Ashok Subron : « Il y a une révolte chez le peuple »

  • Le CP a utilisé ses discrétions de façon politique et partisane

Ashok Subron ne lâche pas prise. Le syndicaliste dénonce avec force la partisanerie du Lord-maire et du Commissaire de police pour avoir refusé de donner la permission à Rezistans ek Alternativ de tenir leur manifestation. Mais pas que. Le gouvernement en prend également pour son grade. Tout comme l’opposition parlementaire d’ailleurs…  

Zahirah RADHA

 

Q : Avez-vous déjà rangé vos casseroles ou sont-elles toujours d’actualité ?

R : Au contraire, nous les avons retirées quand on nous avait interdit de le faire. Nos casseroles ont d’ailleurs fait beaucoup de bruit malgré les contestations des autorités, que ce soit de la police ou du fameux lord-maire de Port-Louis. N’en déplaise à certains, les militants de Rezistans ek Alternativ continueront à taper leurs casseroles en signe de protestation contre le deal papa-piti. Les Mauriciens commencent maintenant à comprendre le sens de la protestation de la casserole et nous nous attendons donc à ce qu’elle prenne de l’ampleur dans les jours et les semaines à venir. Et pourquoi pas un 1er Mai en casseroles ?

 

Q : Quel sentiment éprouvez-vous quand j’évoque le nom du Lord-maire ?

R : Moi, je ne connais pas le monsieur ! Je crois l’avoir déjà vu, mais je n’ai jamais parlé avec lui. Oumar Kholeegan a exprimé tout haut ce que certains politiciens se croient permis de dire et de faire. Il est un de ces vulgaires agents politiques qui pensent que quand ils sont en position de pouvoir, les propriétés qu’ils sont appelés à gérer leur appartiennent, ou sinon qu’elles appartiennent à la bande de Sun Trust. C’est d’autant plus révoltant quand il affirme qu’il verra d’abord les causes défendues avant de donner son autorisation pour la tenue des manifestations. Faudra-t-il lui envoyer un texte, comme dans les années 70, énumérant ce qu’on prévoit de dire ou faire avant qu’il ne donne son aval en se basant sur ses subjectivités politiques ? L’ensemble de la population mauricienne, les ‘opinion leaders’, de même que les médias l’ont condamné, avec raison. J’espère qu’il en a tiré les leçons nécessaires.

 

Q : Vous accusez également la police d’avoir agi de façon impartiale dans cette affaire…

R : Bien sûr. Vous savez, avant même que l’ancien Premier ministre Anerood Jugnauth ne démissionne, j’ai vu des agents du MSM installant des oriflammes à la Place d’Armes. Est-ce que le Commissaire de police pourra nous dire si le délai de sept jours avait été observé dans ce cas ? Le délai de sept jours avait-il été respecté quand l’opposition parlementaire avait tenu son rassemblement ? Le CP a utilisé ses discrétions de façon politique et partisane. Nous nous attendions à ce que nous ayons droit aux mêmes considérations que le MSM et l’opposition parlementaire ont eues. Pourquoi faut-il bâillonner l’opposition extra-parlementaire ? Il serait bon que le CP vienne s’expliquer.

 

Q : Revenons à votre contestation en cour. De quelle façon la passation de pouvoir est-elle est une forme de ‘moulougandage’ et pourquoi la contestez-vous ?

R :Moulougander’ veut dire conspirer. Le deal papa-piti expose justement cette conspiration qui a été faite derrière le dos du peuple. Il y a eu, quelques heures avant qu’Anerood Jugnauth ne s’adresse à la nation, des articles de presse évoquant la possibilité d’un changement de Premier ministre. La cellule de communication du PMO a distillé certaines informations qui sont ‘debatable’ de sorte à ce qu’elles deviennent acceptables. En d’autres mots, elle voulait faire croire qu’un Premier ministre peut se permettre de démissionner et de se faire remplacer par quelqu’un d’autre, et qui se trouve être son fils, comme bon lui semble. La passation de pouvoir a été faite de sorte à ce que la population n’ait pas le temps de poser des questions sur la constitutionnalité de cette démarche. Fine cuit vidé. La lettre de démission n’a d’ailleurs pas encore été rendue publique. On avait fait appel à la Présidente de la République pour lui faire part de nos appréhensions, mais en vain.

 

Q : Qu’est-ce que le gouvernement ‘moulougande’-t-il d’autre, selon vous ?

R : La façon dont la politique économique et sociale du pays est mise en place par ce gouvernement est aussi une forme de ‘moulougandage’.  C’est un gouvernement qui n’a ni de vision ni de cohérence dans ses actions. Il ne fait que mettre en place des projets présentés par différents clans du secteur privé et des capitalistes locaux et internationaux. Les ‘smart cities’ de M. d’Unienville en sont un exemple flagrant. Je vous pose la question : à quel moment durant la campagne électorale de 2014 avez-vous déjà entendu quelqu’un au MSM utiliser le mot ‘smart cities’ ? Zéro ! Comment se fait-il qu’ils n’ont pipé mot sur les ‘smart cities’ avant les élections, mais celles-ci deviennent subitement l’axe central du pilier de  développement après les élections ? N’est-ce pas là un ‘moulougandage’ ?  Et il y a eu tellement de ‘moulougandage’ concernant les ‘smart cities’ que celles-ci ont été à la base de la cassure de ce gouvernement.

 

Q : De quelle façon ?

R : Le conflit Bhadain-Lutchmeenaraidoo était un affrontement autour des ‘smart cities’ et du business de l’immobilier. Bhadain a voulu propulser le business d’immobilier de l’État à travers le Heritage City alors que Lutchmeenaraidoo avait, lui, annoncé la création d’une ‘smart city’ à Port-Louis. Où en est-on avec celle-ci ? Personne n’en parle ! Ce conflit avait d’ailleurs commencé dès janvier 2015. La guerre Sanspeur-Bhadain tournait également autour des ‘smart cities’…

 

Q : Vous insinuez là qu’il y aurait des intérêts personnels qui sont en jeu ?

R : Mais oui ! Ils ont des intérêts. Il s’agit là des businessmen qui sont prêts à tout faire et à tout donner pour que leurs projets réussissent. Prenons un autre exemple : celui de New Mauritius Hotels (NMH). Il y a quelques jours, la Financial Services Commission (FSC) a émis un communiqué pour dire qu’il n’y a eu aucune violation des règlements par la NMH, sans qu’elle ne réponde aux questions que Rezistans ek Alternativ et les syndicats ont posées. Est-ce que les fonds des travailleurs, qui sont gérés par Swan Life, ont été utilisés pour acheter les actions de NMH ? Pourquoi les a-t-on achetées à Rs 29 et quelque alors qu’elles sont vendues à Rs 24 en Bourse ?  Au préjudice de qui ? La FSC doit répondre.

Je dénonce aussi le silence total de tous les partis politiques mainstream concernant cette affaire. Une petite vérification dans les Financial Reports des trois compagnies, soit NMH, ENL et Rogers, et vous trouverez la raison de ce silence : une political donation totale de Rs 29 millions durant la dernière campagne électorale. L’argent fait taire bien des gens. Voyez-vous, le gouvernement et l’opposition sont en ambivalence permanente dans ce pays.

 

Q : Justement, quelle est votre lecture de la situation politique actuelle ?

  • « Sheila Hanoomanjee abuse de sa position pour s’approprier un surplus sur le dos de tout le monde »

R : Durant les trois derniers mois, on a eu un nouveau Premier ministre, un nouveau leader de l’Opposition et une opposition qui compte, dans ses rangs, deux anciens ministres très en vue de l’ancien gouvernement (ndlr : celui de SAJ). On avait des députés qui se voulaient indépendants mais qui font maintenant partie du gouvernement. Ce remue-ménage dure maintenant depuis plusieurs décennies. Prenons l’exemple de Bérenger. Dans une récente conférence de presse, il dit que « ine ferme la porte avec MSM ». La population se demande « bé quand la porte là ti ouvert ?». Cela pour vous dire que tout est actuellement possible. Demain, Ramgoolam peut être dans le gouvernement avec Jugnauth. Idem pour Paul Bérenger. À n’importe quel moment, Xavier Duval peut refaire partie du gouvernement. Il sait le faire très bien d’ailleurs. Bhadain, il faut le souligner, a pris du galon à partir du set-up papa-piti. Il sait exactement quand il faut faire des baisemains, il ne faut pas l’oublier. Pour eux, ce n’est que la conquête du pouvoir qui les intéresse.

 

Q : Entre un gouvernement presque totalitaire et une opposition fragmentée, le sort du pays n’est-il pas compromis ?

R : Oui, il sera compromis si les citoyens ne se réapproprient pas l’espace politique. Il a fallu des années de lutte pour qu’on ait le droit de vote. Mais ce droit politique, et la démocratie qui va avec, ont été pervertis et pourris à travers le communalisme d’une part et à travers le pouvoir de l’argent de l’autre. Une réappropriation de ce droit s’avère nécessaire…

 

Q : Le citoyen est-il prêt à relever ce défi ?

R : L’histoire nous prouve qu’on n’a jamais pu réprimer les gens pour qu’ils acceptent des décisions arbitraires pendant une longue période. Que ce soit dans les médias ou sur les réseaux sociaux, on voit déjà une certaine révolte chez le peuple, mais elle est exprimée de façon sporadique sur certains sujets. On est déjà dans une phase de réappropriation et de réinvention de la politique. On a beaucoup de confiance et d’espoir en la nouvelle génération, mais aussi celle des années 70. Au Rezistans ek Alternativ, on la voit venir cette nouvelle façon de faire de la politique.

 

Q : La voyez-vous toujours venir quand on évoque les biscuits de Sheila Hanoomanjee ?

R : Il y a plusieurs dimensions à cette affaire. D’abord, la diplômée qu’elle est probablement n’a rien trouvé de mieux que de prendre un paquet de biscuits de Rs 20, le réemballer et ensuite le revendre, en s’appropriant une valeur ajoutée énorme sous prétexte que c’est le coffret qui coûte cher. Et puis, on voit que l’usine Esko n’arrive pas à vendre ses biscuits. Elle passe donc par un intermédiaire qui se trouve être quelqu’une qui est dans le giron du pouvoir et dont la mère est Speaker. Il y a clairement un abus de pouvoir. Elle abuse de sa position pour s’approprier un surplus sur le dos de tout le monde, à commencer par les malheureux travailleurs d’Esko. C’est l’exemple d’un parasitisme inacceptable que le système actuel de la politique est en train d’engendrer.

 

Q : Rezistans ek Alternativ peut-il se mesurer aux partis politiques traditionnels ?

R : Oui, pourquoi pas ? Cependant, notre but n’est pas de se mesurer à eux, mais plutôt de challenge la politique qu’ils prônent. Celle-ci est en train d’undermine la démocratie. Elle bloque l’émancipation et le mieux-vivre des citoyens. Elle entraîne une inégalité sociale sans précédent entre les riches et les pauvres. Il y a un abus excessif des appareils d’État. Il y a beaucoup de ‘moulougandage’ qui se font. De nos jours, les jeunes ne veulent plus d’un parti politique où il y a un leader « ki donne l’ordre », d’autant qu’ils sont exposés aux réseaux sociaux qui leur donnent une nouvelle façon de s’exprimer et de socialiser. Et c’est là qu’il y a la possibilité d’une réinvention de la politique…