Une génération en déroute

Indiscipline à l’école

Le monde de l’enseignement a connu une lente dégradation au fil des années.  Le gouvernement vint d’introduire le nine-year schooling dans les écoles cette année. Toutefois, on est en droit de se demander si en parallèle, nous avons un système éducatif qui peut faire face au problème de l’indiscipline dans les collèges. Les établissements scolaires ne cessent de faire parler d’eux dans les médias. Le but du présent dossier est de mettre en avant certains dysfonctionnements concernant principalement les étudiants dans le système éducatif.

 

L’attaché de presse du ministre de l’Education, D. Seeharry, nous explique : « Les recteurs et les enseignants sont tenus de s’assurer d’une ambiance propice à l’apprentissage et à un épanouissement sain des élèves au sein de l’établissement scolaire et aussi à sensibiliser régulièrement les élèves sur l’importance du respect et des valeurs ». Mais dans la pratique, est-ce bien le cas ?

Selon le ministère de l’Education, les cas d’indiscipline dans les écoles sont rapportés au Zone Directorate et les mesures nécessaires sont ensuite prises. Mais l’attaché de presse explique que ces problèmes prennent du temps à être réglés, alors que d’autres s’ajoutent à la liste. En décembre 2015, le ministère de l’Éducation avait publié un document concernant le comportement des étudiants et aussi du personnel enseignant et non-enseignant, le Student Behaviour Policy. Nous notons que les enseignants doivent : « Lead by example, be regular in attendance and punctual and be role models for the students ». En dépit de ces règlements qui tentent de mettre de l’ordre dans les écoles, la situation parait inchangée.

Outre l’indiscipline, d’autres problèmes font toujours surface, tels que la drogue synthétique ou une infrastructure déplorable. Il y aussi le problème d’ingérence de certains parents, qui empêcheraient le processus disciplinaire d’agir avec efficacité. Prenons ce cas à Bambous où un élève aurait été transféré pour cause de mauvais comportements. Ce mardi 4 avril, certains ont manifesté contre cette sanction. Les problèmes persisteront toujours tant que les parents, les enseignants et les élèves ne trouvent pas un terrain d’entente.

 

Vinod Seegum déplore le Student Behaviour Policy

Vinod Seegum, président du Government Teachers Union, nous parle en termes de discipline : « Le problème tourne autour de l’indiscipline partout. Au début de l’année, les parents reçoivent un formulaire de l’école, qui leur informe qu’on n’a pas le droit de se servir du rotin ou de leur parler strictement. Lorsque les parents leur disent cela, certains élèves se croient tout permis ».

 

Mauvaise gestion des collèges

À la source de plusieurs problèmes du système éducatif, se trouvait l’absence d’une gestion rigoureuse des écoles, ou carrément une mauvaise gestion, dans beaucoup de cas. Il y aurait un manque d’infrastructures et d’équipements et un management qui fait la sourde oreille au personnel comme aux parents, sans parler des élèves. Cet état de choses encouragerait l’indiscipline et d’autres dysfonctionnements.

Dans un collège à Forest Side, une salle de stockage a été transformée en salle de classe depuis le début de l’année. Une trentaine d’élèves de la Form V sont contraints d’apprendre dans un environnement qui n’encourage pas à la formation. Qui plus est, cette salle de classe pas comme les autres serait équipée d’un seul ventilateur. Mais les responsables du collège font fi des nombreuses plaintes des collégiens.

Un collège du Nord, très réputé pour les frasques commis par ses élèves, se trouve également dans un état lamentable. Manque d’aération dans les salles de classe, accumulation d’eau dans la cour de l’école, toilettes inutilisables, ce collège manque cruellement d’infrastructures appropriées. Parents et élèves ont déjà exprimé leur indignation face à cette situation mais rien n’a été entrepris jusqu’à présent pour remédier à cette situation. Un élève, sous l’anonymat, nous confie que dans le laboratoire, il y aurait des gros rats et que les toilettes répandent une odeur nauséabonde. Même les enseignants en auraient marre de la situation car depuis que certains élèves ont brisé les panneaux des fenêtres des classes, le collège a temporairement fait mis des fenêtres dites à lames ou naco, ce qui provoquerait le manque d’aération dans les salles de classes.

 

Rambo : la nouvelle drogue de synthèse parmi les jeunes

La drogue continue de faire de plus en plus de victimes chez les plus jeunes. En matière de drogue aussi, les jeunes suivent les nouvelles tendances. La nouvelle drogue à la mode parmi les adolescents : Rambo. Vous avez sans doute lu dans certains articles de presse que les étudiants utiliseraient les laboratoires de chimie dans les collèges pour concocter ces substances illicites.

Nous avons fait un petit détour à un hôpital en début de semaine. Nous assistons à une scène incroyable, mais certainement pas nouveau depuis 2013, lorsque la drogue synthétique a commencé à faire son entrée chez la jeunesse mauricienne. Il s’agit d’un adolescent dans les 16 ans, avec son uniforme scolaire. Il aurait consommé une substance hallucinatoire. Les infirmières tentaient de calmer ce jeune qui hurlait et qui se dénudait. À côté, on pouvait voir les expressions horrifiées de membres de la famille du jeune homme.

Cette scène démontrerait que la drogue de synthèse continue à faire des ravages parmi les jeunes, 4 ans après son apparition. Selon une source, les élèves confectionneraient des bongs (pipe à eau) durant les heures de classes, à l’aide d’une bouteille en plastique et autres expédients. D’ailleurs, l’an dernier, des drogues synthétiques ont été saisies sur des élèves.

Diverses organisations militent contre ce fléau. Elles font souvent des campagnes de sensibilisation dans les écoles où la drogue serait la plus répandue. L’inquiétude commence sérieusement à affecter les parents.

 

Violence à l’école : les donnes ont changé

Le respect et la crainte d’antan vis-à-vis des enseignants sont des choses révolues et ne reflèteraient plus l’école actuelle. Les cas d’agressions contre les enseignants commencent à devenir de plus en plus fréquents, et cela, non seulement au secondaire car quelques cas ont été enregistrés à l’école primaire. Les menaces contre les profs deviennent de plus en plus habituelles.

 

Violence entre étudiants : le bullying prend de l’ampleur

Bien que les querelles et bagarres ont toujours existe entre élèves, la violence estudiantine revêt un autre visage aujourd’hui : l’humiliation de la victime à travers les réseaux sociaux, l’implication grandissante des filles et de plus en plus de cas de ce genre qui sont rapportés à la police.

Ainsi, ce cas très médiatisé en 2014 sur Facebook où des collégiennes avaient tabassé une autre fille et avaient posté la bande témoignant de cette violence sur Facebook.

À la gare, les choses sont parfois révoltantes. « Tou les jours coumsa zot faire troupeau », témoigne un chef de gare. Un receveur de bus nous affirme qu’il a assisté à de nombreuses bagarres entre élèves, et nous parle des insultes que les élèves lanceraient sur les passagers.

Lors d’une descente à la gare du Nord, notre équipe constate que dans chaque coin de la gare, un couple est présent. Avec leurs uniformes, et malgré la présence des policiers à proximité, ils ne se pressent pas pour prendre le bus pour rentrer chez eux. Les passagers, eux, évitent d’être à la gare à l’heure de la sortie de l’école.

Rappelons ici la scène horrible à coup de cutter qui a eu lieu en 2014 entre deux collégiennes. En 2013, un élève a été victime d’agression où il a dû avoir recours à une opération. À ce jour, aucune sanction n’a été prise contre les agresseurs.

 

Violence infligée par les profs

C’est évident que les professeurs ont une lourde responsabilité vis-à-vis des élèves. Cependant, dans les écoles primaires, certains enseignants utiliseraient toujours les punitions corporelles. Nous sommes en face d’un cas récent à l’école Henry Buswell à Rose-Hill où un enseignant aurait été transféré, selon une source, pour avoir malmené un de ses élèves. L’enseignant aurait blessé l’élève à la tête.

Il semblerait que les gifles, fessées et autres formes de punitions corporelles persistent, malgré l’interdiction. Certes, c’est moins répandu que par le passé, mais c’est là que les exceptions deviennent encore plus graves. Le 23 mars dernier, à l’école du gouvernement de l’Escalier, c’est le calvaire du petit Atish (prénom fictif), élève en Grade 6 à l’Escalier Government School, qui a reçu 52 coups de règles sur le dos par son enseignant car il n’arrivait pas à résoudre un calcul de mathématique. Choqués, les parents d’Atish ont dû avoir recours aux services d’un psychologue pour le suivi psychologique de leur fils. Une plainte a été déposée au poste de police de l’Escalier et à la Child Development Unit.  Les instances du ministère de l’Education ont aussi été alertées.

Aussi, plusieurs élèves qui suivaient un cours sur la langue tamoule dans une école de la capitale ont été malmenés par leur prof. Selon nos renseignements, plusieurs parents auraient émis le souhait de faire leur enfant abandonner ces cours si le ministère de l’Éducation ne fait rien pour résoudre ce problème.

Dans une circulaire adressée aux écoles et collèges chaque année, le ministère de l’Éducation demande aux responsables de rappeler aux enseignants que la punition corporelle est interdite. La section 13(4) de l’Education Regulations de 1957 stipule :  « No corporal punishment shall be inflicted on any pupil in any school. The Child Protection Act 1994, paragraph 13(1) provides that: any person who ill-treats a child or otherwise exposes a child to harm shall commit an offence ».

Toute personne reconnue coupable de maltraitance sur enfant est passible d’une amende ne dépassant pas Rs 10 000 et d’une peine d’emprisonnement n’excédant pas deux ans, à la discrétion de la Cour. Il y a aussi le délit d’agression en vertu de l’article 230 du Code pénal, qui constitue une autre possibilité de poursuites judiciaires.

 

Élèves et sexe

Les jeunes sont de plus en plus sexuellement précoces de nos jours. Les réseaux sociaux favoriseraient l’émergence de cette culture. Depuis le début d’année, plusieurs vidéos à caractère pornographique impliquant des Mauriciens ont enflammé le net. Parmi les acteurs, la plupart sont des adolescents. Avec le visage reconnaissable, les adolescents s’adonnent sans aucune gêne à des ébats sexuels.

Un enseignant a un devoir de réserve vis-à-vis de ses élèves et vice-versa. Ainsi, aucune amourette ou relations sexuelles ne sont permises, surtout si l’élève est un ou une mineure. En l’absence de statistiques sur ce sujet, il apparaîtrait néanmoins qu’avec l’apparition des réseaux sociaux, les échanges entre profs et élèves deviennent de plus en plus faciles, ce qui à la longue pourrait conduire à  Maurice à une situation similaire en Europe ou aux États-Unis, où les relations amoureuses entre profs et élèves sont chose assez commune.

Vous vous souvenez certainement de ce cas très médiatisé d’un prof de ce collège à Rivière-du-Rempart, alors âgé de 46 ans et marié de surcroît, qui entretenait une relation extraconjugale avec son élève âgée de 15 ans. Le professeur, que nous prénommerons Sunil, falsifiait aussi le registre en inscrivant la présence de sa protégée, que nous prénommerons Reshma, alors que celle-ci ne se rendait pas à l’école à chaque fois qu’ils s’envoyaient en l’air. C’est la présence de Reshma à la résidence de Sunil, son prof de comptabilité, qui avait éveillé les soupçons. Les parents de Reshma ont alors porté cette affaire à la police. Pressée de questions, celle-ci a fini par tout balancer et affirme être « amoureuse » de son professeur. Elle avoue aussi avoir eu des rapports sexuels et ce à plusieurs reprises, avec ce dernier.

 

Une discipline rigide et abusive qui ne servirait à rien

D’autre part, certains collèges appliqueraient une discipline extrêmement rigide dont on peut se poser des questions sur son efficacité. Cela parce qu’au lieu de sanctionner des écarts de conduite graves, ces collèges attacheraient une importance démesurée par rapport à certaines School Rules, comme la ponctualité ou le port de l’uniforme. Loin de nous l’idée de dire qu’on devrait négliger ces aspects de la discipline, néanmoins la question se pose : la discipline n’aurait-elle pas été plus productive si elle était mieux axée sur les problèmes qui concernent les jeunes ?

Nous avons recueilli les témoignages des élèves des collèges réputés pour leur sévérité. Ainsi, ce collège privé de Rose-Hill est réputé pour l’application des règlements sévères, pour faire régner la discipline au sein de l’école. En effet, l’assemblée du matin débute à 8 heures et les élèves qui arrivent après 8 h 20 sont passibles à des sanctions comme la détention ou être privé de la recréation.

Selon les dire de certains parents, arrivé à 8 h 10, ce collège ferme carrément sa porte d’entrée, forçant ainsi les retardataires de rester dans la rue ou de regagner leur maison. « À deux reprises ma fille est arrivée en retard à l’école en raison du trafic routier. Comme l’école lui a refusé l’accès, elle a été obligée de retourner à la maison. Ainsi, elle rate toute une journée à l’école. Que se passerait-il si quelque chose lui arrive en route, est-ce que ce collège assumerait les conséquences ? », s’insurge Pamela, dont la fille fréquente ce collège. Il nous revient aussi que les élèves sont obligés de porter des chaussures de couleur bleue ou noire, celui ou celle qui fait fi de ces règlements sont passibles à des sévères sanctions.

 

Soondress Sawmynaden : « Divergence entre la culture de l’école et celle des élèves »

Quant au président de l’Association des recteurs, Soondress Sawmynaden, la situation est critique car l’école n’arrive pas à intégrer l’enfant dans une culture de bienséance. « Les élèves vivent dans un autre monde. Les écoles n’arrivent pas à adapter les élèves dans une culture propre à elle. Ainsi, ils n’ont pas un sens des responsabilités. Il doit y avoir plus de dialogue au sein de la famille, plus de relations humaines. »