Zaheer Allam : « Intégrer les données climatiques dans la planification urbaine et l’architecture »

Alors que le problème d’inondation, surtout à Port-Louis, reste entier, l’urbaniste Zaheer Allam insiste qu’il faut une approche globale pour le régler…

Q : Quel est votre constat par rapport au manque de canalisation et de plan structurel d’évacuation dans le pays, plus précisément dans la capitale ?

Il est vrai que la ‘Land Drainage Authority’ a réalisé une étude à l’échelle nationale, bien que je ne sois pas familiarisé avec tous les détails. Je pense qu’il est indispensable de développer un plan cohérent par région, intégré dans une vision régénératrice pour chacune de nos villes. De telles initiatives ne se limitent pas uniquement à la construction de canalisations, mais incluent également la création de bassins de rétention et l’adoption de mesures écologiques. Lorsqu’elles sont méticuleusement coordonnées, ces actions peuvent conduire à une amélioration significative de la qualité de vie. Il est ainsi crucial d’adopter une approche globale, car s’attaquer à un seul problème peut générer de multiples bénéfices. Par exemple, au-delà de la simple prévention des inondations, la mise en place de ces infrastructures peut contribuer à la création d’espaces verts urbains, favoriser la biodiversité et améliorer le bien-être des citoyens. Cela implique de penser au-delà de la réponse immédiate aux crises et de s’engager dans une démarche de planification urbaine durable et intégrée, qui tienne compte des défis futurs liés au changement climatique et à l’urbanisation croissante.

Q : N’est-il pas grand temps de revoir le système de canalisation ? Y-a-t-il un manque d’urbanistes dans le pays ?

Effectivement, il est temps de repenser notre système de canalisation, en prenant en compte l’évolution des conditions climatiques mondiales. Dire que nous manquons d’architectes et d’urbanistes ne serait pas entièrement exact, car le problème des inondations soudaines est relativement récent, tant à Maurice qu’à l’étranger. Plusieurs pays font face à des défis similaires, avec une augmentation de la quantité de précipitations, tendance qui est appelée à se poursuivre. Il est vrai que les alertes concernant ces changements climatiques ont été signalées depuis des années dans les rapports du GIEC (Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat). Ce qui nous manque, c’est plutôt une synergie accrue entre les différents départements. Les informations provenant des sciences climatiques ne parviennent pas systématiquement aux autres secteurs concernés. Il est impératif donc de renforcer la collaboration interdépartementale pour intégrer les données climatiques dans la planification urbaine et l’architecture.

Q : Doit-on revoir l’esplanade du Caudan Waterfront afin de permettre une meilleure évacuation d’eau vers la mer ?

Absolument. Repenser l’esplanade du Caudan Waterfront, et ses zones alentours aussi, est nécessaire, non seulement pour améliorer l’évacuation de l’eau vers la mer, mais aussi pour saisir cette opportunité de corriger certaines erreurs d’urbanisme. Notamment la manière dont l’autoroute traverse la ville et isole cette dernière de son front de mer. Avant d’investir massivement dans cette zone, il est primordial d’adopter une approche régénératrice. Cela implique de réfléchir à la manière dont ces investissements peuvent améliorer les fonctions humaines, en renforçant la connexion des personnes à leur environnement. Les inondations, bien que temporaires, laissent derrière elles des infrastructures permanentes. Il est donc vital d’agir intelligemment, tout en réfléchissant sur des mesures pour augmenter la qualité de vie. Cela pourrait inclure la création de plus d’espaces verts qui agissent comme des zones d’absorption naturelles pour les eaux pluviales, l’amélioration des voies piétonnes pour encourager la marche et réduire la dépendance aux véhicules, et la mise en place d’espaces publics plus inclusifs et accessibles, contribuant à revitaliser cette zone tout en la rendant plus résiliente face aux défis climatiques.

Q : Y-a-t-il un manque d’espaces verts dans la capitale ?

Il est indéniable qu’un manque d’espaces verts dans la capitale a contribué à exacerber les problèmes d’inondation. Les espaces verts jouent un rôle crucial dans l’absorption naturelle des eaux pluviales, ce qui peut atténuer significativement les risques d’inondations urbaines. En outre, l’intégration de solutions basées sur la nature, telles que les toits verts et les jardins pluviaux, pourrait offrir une double fonctionnalité en réduisant non seulement le ruissellement des eaux pluviales mais aussi en améliorant le microclimat urbain. Nous pourrions aller encore plus loin en encourageant les citoyens et les entreprises à rétrofiter leurs bâtiments afin qu’ils puissent absorber leur propre charge d’eau de pluie, réduisant ainsi la pression sur les infrastructures publiques. La promotion de toits verts sur les grands bâtiments de Port-Louis pourrait créer un réseau d’espaces verts interconnectés, favorisant la rétention et l’absorption de l’eau tout en contribuant à la lutte contre l’îlot de chaleur urbaine, en particulier pendant l’été.

L’idée est de traiter ces enjeux de manière holistique, en reconnaissant que la réponse à un problème peut également apporter des solutions à d’autres défis urbains. En cultivant des co-bénéfices, comme l’amélioration de la biodiversité urbaine, la qualité de l’air, et la qualité de vie des résidents, nous pouvons transformer la capitale en un modèle de résilience et de durabilité environnementale. Cela requiert une vision intégrée, une planification soignée et la collaboration de tous les acteurs concernés, du gouvernement local aux citoyens.

Q : Pensez-vous que les développements ont été faits en respectant les normes de construction ?

Il est évident que certains développements n’ont pas respecté les normes de construction requises, notamment les constructions illégales sur les lits et les rives des rivières, bien que ces cas restent relativement isolés. Cependant, il est essentiel de reconnaître que le problème majeur pourrait résider dans l’obsolescence de nos codes de construction face aux changements climatiques actuels. Plusieurs de nos directives en matière de construction datent de deux à trois décennies, une période durant laquelle les conditions climatiques et les connaissances en matière d’urbanisme et de construction durable étaient significativement différentes.

Il est aussi impératif de revoir et d’actualiser nos normes de construction pour qu’elles soient en adéquation avec les défis climatiques contemporains et futurs. Cette actualisation devrait inclure une meilleure prise en compte des risques liés aux inondations, à l’élévation du niveau de la mer, et aux événements météorologiques extrêmes. Il s’agit également d’intégrer des pratiques de construction durable qui favorisent l’utilisation de matériaux écologiques, la gestion efficace des eaux pluviales, l’isolation thermique et l’utilisation d’énergies renouvelables. Il faudrait aussi que toutes les constructions, nouvelles et existantes, respectent ces directives.