Sok Appadu : « On peut maintenant faire des prévisions avec 95% d’exactitude »

Pour l’ancien directeur de la station de météorologie de Vacoas, il ne fait pas de doute. Les critiques entourant les prévisions de la météo résultent d’une mauvaise interprétation des observations du climat. Dans l’entretien qui suit, Sok Appadu ne fait pas dans la dentelle. Il tonne. Il fustige. Il ridiculise. Parmi ses cibles, Khemraj Servansingh, directeur du National Disaster Risk Reduction and Management Centre, mais aussi le gouvernement…

  • Je vois mal comment le pauvre Bolom arrive à accepter tout ce qui se passe

Zahirah RADHA

 

Q : A chaque averse ou autre catastrophe naturelle, la Météo s’attire une pluie de critiques. Sont-elles justifiées ou non ?

R : Il est très facile pour les gens de critiquer. Il faut cependant savoir dans quel type d’environnement évoluent les prévisionnistes de la Météo. Maîtrisent-ils suffisamment les techniques d’observations et d’interprétations? Il convient de souligner qu’il existe aujourd’hui plusieurs facilités pouvant leur permettre d’émettre des prévisions justes et précises. Outre leurs propres observations, ces prévisionnistes peuvent aussi compter avec les images satellitaires d’autres pays pour les aider dans leurs tâches. Ils doivent néanmoins les interpréter correctement. Il ne faut pas qu’ils aient peur pour émettre leur forecast. Tout le monde peut faire des erreurs à condition qu’elles ne se reproduisent pas à chaque fois.

 

Q : Justement, ce n’est pas la première fois que la Météo fasse l’objet de critiques…

R : C’est vrai qu’elle est critiquée de toutes parts. Ses prévisions ne sont pas acceptées par la population. Celle-ci n’a pas tout à fait tort, car elle a été prise de court à un moment donné lors du passage de Carlos, étant donné qu’on lui a dit que le cyclone s’affaiblissait avant de lui dire qu’elle s’est ré-intensifiée. C’est là où la communication s’avère importante. Il faut savoir rassurer la population au lieu de l’affoler davantage.

Voyez-vous comment il pleut en ce moment  (ndlr : vendredi matin) ? La Météo nous avait-elle avertis qu’il pleuvra de la sorte ? Il ne suffit pas de faire des prévisions vaguement. Par exemple, il ne faut pas se contenter de dire qu’il y aura de grosses pluies. Il faut préciser si elles seront intermittentes ou pas, si elles dureront durant plusieurs heures ou quelques minutes seulement, et si elles seront accompagnées d’orages ou pas. Ces précisions sont importantes puisqu’elles permettent à la population de mieux s’armer et de prendre les dispositions nécessaires.

 

Q : Doit-on maîtriser l’art de la communication quand on est directeur de la Météo ?

R : Définitivement ! La communication est un facteur clé dans le service de la météo et il est primordial que le directeur en maîtrise les ficelles. D’ailleurs la communication fait partie du programme d’études de la météorologie. Cela veut tout dire…

 

Q : Est-ce normal donc que le directeur actuel n’arrive pas à s’expliquer correctement ?

R : C’est vraiment chagrinant. Je suis très triste pour lui. Il faut qu’il se perfectionne, car il ne faut pas oublier qu’il est payé des fonds publics. Il doit donc pouvoir offrir un service de qualité. Je lui conseille de faire bon usage du studio de la Météo où les prévisionnistes sont supposés s’entraîner pour devenir plus éloquents.

 

Q : À quoi sert le National Disaster Risk Reduction and Management Centre ? N’est-il pas censé communiquer à la population en période de mauvais temps ?

R : Tout à fait. Cela fait partie de sa mission. D’ailleurs, on a vu Servansingh (ndlr : le DCP Khemraj Servansingh, directeur du centre) en train de raconter des histoires. Comme on le dit, au royaume des aveugles, les borgnes sont rois !

 

Q : Vous avez dit plus tôt qu’il ne faut pas que les prévisionnistes aient peur pour émettre des prévisions. Pourquoi devraient-ils l’être ? Feraient-ils face aux pressions externes ?

R : Je n’ai jamais reçu d’ordres de qui que ce soit quand j’étais directeur de la Météo. Lors du passage du cyclone Dina en 2003, le Premier ministre d’alors m’avait même dit que « c’est ou travay sa. Guetté ki ou éna pou faire ». Mais, je ne sais pas comment ça se passe maintenant. Est-ce qu’il y aurait un nouveau qui pense savoir plus que tout le monde et qui ferait pression sur les travailleurs ? Je n’en sais pas.

 

Q : La Météo est-elle suffisamment équipée afin de pouvoir ‘deliver the goods’ ?

R : Les équipements avaient été modernisés en l’an 2000, grâce à un projet conjoint de la COI-EU (Commission de l’Océan Indien – Union Européenne). Ces équipements sont conformes à ceux qu’il y a en France. Mais il ne faut pas oublier que ce ne sont que des outils. Il faut que ceux qui les manient soient à la hauteur de leur tâche.

 

Q : Ils ne le sont pas ?

R : Je ne le sais pas. Ce que je sais, par contre, c’est que la Météo se doit d’évaluer ses forces et ses faiblesses après chaque catastrophe naturelle. Cela afin de mieux se préparer, mais aussi pour ne pas répéter les mêmes erreurs à l’avenir. Et puis, quand vous travaillez à la Météo, il faut que vous soyez un homme de terrain au lieu de vous enfermer dans une tour d’ivoire.

 

Q : N’est-il pas temps de moderniser le système météorologique qui date depuis longtemps déjà ?

R : Les conditions climatiques ne sont pas les mêmes que celles qui prévalaient 50 ans de cela. Ainsi, les études scientifiques évoluent constamment, tout comme le sont les méthodes d’observations. Maintenant, grâce au système numérique, on peut faire des prévisions pour les 24 prochaines heures avec 95% d’exactitude. Des prévisions pour les trois prochains jours peuvent être faites avec une probabilité de 60 – 70%. La possibilité de commettre des erreurs est ainsi très minime. Cela dit, il est impératif que les employés soient initiés aux nouvelles méthodes de technologie. Autant que je sache, ils bénéficient régulièrement des bourses de formation. J’espère qu’ils les utilisent à bon escient.

 

Q : Le fonctionnement de la Météo est donc à revoir ?

R : Il faut d’abord commencer par revoir le fonctionnement du gouvernement ! La population est dégoûtée par les excès de ce régime. Comment la fille de Hanoomanjee a-t-elle pu décrocher le contrat pour fournir des biscuits à la MDFP (Mauritius Duty Free Paradise) ?  Ils critiquaient sans cesse Nandanee Soornack, mais une fois au pouvoir, ils font exactement la même chose. Je vois mal comment le pauvre Bolom arrive à accepter tout ce qui se passe. Mais létan ou l’heure pou vini, la population pou donne zotte zotte manzé !

 

Q : Vous sautez de la météorologie à la politique. Songez-vous à faire un comeback dans l’arène politique ?

R : J’avais adhéré au parti d’Eric Guimbeau parce que je croyais qu’il pouvait apporter un changement. Mais j’ai par la suite constaté qu’il n’était pas meilleur que les autres politiciens. Bien que je sois toujours passionné par la politique, je ne pense pas tenter une nouvelle expérience. J’encourage toutefois les jeunes à s’y intéresser. La politique est très noble. À condition qu’on la fasse à la manière de Mahatma Gandhi ou Nelson Mandela.