Dawood Rawat : « J’ai des preuves que le complot contre moi avait été ourdi par des chefs de plusieurs secteurs de l’économie »

Interview exclusive

Huit ans après le démantèlement de la BAI, et suivant le verdict de la Cour de cassation de Belgique, l’ex-chairman Emeritus de BAI, Dawood Rawat, sort de son silence. Dans un entretien exclusif qu’il nous a accordé, il revient sur le complot dont il dit avoir été victime. Et le moins que l’on puisse dire, c’est qu’il ne pratique pas la langue de bois. Il promet de retourner à Maurice « en temps voulu », avec, dans sa valise, des preuves qu’il ne révèlera que dans une cour de justice…

Zahirah RADHA

Q : Quel est votre sentiment après le rejet de votre appel par la Cour de cassation de Belgique, basé sur des motifs techniques ?

Ma plus grosse déception est logiquement d’avoir perdu une autre manche de notre bataille arbitrale. Je dis bien une autre manche, parce qu’elle est, une nouvelle fois, une défaite purement technique. La première cour d’arbitrage s’étant déclarée incompétente, les deux autres cours d’appel n’ont fait que confirmer qu’elle avait raison. Donc, notre véritable procès contre ceux qui ont détruit le groupe BAI, n’a JAMAIS été pris dans une cour de justice.

Des bien-pensants disent que j’aurais dû déclencher toute procédure de justice à Maurice. Ces personnes ont oublié que, durant la première période de 2015, la situation sociale avait tellement dégénéré que faire ou dire quoi que ce soit contre le nouveau régime était suicidaire. Malgré cette ambiance de peur qui paralysait la grande majorité de la population, nous avions quand même logé deux cas en cour demandant une ‘Judicial Review’ pour contrer la BoM sur sa surprenante décision de résilier la licence de Bramer.

Nous avions été surpris que la cour eût décidé de rejeter notre demande parce que notre représentant légal n’avait pas eu l’aval du comité de direction de la compagnie. Était-ce du catch-22, étant donné que tous les comités de direction du groupe avaient déjà été dissous par les administrateurs ?

Q : « Li pas pou aret la », avez-vous prévenu dans une déclaration que vous avez faites à un confrère. Que comptez-vous faire maintenant ?

Je ne sais combien de personnes, dans la position dans laquelle j’étais, auraient pu survivre après tout ce qu’ils ont détruit de mes cinquante ans de travail à Maurice, aux États-Unis, en Europe, en Asie et en Afrique. La violence psychologique et physique que les chefs du complot contre moi ont infligé à mes filles et gendres ne pourrait jamais être pardonnée. Comment donc pourrais-je m’arrêter de chercher justice ? Non seulement satisfait d’avoir dévalisé Dawood Rawat, mais allant jusqu’à détruire ma réputation et celle de mes enfants…

Je connais maintenant les noms des principaux pyromanes qui, depuis des décennies, alimentent des rumeurs malveillantes sur moi. Un exemple, un jour une connaissance bien-intentionnée, m’avait fait savoir que dans son groupe socialement communal, on parlait souvent de moi. À ma question sur l’objet de leurs conversations, elle m’expliqua qu’on se demandait d’où venait mon argent. En voulant me rassurer, la gentille dame m’a dit, en toute confidence, qu’apparemment c’était Agha Khan qui était derrière moi. Comment voulez-vous que j’arrête quand, bien que nous ayons déjà tout perdu, ils veulent maintenant mes biens personnels ?

Côté réputation, ils ont alerté le monde que Dawood Rawat est un voleur. Imaginez ce que c’est que d’être traité de cette façon par ceux qui ont fait fortune de façon douteuse !

Q : Vous dites détenir des preuves à l’effet qu’il s’agissait d’un complot, en faisant référence à une phrase (« je l’ai eu ») lancée par l’ancien ministre des Finances, Vishnu Lutchmeenaraidoo. Pouvez-nous en dire plus ?

Ce cri du cœur (ndlr : référence faite à « je l’ai eu » de Vishnu Lutchmeenaraidoo) qui émanait de quelqu’un qui avait débuté très modestement et qui, aujourd’hui, est bien calé dans son fauteuil douillet, sachant que lui et sa famille sont à l’abris, étant propriétaires de pas mal de propriétés en Europe. J’ai la liste de tous ses actifs. Le plus inquiétant dans toute cette malheureuse affaire, c’est que cet individu avait commencé sa chasse depuis qu’il était membre de la commission finances du MMM. Cela faisait donc déjà un bon bout de temps qu’il ruminait sa stratégie. Il fut aidé par son leader qui avait porté à l’Assemblée nationale le premier jet de pierres, en insistant sur le fait que le gouvernement d’alors se devait de regarder de près une certaine compagnie d’assurance. Le plus surprenant, c’est qu’il devait même lier la compagnie locale à une autre qui avait fait faillite à TRINIDAD.

La BAI portait le même nom parce qu’elle faisait partie du même groupe avant leur séparation il y a presque une vingtaine d’années. À ma question au leader du parti sur la raison de cette fausse nouvelle, il m’avait répondu qu’il savait que mon groupe n’avait rien à faire avec celui de Trinidad. Stupéfait par ce commentaire, je lui avais demandé des explications. Et la réponse était : « to bizin comprend c’est la politique ». Donc, le Vishnu portait sur ses épaules, la responsabilité de finir Dawood Rawat. Je vous ferai l’historique de la stratégie du démantèlement de la BAI plus tard.

La raison est bien simple, les responsables de ce massacre financier se liguent depuis bientôt trente ans. Ils viennent de plusieurs secteurs et ils ont tous un fiel incroyable contre ce ‘Maverick’, que je représentais dans l’économie. « Comment ce « lascar » pouvait-il croire qu’il allait nous rattraper et même nous dépasser ? Puisque ce morveux l’avait déjà fait dans le secteur de l’assurance, il fallait donc le ramener à la raison ». Je peux vous confirmer que cela m’avait été rapporté par nul autre que le chef de la FSC, puisqu’à chaque fois que je venais à Maurice, je me faisais un devoir de lui rendre visite. Et à chaque visite, il me faisait savoir que mes concurrents venaient le voir régulièrement pour se plaindre de nous et qu’ils insistaient pour qu’il jette un coup d’œil sur mon groupe.

Je lui avais répondu en lui demandant s’il était leur messager. À ce moment, il avait décidé de me donner un conseil, en me faisant la remarque suivante : « Dawood, rentre dans les rangs, et ils te laisseront tranquille ». C’est tellement évident que j’avais eu l’impardonnable effronterie de croire que je pouvais jouer dans la cour des grands. J’ai des preuves que le complot contre moi a été ourdi dans plusieurs bureaux des chefs de plusieurs secteurs de l’économie. Quel était le rôle de Vishnu Lutchmeenaraidoo ? Je reviendrai dessus, d’autant qu’il devait avoir le soutien de quelqu’un à la BoM.

Q : Puisque vous parlez de BoM, vous aviez précédemment évoqué le rôle joué par l’ancien Gouverneur de cette institution, Basant Roi, dans le démantèlement du groupe BAI. Fait-il également partie de ce complot que vous évoquez ?

Basant Roi m’avait fait beaucoup de confidences quand il avait besoin de moi. L’autre agent à la BoM était son adjoint, Googoolye, que je ne connaissais pas initialement, mais qui, après m’avoir demandé des rendez-vous, venait me voir à mon bureau et une fois, même chez moi à Floréal. La raison pour laquelle je cite ces deux compères, c’est parce qu’au début de 2015, quand la série de retraits de fonds importants à la Bramer avait commencé, j’ai été voir Basant Roi. La visite avait duré quarante minutes, durant lesquelles le sieur Roi était resté silencieux sur les problèmes de la Bramer Bank. Pas un mot, aucun avertissement, aucune mention sur ce qui était apparemment déjà un problème alarmant pour la banque centrale. Imaginez-vous : je suis dans son bureau, il sait qui je suis, mais il reste néanmoins silencieux comme une statue.

L’autre agent du pouvoir, qui un an auparavant, nous avait donné, en écrit, une autorisation pour faire un certain investissement sous le gouvernement précédent, avait tourné casaque au point de nous écrire pour nous avertir qu’il ne permettrait plus ce qu’il nous avait lui-même autorisé de faire l’année précédente. Basant Roi crie sur tous les toits que la décision de suspendre le permis de Bramer était nécessaire pour la protection de l’économie. Qui, croit-il, pourrait accepter que Vishnu Lutchmeenaraidoo et lui-même n’étaient pas de connivence ? D’ailleurs, j’avais demandé un rendez-vous avec Vishnu Lutchmeenaraidoo, mais en vain. Ma demande était restée sans réponse. Je reviendrai sur cette histoire, car elle n’est pas terminée.

Q : Y a-t-il d’autres personnes qui sont impliquées dans ce complot dont vous faites état ?

Complot, il y en a eu. Le début de la première attaque date de 1992, quand la BAI avait fait son IPO. Des personnes sans scrupules de plusieurs secteurs s’étaient arrangées pour détruire notre entrée en bourse dès sa naissance même. Celui qui m’avait mis la puce à l’oreille, était le ministre des Finances d’alors, Rama Sithanen. Comme j’étais à Maurice pour cet événement primordial pour la compagnie, le ministre m’avait invité à son bureau pour m’informer qu’il avait appris qu’il y avait une compagne de sabotage menée par des courtiers pour s’abstenir de vendre les nouvelles actions de la BAI mises sur le marché. Il m’avait conseillé d’en parler au Premier ministre, SAJ. C’est ce que j’avais immédiatement fait.

Rama Sithanen devait aussi demander à la police d’enquêter sur un article qui était paru le jour du lancement de nos actions dans le magazine ‘Business Week’, et dont les propriétaires étaient, tenez-vous bien, les ‘seniors managers’ de PricewaterhouseCoopers (PWC). Quelle coïncidence, puisqu’on reverra PWC vingt ans après, tirer des boulets de canons sur la BAI, mais avec un changement d’acteurs cette fois-ci.

Les premiers nommés n’étaient plus à la tête de la PWC. Mais le comptable André Bonieux, qui avait préparé les comptes de la BAI en 1992 en tant qu’employé de Kemp Chatteris, a été, au début de la saga, un acteur de premier rang. Il était non seulement présent le soir du début de l’assaut, mais il était même au premier plan, en expliquant, sur un tableau, comment les actifs du groupe étaient entremêlés et d’où il fallait donc tirer la ficelle qui ferait sombrer le navire. Son rôle était clairement prêt, étant donné qu’il s’était permis d’écrire officiellement, à travers le mail de PWC, à mon trust presque cinq semaines avant même la destruction du groupe.

Une question bien simple : pour quelle raison le ‘senior partner’ d’une boîte d’auditeurs, une des quatre compagnies incontournables de l’audit international, écrirait-il au trust d’une personne dont il n’est pas le comptable ? Le pire, c’est qu’il me connaissait parfaitement bien, ayant été notre auditeur chez Kemp Chatteris. Mieux encore, il était même venu me voir pour me proposer de prendre PWC comme conseillers pour nous aider à résoudre nos problèmes. Il m’avait expliqué qu’il lui était facile de travailler avec le groupe parce qu’il avait bien étudié notre ‘balance sheet’.

Je l’avais remercié, tout en refusant son offre. Il se trouva que la BAI devait, par la suite, retenir les services de PWC South Africa pour préparer un document de vente de nos actions ou actifs, afin de satisfaire les instructions de la FSC de réduire le pourcentage de nos ‘related party transactions’. Il est évident qu’André Bonieux s’était bien équipé pour participer à l’étranglement du groupe.

Q : Ces preuves que vous dites avoir, êtes-vous disposé à les rendre publiques ?

Je réserve mes informations pour une cour de justice. Cette fois-ci, on ne recherchera pas d’arbitrage, mais on ira directement vers une cour de justice. Mon histoire consiste en une série d’actions et d’événements qui, au fil des décennies, ont tissé des fils d’araignées dans lesquels venaient graduellement s’ajouter d’autres éléments, les uns plus négatifs que les autres, au point où notre réputation avait tellement noirci, qu’on puisse se demander comment on a pu tenir aussi longtemps, soit cinquante ans à Maurice, mais plus que cent ans à travers le monde.

Réalisez-vous que les plus vieilles compagnies du monde ont pratiquement disparu, et qu’elles ont été remplacées par les Apples, Amazon, Google et l’incontournable Elon Musk ? Croyez-vous qu’un Steve Jobs aurait pu réaliser ce qu’il a donné au monde ? Tous ces nouveaux titans du business n’auront pas survécu à Maurice, car ici, on se serait posé des questions sur la provenance de leur argent, et on se serait dit qu’ils ont sûrement fait des trucs malhonnêtes…

Q : Il me semble qu’il y a beaucoup de vérités qui n’ont pas encore été révélées à ce jour…

Cette question est à la base même de cette saga, car immédiatement après la chute du groupe, nos employés, terrorisés de perdre leurs emplois, ont pris leur distance avec moi au galop. Même ceux qui travaillaient au niveau supérieur du groupe avaient coupé les liens avec moi, après m’avoir fait comprendre en ce soir maudit, qu’il fallait vendre le groupe en signant la lettre notoire.

« Chairman, il faut signer, sinon ils vont se mettre à punir vos enfants et les directeurs », m’avaient-ils dit. C’est donc sous une pression impitoyable que j’ai signé la lettre dans laquelle j’ai accepté de céder le groupe pour une roupie. Mes enfants étaient contre cette action de ma part, mais deux de mes officiers insistaient pour que je signe. Et par-dessus le marché, un avocat de renom devait aussi me dire qu’il fallait signer, étant donné que les chefs étaient devenus incontrôlables et qu’ils feront beaucoup de mal à mes enfants. Il serait trop long pour moi d’expliquer les machinations de cette soirée de destruction.

Malgré mon accord sous pression, la promesse qu’ils n’allaient pas faire de mal à mes filles était vaine, car ils leur ont fait voir de toutes les couleurs, ainsi qu’à mes gendres, et ils le font toujours. Je reviendrai avec d’autres détails en temps voulu. Ils n’ont pas seulement détruit la BAI, mais aussi le business d’une de mes filles.

Q : Le retour à Maurice, c’est pour quand ?

J’attends l’heure propice pour rentrer. Ceux qui disent que j’aurai dû rentrer immédiatement après l’événement doivent se poser la question : que n’auraient-ils pas fait contre moi si j’étais rentré ? Je laisse à la population le soin de réfléchir, sachant que des questions à propos des événements les plus incongrus tels que les fraudes qui sont devenues courantes, restent toujours sans réponse. J’aurais été une cible encore plus radicale que l’expropriation du groupe et les honteuses misères qu’il ont faites à ma famille. Je pense qu’une solution équitable pour tous serait la meilleure idée.

Ceux qui ont perdu leur argent, leur santé, et même les époux et enfants de ceux ou celles qui ont perdu leur vie devraient être soulagés par les tous puissants qui tiennent les cordons de la bourse. Je connais presque tous les anciens, et même quelques nouveaux leaders politiques qui sont passés me voir. La question de financement des partis politiques est pertinente. Croyez-moi, j’en sais bien des choses, et cela donnerait certainement des cauchemars à certains.

Un dernier exemple : qui pourrait m’expliquer la raison de l’annulation de mon audition par vidéo à la commission d’enquête sur Britam ? Une somme colossale a été perdue dans une transaction secrète où les Kenyans ont tourné en idiots ceux qui ont accepté leur histoire… Britam est donc une autre affaire à raconter dans un avenir pas très lointain. Retourner à Maurice est certainement possible, mais au préalable, je dois m’assurer que je ne serai pas importuné, comme un vulgaire voyou.