[Redécoupage électoral] Parvez Dookhy, constitutionnaliste : « Le GM provoque un désordre électoral, comme en 2019 »

Les recommandations émises par l’’Electoral Boundaries Commission’ (EBC) ont été adoptées par le Parlement après le vote de la motion du Premier ministre le 19 décembre. Selon le constitutionnaliste Parwez Dookhy, le redécoupage électoral régulier, effectué à intervalles d’une décennie, est en soi nécessaire et est pratiqué dans toutes les démocraties, notamment lors des élections législatives. « Élire des députés (liés à des circonscriptions), implique une division du pays en zones électorales. L’idée, le principe, c’est que les circonscriptions soient plus ou moins équivalentes en taille, en nombre d’électeurs et autant que possible en superficie géographique. Toutefois, les populations ne sont pas statiques et il y a des phénomènes de variation dans le temps et dans l’espace », explique l’avocat constitutionaliste.

Le redécoupage électoral a toujours été un sujet de controverse en Angleterre et en France, suscitant des débats entre le gouvernement et l’opposition. Parwez Dookhy plaide en faveur de l’évolution, soulignant la responsabilité des partis dans ce processus. Il met en garde contre la consolidation du communautarisme, soulignant que cela nuit à la cohésion nationale. Selon lui, il est nécessaire de favoriser un brassage des communautés au sein des circonscriptions. « Chez nous, la question a une sensibilité accrue car nos quartiers sont souvent à composition ethnique. Lorsqu’on enlève une localité, un quartier d’une circonscription pour l’affecter à une autre, le sentiment des uns et des autres c’est qu’on enlève une localité de telle ou telle communauté, ce qui entraîne des conséquences tactiques et stratégiques. Nous savons que le choix des candidats dans une circonscription se fait en fonction, pour beaucoup, de son appartenance communautaire. Mais on doit se dire que si le redécoupage tend vers davantage de mauricianisme, c’est peut-être une bonne chose ! », explique l’avocat.

« On peut aussi s’interroger sur la motivation réelle, sur le plan politique et tactique, de la nouvelle composition des circonscriptions. Est-ce qu’elle fait le jeu du gouvernement sortant ? Il s’agit là d’une question de « charcutage », les anglais disent «gerrymandering », autrement-dit de redécoupage stratégique pour favoriser un parti ou bloc politique. Je pense qu’il faudrait apprécier le travail du redécoupage selon ces grilles d’analyse », ajoute Parwez Dookhy. En dépit de ces préoccupations, l’avocat plaide en faveur d’un rapprochement des communautés au sein des circonscriptions, soulignant que, en tant que Mauriciens, il est impératif de travailler en ce sens.

Parwez Dookhy estime que le timing choisi par le gouvernement pour adopter les recommandations de l’EBC soulève de nombreuses interrogations. « La contestation se situe principalement à ce niveau. En France, par exemple, un redécoupage ne peut être effectué à moins d’un an des élections législatives. Par définition, nous sommes actuellement à moins d’un an des prochaines élections législatives. Le gouvernement ne peut donc pas changer les règles du jeu brusquement et soudainement. Il est en train de provoquer un désordre électoral qui viendra s’ajouter à celui que nous avons observé en 2019 », estime-t- il.

Parwez Dookhy exprime des inquiétudes quant aux manipulations potentielles des données, notamment l’élimination de noms des listes électorales. « Sur le plan pratique, le désordre qui en résultera est que des électeurs ne pourront plus être localisés ou seront retirés des listes électorales pour des raisons totalement indépendantes de leur volonté, au mépris de la démocratie. L’électeur se rendra à son bureau de vote habituel et ne figurera pas sur la liste. Cela créera une cacophonie électorale qui ne fera qu’altérer la démocratie et entraver l’action du futur gouvernement. N’oublions pas que dans notre pays, l’enregistrement des électeurs ne se fait pas de manière permanente ou automatique. De nombreux nouveaux majeurs sont privés du droit de vote parce que l’enregistrement se fait une fois par an », explique l’avocat.

Il s’interroge également sur les intentions réelles du gouvernement. « Tout bouleverser à quelques mois des élections, c’est ouvrir une boîte de Pandore, et plus personne, même l’administration et le gouvernement, ne pourra rien maîtriser. Est-ce fait délibérément ? C’est une autre question », souligne-t-il.

Nouvelle vision – à quand un grand changement ?

 « A titre personnel, je tends à penser que nous devrions évoluer vers un système d’un candidat par circonscription, divisant ainsi le pays en 62 circonscriptions. L’idée est d’éviter des majorités trop larges pour le bloc ou l’alliance remportant les élections. En outre, cela favoriserait une proximité accrue entre le candidat et l’électeur. Un tel système permettrait également d’éviter l’élection de candidats indésirables en tant que députés, simplement parce qu’ils ont été emportés par le vote de liste, que nous appelons vote bloc, c’est-à-dire sans possibilité de panachage », explique Parwez Dookhy.

Concernant les Mauriciens vivant à l’étranger, l’avocat estime qu’il est injuste qu’ils ne puissent pas voter. « Nando Bodha et Rama Valayden, les deux Premiers ministres potentiels de Linion Moris que je soutiens, proposent la création de deux circonscriptions supplémentaires pour les Mauriciens de l’étranger. Une circonscription Nord (du monde) et une circonscription Sud. Les Mauriciens résidant à l’étranger pourraient alors voter auprès de nos représentations, et nous aurions ainsi deux députés supplémentaires à l’Assemblée nationale pour représenter cette communauté. C’est nécessaire pour la démocratie. Il est inacceptable que des étrangers aient le droit de voter, alors que certains Mauriciens n’ont pas ce droit lors de nos élections », plaide l’avocat constitutionnaliste.