« Une seringue pour 200 prisonniers »

Sheik Fazoul Jomeer à l’âge de 22 ans purge une peine de 45 ans de prison en juin 2009. Arrêté pour possession de drogue en 2002, en compagnie de son frère aîné et un de ses amis, il retrouve la liberté en 2010 suite à de nombreux appels, soit six ans de cela. Le temps qu’il a passé en détention provisoire a été pris en compte. Aujourd’hui Sheik, ce père de deux filles de 15 et 18 ans respectivement, ressent le besoin de tout déballer et de se défaire de ce sentiment de malaise.

À ce jour, âgé d’une quarantaine d’années, Sheik se dit tourmenté par le ‘martyre’ qu’il a subi tout au long de son emprisonnement. Entre les gangs, la drogue, le sida, la sexualité, la brutalité, la maltraitance, le manque d’hygiène et l’abus de pouvoirs, la prison n’est en aucun cas un centre de correction ou de réhabilitation, nous-a-t-il affirmé amèrement. Les yeux pleins de regrets et les lèvres un peu tremblantes, on arrive à déceler une grande tristesse sur son visage. Il faut quelques secondes pour qu’il reprenne ses esprits et son souffle. Il est prêt à se confier.

La prison n’est pas la solution pour les toxicomanes

Aussi choquant que cela puisse être, tous les détenus finissent par devenir toxicomanes en prison, selon Sheik Jomeer. Il continue son récit, en disant que la prison est l’enfer et n’est surtout pas la solution pour les toxicomanes. « Ene sel seringue pou 200 dimounes », nous raconte-t-il. Les détenus subissent de fortes contraintes pour consommer de la drogue. D’après lui, il existerait une complicité au sein de la hiérarchie de la prison pour faire entrer la drogue à l’intérieur, vu que les simples gardes-chiourmes ainsi que les visiteurs sont fouillés systématiquement. Sinon comment se fait-il que la drogue soit aussi accessible à l’intérieur ? se demande-t-il. « La drogue kiéna dan prison péna dehors ».

Sheik affirme avoir vu tout ce qu’il y a de plus dangereux comme drogue, et malheureusement, il s’est laissé tenter. Condamné à vie et sans aucun espoir de voir la lumière au bout du tunnel, il avait commencé à s’adonner à la drogue avec ses codétenus. D’ailleurs, on peut voir sur la photo (ci-dessous), la cicatrice qu’il s’est fait en s’injectant de la drogue. Jamais il aurait cru qu’un jour, il serait parmi ses victimes, dit-il. Son bras allait être amputé suite à cette injection. Fort heureusement, il a été soigné in extremis.

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La déclaration du cardinal Maurice Piat a ici toute son importance : « La prison n’est pas la solution pour les toxicomanes ». En effet, selon Sheik, les toxicomanes en prison n’attendent plus que la mort, en l’absence de traitement ou de réhabilitation.

Conditions affligeantes pour les détenus

Les toilettes et les salles de douche sont dans un état effroyable. «  Dans six toilettes ki éna, zis 3 ki fonctionner pou tou sa dimounes- là », a-t-il souligné. Le manque d’hygiène est épouvantable. Selon notre interlocuteur, les prisonniers sont maltraités comme des animaux. Il soutient qu’il est impératif de revoir les conditions des détenus.

En sus de cela, Sheik a eu plusieurs complications de santé dues à une mauvaise alimentation. « Bizin fort pou capave vivre ène expérience pareil ».

Survivre et rien d’autre !

Son triste et long parcours ne s’arrête pas là. Certaines scènes indécentes entre deux hommes constituaient la pire des situations qu’il a été amené à voir. De force ou par consentement, cette pratique est très fréquente en prison. C’est effectivement un lieu où ce qu’il y a des plus malsains, répète-t-il. Être fort mentalement et physiquement était son seul recours pour y faire face surtout quand il s’agit de survivre.

«  Gagne bater ek maltraité avec la police ». Il affirme avoir lui-même été victime de brutalité policière en guise de « punishment », notamment durant douze mois passés en réclusion à la Bastille, à Phoenix, pour avoir essayé de s’échapper.  Il qualifie ces douze mois comme étant les plus douloureux de toute sa sentence.

Cet habitant de Vallée-des-Prêtres a, par ailleurs, tenu à s’adresser aux jeunes qui se laissent tenter par le fléau de la drogue. « Ce qui vous attend en prison est pire que l’enfer. Profitez de la vie, ne touchez pas à la drogue». Cependant, il affirme que son vécu en prison a contribué à ce qu’il est devenu aujourd’hui, plus prévenant envers les gens et ses proches.

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«  Louche et injuste ! »

Il a un sentiment de désarroi à l’effet que son frère (photo ci-dessus) est toujours incarcéré. « Louche et injuste ! ». Arrêtés pour le même délit, notre interlocuteur et son ami se retrouvent en liberté en 2010, alors que son frère croupit toujours en prison. L’ami en question est décédé quelque temps après, probablement dû à une maladie grave qu’il aurait contractée en prison.  Or, Sheik a su se relever grâce au soutien de sa famille et de son épouse en particulier. « Je suis croyant et Dieu m’a donné le courage d’aller de l’avant et de ne pas laisser tomber. » Son épouse ajoute : « Aujourd’hui, nous sommes réunis, mais on attend le retour de son frère avec impatience ».