- « Même si les organisations internationales ne peuvent pas sanctionner, elles peuvent néanmoins attirer l’attention et tirer la sonnette d’alarme sur ces abus. Elles peuvent aussi assurer que le code d’éthique soit respecté »
« Le Speaker abuse du fait, qu’en vertu de la séparation des pouvoirs, le judiciaire ne peut pas trop intervenir sur ce qui se passe au Parlement, sauf dans des cas exceptionnels, comme il y en a déjà eu dans le passé ». C’est le constat d’Armoogum Parsuramen, ancien parlementaire et ministre MSM…
Zahirah RADHA
Q : Vous avez, ensemble avec d’autres anciens parlementaires, pris position contre le comportement du Speaker au Parlement. Qu’est-ce qui a provoqué ce déclic ?
Comme tous les Mauriciens, nous suivons les travaux parlementaires en direct. Depuis que ce Speaker assure la présidence de la Chambre, la population, du moins ceux qui sont sensibles aux valeurs démocratiques, sont écœurés par la façon d’agir du Speaker. Le Parlement est censé être le Temple de la démocratie. Mais ce qu’il s’y passe actuellement est troublant pour la démocratie parlementaire et le pays, mais aussi pour l’image qu’il renvoie à nos jeunes et sur le plan international. Le Speaker persiste et signe, malgré les critiques.
Maurice fait partie de la « Commonwealth Parliamentary Association » (CPA). Nous avons donc le droit et la responsabilité de nous conformer aux codes d’éthiques. Ce que le Speaker ne respecte pas. Il abuse du fait, qu’en vertu de la séparation des pouvoirs, le judiciaire ne peut pas trop intervenir sur ce qui se passe au Parlement, sauf dans des cas exceptionnels, comme il y en a déjà eu dans le passé.
En tant qu’ancien parlementaire ayant siégé pendant quatorze ans au Parlement, j’étais interpellé par cette situation. Quand des amis, dont Alain Laridon et Jack Bizlall m’en ont parlé, nous avons décidé de prendre position immédiatement. Si j’étais resté tranquille, j’aurais été complice et coupable de cet état de choses. Je suis guidé par une citation de Thurgood Marshall qui dit que « where you see wrong or inequality or injustice, speak out, because this is your country. This is your democracy. Make it. Protect it. Pass it on ». Si rien n’est fait, la situation persistera et s’empirera. L’opinion publique doit le condamner. Il faut qu’il parte, car c’est clair que le Speaker ne va pas changer.
Q : Est-ce sain pour la démocratie parlementaire de tenir un élu d’expérience à l’écart du Parlement pendant plusieurs séances pour des raisons souvent injustifiées et injustifiables ?
C’est injustifié et anti-démocratique ! Le Speaker suspend des parlementaires pour des raisons banales. Il balaie d’un revers de la main les « Point of Orders » soulevés par les députés de l’opposition. Il avait d’ailleurs outrepassé ses limites quand il avait, avec la complicité du Premier ministre, suspendu les députés Bérenger, Bhagwan et Boolell, jusqu’à la fin de la session, soit jusqu’en 2024. C’était très grave, d’autant que tous les trois sont des politiciens d’expérience et qui ont été élus en tête de liste dans leurs circonscriptions respectives. Je n’ai jamais rien vu de tel, même dans les pays africains. D’ailleurs, le Speaker a récidivé après la levée de cette suspension suivant une motion du Premier ministre. La nouvelle suspension d’Arvin Boolell a été la goutte d’eau qui a fait déborder le vase.
Q : Après les expulsions et les suspensions, on a assisté cette semaine-ci à un walk-out et un cas de bullying flagrant de la part du Speaker. Choquant ?
Il harcèle les députés de l’opposition alors que le harcèlement est contre la loi. Ce genre de comportement est inacceptable. Il expulse et suspend des élus du peuple alors qu’il n’est pas, lui, un élu. Il était un agent politique du gouvernement au no. 10 et il a conservé sa partialité quand il a accédé à la présidence de la Chambre alors qu’il aurait dû prendre de la hauteur et de rester apolitique et impartial. Je ne sais pas s’il comprend les « standing orders », bien qu’il prétende que ses « rulings » soient indiscutables. Bref, il bafoue la démocratie parlementaire.
Q : Vous dites que le Speaker doit partir. Comment y parvenir, sachant qu’il ne peut pas être révoqué sans une majorité au Parlement ?
Effectivement, c’est une longue procédure qui ne peut aboutir sans une majorité parlementaire. Mais rien que sur le plan moral et éthique, il aurait dû partir, surtout après son comportement inacceptable envers Rajesh Bhagwan. Après la suspension de Bérenger-Bhagwan-Boolell pour une durée indéterminée, j’avais demandé à ce dernier de maintenir son affaire en cour pour qu’on puisse au moins avoir une jurisprudence. Il est vrai que l’affaire s’était affaiblie après la levée de la suspension. Mais ce qui est malheureux, c’est qu’on a été privé d’une occasion pour analyser le cas sur le plan juridique. Mais Boolell pourra maintenant verser tous ces détails dans son dossier et j’espère qu’on pourra avoir un jugement sur ces abus, bien que ce soit un peu « tricky ».
Q : Que ferez-vous à votre niveau pour dénoncer ces abus ?
Nous aurons recours aux instances internationales, en l’occurrence l’« Inter-Parliamentary Union » (IPU), la « Commonwealth Parliamentary Association » (CPA), l’« Assemblée Parlementaire de la Francophonie » (APF) et le Parlement panafricain, dont Maurice est membre. Même si ces organisations ne peuvent pas sanctionner, elles peuvent néanmoins attirer l’attention et tirer la sonnette d’alarme sur ces abus. Elles peuvent aussi assurer que le code d’éthique soit respecté. Tout comme le FMI l’a fait dans le cas de la « Mauritius Investment Corporation » (MIC). N’oubliez pas que, comme conséquence directe, Maurice a dégringolé, passant de « high-income country à « middle-income country ». Ce qui prouve qu’on ne joue pas avec les instances internationales, surtout sur des dossiers sensibles qui donnent l’impression que le pays est corrompu.
Q : Mais l’image de Maurice ne risque-t-elle pas d’en prendre un nouveau coup ?
Certainement ! Nous dégringolons déjà dans les indices internationaux. Le rapport suédois V-Dem nous catégorisant comme un pays autocratique en est l’exemple. Les pays nordiques, on le sait, sont très à cheval sur ces principes et ils ne nous feront aucun cadeau, surtout s’il concerne les doits fondamentaux. Il en est de même pour l’Union Européenne. Il est vrai que ces instances internationales ne peuvent pas intervenir pour donner des instructions au gouvernement, mais elles peuvent toutefois nous censurer. Elles peuvent aussi nous priver de leur soutien, d’autant qu’il n’y a pas beaucoup de pays qui nous soutiennent. L’Angleterre ne nous a-t-il pas bloqué quand l’Union Européenne nous a inclus sur sa liste noire ?
Le gouvernement pense pouvoir lancer des attaques contre les États-Unis et d’autres pays quand il se trouve sur une caisse savon, mais il oublie que celles-ci comportent des conséquences. Je ne dis pas qu’il nous faut compromettre nos droits et notre souveraineté, mais il y a une façon de le faire. De par son attitude, le gouvernement enfonce davantage le pays dans une situation insoutenable. Un élu a le droit de défendre les intérêts de ses mandants et du pays. Quand on le prive de ces droits pour des raisons banales, cela constitue une entorse aux droits humains.
Q : Comment interprétez-vous le silence du Président de la République, à qui les parlementaires rouges ont adressé une correspondance, sur les commentaires répréhensibles du Speaker ?
Franchement, depuis que Pravind Jugnauth a pris les rênes du pouvoir, il a nommé à des postes constitutionnels des personnes qui ne pourront jamais lui dire qu’il a fauté. Et cela lui fait énormément du tort. Cette situation inédite au Parlement ou encore les informations bloquées par rapport à la « Mauritius Investment Corporation » (MIC) doivent sans doute être relayées à d’autres pays et instances internationales à travers leurs ambassades ou représentants locaux. C’est très mauvais pour l’image de notre pays, surtout à un moment où nous attendons l’arrivée de la délégation de GAFI à Maurice.
Le Président de la République, en tant que garant de la Constitution, a le devoir de réagir. C’est devant lui que le Speaker a prêté serment. Quand le Président voit que la Constitution est bafouée et que la démocratie est « enbalao », il a la responsabilité de l’évoquer avec le Premier ministre lors de ses rencontres hebdomadaires. Notre démocratie est en danger s’il ne le fait pas.
Q : Est-il temps de revoir les « Standing Orders » et la façon de nommer le Speaker, selon vous ?
Définitivement ! J’en profite pour demander à tous les partis politiques de prendre un engagement solennel, dans leur manifeste électoral, pour apporter des changements profonds dans la législation, la Constitution et les « standing orders », entre autres. J’irai plus loin en proposant la mise sur pied d’une commission pour se pencher sur toutes les dérives qu’il y a eu au Parlement depuis 1968. Il faut un constat et une évaluation de la situation avant de pouvoir faire des recommandations et de rectifier le tir.
Les travaux parlementaires doivent être revus. Par exemple, il faut, selon moi, qu’au moins une heure soit accordée à la PNQ et deux heures au PMQT pour plus de transparence. Partout dans le monde, le Parlement a un rôle de « scrutiny » sur l’exécutif. À Maurice malheureusement, il y a une dictature de l’exécutif sur le Parlement. Heureusement que le judiciaire se pose toujours en rempart contre les dérives. Pouvez-vous imaginer ce qui serait passé si le « Prosecution Commission Bill » avait été voté ?
Q : Quelles autres actions envisagez-vous de prendre ? Une manif est-elle à l’agenda ?
Il nous faut préparer un « road map » pour définir toutes les stratégies et pour inclure toutes les actions possibles. Plusieurs anciens parlementaires veulent nous rejoindre. Nous nous réunirons avant de nous concerter sur les actions à prendre. Ensemble, nous constituerons une force et nous continuerons à alerter l’opinion publique. L’indignation de la population sur les réseaux sociaux et dans les médias indique que le Speaker n’a pas d’autre choix que de partir. S’il faut tenir des manifestations pacifiques pour y parvenir, nous le ferons.