Dr Caussy : « Que toutes les informations soit rendues publiques ! »

Dr Deoraj Caussy

Questions à… Dr Deoraj Caussy, épidémiologiste

 … Propos recueillis par Zahirah RADHA 

Q : Quelle est votre lecture de la situation actuelle concernant le Covid-19 ?

La situation est alarmante. Le nombre de cas grimpe exponentiellement et trois décès sont déjà à déplorer. J’avais déjà émis des avertissements depuis janvier. Malheureusement, on ne m’a pas écouté.

Q : Puisque les personnes décédées étaient toutes rentrées de l’étranger, serait-il approprié d’effectuer des tests sur tous ceux qui sont arrivés au pays depuis les deux derniers mois ?

J’avais prévenu qu’en se basant uniquement sur les symptômes, on pourra avoir deux tiers de ceux qui sont infectés, mais pas la totalité des cas. Ils ont cependant continué de miser sur leur système de surveillance en prenant seulement les symptômes en considération. J’avais aussi prévenu, dès janvier, contre l’arrivée des milliers de ressortissants, surtout de la Chine. Aucun test n’avait été effectué sur eux.

Il faut bien évidemment faire des tests, mais pas de ceux qui sont déjà rentrés au pays. D’ailleurs, la plupart d’entre eux ont fort probablement déjà rentré chez eux. De toute façon, s’ils étaient positifs et qu’ils ne présentaient aucun symptôme ou sinon des symptômes bien minimes, ils n’auraient plus le virus maintenant. Ils auraient des anticorps, mais on n’a pas ce test spécifique à Maurice car c’est toujours en développement en Europe. Ce serait donc synonyme de chercher une aiguille dans une botte de foin.

Maintenant, il faut plutôt faire des ‘screening’ des personnes qui sont à risque, comme celles qui travaillent à l’aéroport ou dans les secteurs de la santé, touristiques et les services publics. Leurs contacts aussi doivent être testés. Il faut effectuer des tests aléatoires au sein de la communauté puisque le virus a déjà propagé.

Q : Des tests aléatoires à travers l’île, vous voulez-dire ?

Oui, surtout dans les ‘hotspots’, soit là où des cas positifs ont été détectés, les lieux les plus fréquentés, mais aussi les hôtels où les ressortissants ont logé. Les autorités doivent savoir quels sont ces endroits, bien qu’elles ne le disent pas. Elles devraient procéder à partir d’une carte géographique. En tout cas, les informations ne sont pas transparentes…

Q : Est-ce à dire que les informations entourant l’identité des victimes auraient dû être rendues public ?

Certainement ! On ne peut pas se cacher derrière un bouclier comme le secret médical. Des pays comme la Corée du sud publient carrément les informations. D’ailleurs, vous y recevez même des alertes sur votre téléphone portable au cas où vous rentrez dans une zone à risque. On doit bien se demander : est-ce la santé de la population qui est plus importante ou la confidentialité d’un patient ? Arrivé un moment, il faut bien peser le pour et le contre. À mon avis, on aurait dû publier les informations pour que les endroits à risques sont évités d’une part, mais aussi pour que ceux qui ont eu des contacts avec les patients positifs, puissent venir de l’avant pour se faire tester. Ce qui facilitera le ‘contact tracing’.

Q : Le ‘contact tracing’ est-il une arme efficace pour éviter la propagation ?

S’il est fait au moment propice, oui. Mais à un moment donné, il y aura tellement de cas que le ‘contact tracing’ ne servira à rien.

Q : Plusieurs membres du personnel soignant ont été mis en quarantaine alors que d’autres déplorent le manque d’équipements de protection. Doit-on craindre pour leur sécurité ?

Dès le départ, j’avais dit que le personnel soignant serait au front de la bataille et qu’il devait être bien équipé. Mais le ministère a maintenu que le protocole de l’OMS est respecté. Où est l’OMS aujourd’hui ? Je ne la vois plus sur le terrain. Où est le plan qu’elle avait validé et qui s’est révélé être une faillite totale ?

Q : « Un mort dans chaque famille si la tendance se poursuit ». Vous partagez l’avis du Dr Gujadhur ?

S’il en est ainsi, il sera le principal responsable parce qu’il n’a pas mis les dispositions qui s’imposaient. Il s’est montré borné, récalcitrant, ignorant, incompétent, incapable. J’avais tiré la sonnette d’alarme. J’avais dis qu’il fallait un plan d’action. Mais il avait assuré la population que le pays était bien préparé alors que tel n’est clairement pas le cas. Il nous donnait donc des fausses informations. Cette responsabilité, il devra l’endosser…

Q : Vous parlez du Dr Gujadhur ou du ministre de la Santé ?

On n’entend que très peu le ministre. Au Canada, le Premier ministre, dont l’épouse est positive au Covid-19, s’adresse quotidienne à la population bien qu’il soit confiné chez lui. C’est un devoir, un engagement, voire une obligation, envers tout un peuple. Cela démontre sa crédibilité. Chez nous, il n’y a qu’une personne qui parle. C’est li ki kone tou, mais li pas kone tou, sorry ! Pour revenir à votre question initiale, il devra assumer la responsabilité si on en arrive là parce qu’il avait la possibilité de prendre les actions qu’il fallait, mais il ne l’a pas fait.

Q : Un message à la population ?

Il n’y a pas de vaccin pour le Covid-19. Le seul vaccin pour l’instant, c’est le comportement individuel. Il faut respecter scrupuleusement les consignes sanitaires, le confinement et le ‘social distancing’ jusqu’à la fin de cette épidémie.

Il faut également un plan au niveau de la famille. Il faut se préparer dans l’éventualité qu’il y ait un cas à la maison. Enfin, il faut aussi faire attention aux produits importés car il n’y a aucune garantie qu’ils n’ont pas été exposés aux personnes contaminées. Si les produits sont empaquetés dans des sachets en plastique, il faut bien les laver avec du savon et les laisser pendant au moins sept heures avant qu’on ne les utilise.