une désobéissance civile peut être tenue d’une façon très pacifique »

Il avait marqué les esprits en novembre 2022 en tenant une grève de la faim pendant 22 jours. Ce citoyen hors du commun est aujourd’hui plus que jamais dans un mood combattif et annonce même une prochaine désobéissance civile… Nishal Joyram nous parle de son combat.

Zahirah RADHA

Q : Vous aviez fait une grève de la faim de 22 jours à la fin de l’année dernière en vue d’obtenir une baisse du prix des carburants. Or, il n’y en a pas eu, même après la réunion du ‘Petroleum Pricing Committee’ (PPC) cette semaine. Vos sacrifices sont-ils tombés à l’eau ?

Non, pas du tout. Pour moi, l’action entreprise est plus importante que les fruits qu’elles rapportent ou pas. Je n’avais pas de contrôle sur la décision du gouvernement, mais il était, par contre, dans mes capacités de dire haut et fort ce que je pensais et c’est ce que j’ai fait. Je ne regrette rien. Le gouvernement était obligé, en vertu de la ‘Consumer Protection Act’, de revoir les prix des carburants à la baisse le 13 janvier dernier, mais il l’a amendé en catimini afin de ne pas devoir les baisser.

Q : N’êtes-vous pas convaincu par les explications de la STC concernant le trou de Rs 4, 4 milliards dans ses caisses que les consommateurs vont devoir renflouer ?

Nous n’avons justement pas eu d’explications claires ! Je devais être en face du directeur de la STC lors d’une émission radiophonique. Je voulais lui poser des questions d’une façon objective, mais il a refusé d’être sur le même plateau que moi lorsqu’il m’a vu. Au final, il a participé à la moitié de l’émission seul, et j’en ai fait de même durant l’autre moitié. Ce qui est regrettable, c’est que ni le gouvernement ni le directeur de la STC n’ont donné des réponses claires et nettes jusqu’ici.

Q : Comment qualifiez-vous cet amendement apporté à la ‘Consumer Protection Act’ pour éviter toute baisse des prix des carburants ?

C’est une tactique lâche, ni plus ni moins. Les ‘Regulations’ étaient déjà établis sous la loi, mais le gouvernement a choisi de les changer à la dernière minute afin de ne pas accéder à nos demandes. Nous avons un gouvernement dictateur qui change, à sa guise, les règles du jeu. Comme l’avait si bien dit mon ami Jayen Chellum, c’est comme si le gouvernement change les règles au beau milieu d’un match de foot afin d’avoir la haute main sur l’autre partie. C’est ce qu’il a fait en amendant la ‘Consumer Protection Act’. Le gouvernement s’est ainsi offert la possibilité de maintenir éternellement les prix élevés des carburants.

Q : Que comptez-vous faire maintenant pour poursuivre le combat que vous aviez commencé avec votre grève de la faim ?

J’avais commencé ce combat seul. Outre les citoyens qui sont venus me témoigner leur soutien, beaucoup d’autres activistes m’ont par la suite rejoint pour former un comité de soutien. Nous allons donc poursuivre ce combat ensemble. Pour l’instant, nous nous focalisons sur la conscientisation des citoyens face à leurs responsabilités. Notre comité aurait dû se rencontrer vendredi pour décider de la marche à suivre suivant la décision du gouvernement par rapport aux prix des carburants, mais malheureusement nous avons dû la repousser en raison du mauvais temps. Nous annoncerons, après notre rencontre au courant de cette semaine, nos prochaines actions. J’ai déjà évoqué la possibilité d’une désobéissance civile. C’est dans ce sens que nous œuvrons.

Q : Une annonce qui vous a d’ailleurs déjà valu une plainte à la police…

Je ne sais pas pourquoi cette personne a porté plainte contre moi. Mais nous sommes dans un pays démocratique et c’est important que chaque personne puisse avoir sa propre opinion. Cette personne a sans doute fait ce que sa conscience lui a dicté de faire. Vous savez, une désobéissance civile peut être tenue d’une façon très pacifique. Je vous rappelle la marche du sel faite par Mahatma Gandhi et les Indiens dans les années 30. Il y a deux mois de cela au Canada, les citoyens et les syndicats ont bloqué, sans aucune violence, le port et l’aéroport pour protester contre la hausse des prix des carburants. Aujourd’hui, le peuple mauricien doit pouvoir montrer son mécontentement d’une façon pacifique, mais forte, face à la façon dont le pays est géré.

Q : Le peuple mauricien a-t-il atteint ce stage, sachant que toute manifestation peut être accompagnée d’une sorte de répression policière ?

Je ne pense pas pouvoir vous répondre pour l’instant. Nous verrons le degré de la maturité du peuple au moment venu. Un pays passe par trois phases. La première phase consiste en un peuple qui se rebelle pour n’importe quelle raison, comme dans les années 70. Les gens n’avaient rien à perdre. Il leur était donc facile de descendre dans la rue pour exprimer leur mécontentement. Aujourd’hui, nous sommes dans la deuxième phase qui est ponctuée par la peur. Nous restons dans notre ‘comfort zone’ et dans notre illusion. Ce qui nous empêche de sortir et de manifester parce que nous pensons d’abord à ce que nous allons perdre. Il y a ensuite la troisième phase, comme celle atteinte dans des pays bien plus civilisés, à l’instar du Canada. C’est à partir de là qu’on arrive à manifester dans une façon bien pacifique. N’oubliez pas que nous avons d’ailleurs eu trois marches pacifiques de ce genre en 2020.

Q : Mais il n’y a pas eu d’actions du gouvernement suivant ces marches en 2020 !

Parce que ces marches n’étaient pas suivies par des actions soutenues. Cela dépend aussi de la façon dont le gouvernement perçoit les choses. Le Premier ministre s’était contenté de remercier les manifestants sans ouvrir le dialogue avec le peuple. Pour qu’il y ait ce dialogue, il nous faut des actions soutenues. Je tiens d’ailleurs à préciser que notre combat à nous est différent de celui de 2020. La revendication faite en 2020 se résumait à BLD. Or, ce n’est pas ce que nous demandons. Nous, nous ne réclamons pas le départ du gouvernement. Nous lui disons tout simplement qu’il lui faut changer sa façon de gérer le pays. Nous voulons que le gouvernement réalise qu’il y a un malaise dans la société et que le peuple souffre. Nous voulons qu’il dialogue avec le peuple. Nous sommes là pour lui donner un coup de main pour faire de sorte qu’il y ait un vrai ‘feel good factor’ au sein de la population.

Q : Vous ne réclamez donc pas le départ du gouvernement ?

Je n’ai jamais réclamé son départ. Le peuple décidera de son sort aux prochaines élections. Moi, je ne veux pas me mêler à la politique partisane. Qu’il s’agit de ce gouvernement ou d’un autre, ce que nous réclamons, c’est que les choses changent.

Q : N’êtes-vous donc pas guidé par des motivations politiques ?

Un combat citoyen, c’est un combat politique. Nous devons faire la différence entre LE politique et LA politique. Nous mélangeons trop souvent les deux. Le combat citoyen, c’est la réorganisation de la société. C’est ce que nous réclamons, indépendemment de la personne qui est ou sera à la tête du pays. Je ne veux pas changer un gouvernement pour le remplacer par un autre, mais qui refera exactement la même chose. Ce n’est pas ce que le peuple souhaite non plus.

En 2014, ce gouvernement nous avait fait tellement de promesses à l’effet que nous aurions de l’eau sur une base 24/7, qu’il n’y aurait pas de népotisme, qu’il opérerait d’une façon bien plus démocratique, mais au final, il fait pire que le précédent régime. Ce n’est pas ce que nous voulons aujourd’hui. Notre combat n’est pas lié à la politique partisane, mais il concerne plutôt la réorganisation de la société. Nous voulons nous assurer que tout nouveau gouvernement élu travaille pour le peuple. Il faut qu’il y ait un changement fondamental dans la Constitution. Les pouvoirs ne doivent pas rester concentrés entre les mains d’une seule personne, soit celles du Premier ministre.

Q : Mais ce combat vous amène quand même à tenir tête au gouvernement et cela vient généralement avec un fort prix à payer. N’avez-vous pas peur ?

Par peur de tomber, mo pa kapav aret marsé ! Peu importe les répercussions, je ne vais pas m’arrêter. Tout le monde parlait du climat de frayeur qui régnait dans le pays avant que je n’entame ma grève de la faim. Mais personne n’a plus parlé de cette peur par la suite, parce que tout le monde a vu qu’un citoyen peut entamer une action citoyenne s’il le veut. Ma conscience est claire et mon combat est juste. Je mène ces actions en tant que citoyen et patriote. Je ne fais rien qui entrave la justice ou qui met l’économie à risque. Je ne me contente pas de critiquer, mais je fais aussi des propositions.

D’ailleurs, j’avais fait des propositions qui auraient pu limiter le problème lié au manque d’eau en période de sècheresse, mais le gouvernement ne m’avait pas écouté. J’avais déjà proposé l’installation des ‘shade balls’ sur la surface des réservoirs pour réduire l’évaporation de l’eau, qui réduit considérablement le niveau d’eau dans nos réservoirs. L’installation des ‘shade balls’ était une solution bon marché, écologique et rapidement réalisable. Mais le gouvernement avait fait la sourde oreille. Aujourd’hui encore, je suis disposé à faire des propositions si seulement les autorités veulent bien m’écouter.

Q : Jusqu’où êtes-vous disposé à aller dans votre action citoyenne ?

Je n’ai pas de plan établi jusqu’ici. Nous avons déjà entamé une conscientisation citoyenne. Aussi longtemps que j’ai de l’énergie, je continuerai à le faire. Même si une seule personne y adhère, je me considérerai gagnant. Je me suis dit que je ne verrai très probablement pas les fruits du combat que j’ai commencé. Mais j’espère que mes enfants et mes petits-enfants les verront. Il faut commencer quelque part pour que la génération future puisse hériter d’une meilleure île Maurice.

Q : En que citoyen, quel bilan faites-vous de la gestion actuelle du pays ?

Catastrophique ! Il n’y a aucune transparence, aucune vision, aucun dialogue avec le peuple. On continue de piller les caisses de l’État avec des projets qui ne nous rapportent rien.

Q : Vous n’êtes pas sans savoir qu’il n’y a qu’un changement politique au sommet de l’État qui peut changer le destin du pays et de la population. Dans quelle façon pouvez-vous aider à apporter ce changement ?

Je suis en communication avec des personnes de tout bord politique. Nous discutons, sans que je ne m’adhère à un quelconque parti. Je viens personnellement avec des idées, comme le font aussi Rezistans ek Alternativ (ReA) et Jack Bizlall qui rédige, lui, une deuxième Constitution, entouré d’une équipe. Cette nouvelle Constitution est très importante. Nous avons vu comment il y a eu un défilé de Premier ministres en Angleterre. Le départ de Boris Johnson, par exemple, a été provoqué après qu’il ait fait l’objet d’une ‘Motion of No Confidence’ de la part de l’opposition, mais aussi des membres de son propre parti.

Chez nous, par contre, tous les membres du gouvernement ont juré allégeance à une personne et à un parti politique, et non pas au pays. Ce qui est dommage. Nous n’avons que des « bootlickers » au sein du gouvernement. Nous ne pourrons changer les choses que lorsque les députés du gouvernement arriveront à jurer allégeance au pays et à leurs mandants au lieu du Premier ministre. Il nous faut donc des changements fondamentaux dans la Constitution qui permettront cela. J’accorderai mon soutien à n’importe quel parti qui a une nouvelle idéologie et qui œuvrera en ce sens. Nous arrivons à la fin d’un cycle plus de cinquante ans après l’indépendance du pays. Il nous faut un changement du système. Nous y arriverons seulement si nous, les citoyens, le voulons.