- « Pourquoi les Mauriciens sont-ils hébergés séparément dans des chambres d’hôtel alors que les travailleurs migrants sont tous entassés dans leurs dortoirs ? »
- « Les zones rouges pas efficaces »
Il répond à nos questions avec le même franc-parler qu’on le connait. Sans gueule de bois. Le Dr Vasantrao Gujadhur analyse la situation de la pandémie à Maurice et donne ses prescriptions gratuitement. C’est à prendre ou à laisser…
Zahirah RADHA
Q : Le pays est-il « relatively Covid-safe » ?
Non ! Voyons le ‘bigger picture’. D’abord, il y a en moyenne 10 à 15 cas qui sont enregistrés quotidiennement dans les « Covid testing centres » et les « flu clinics » se trouvant dans les hôpitaux régionaux répartis à travers l’île. Ce sont des cas qui sont issus de la communauté. Il faut savoir que chaque cas positif recensé dans la communauté peut potentiellement affecter jusqu’à trois contacts par jour. Ainsi, si officiellement, une quinzaine de cas est recensé par jour, c’est probablement 30 à 40 cas additionnels qui circulent librement dans la communauté.
Il y a ensuite beaucoup de cas asymptomatiques. D’où la contamination des employés sur leur lieu de travail, dont des usines, des centres d’appels, des branches de la CWA et des banques, entre autres. D’ailleurs, beaucoup d’entreprises n’ont même pas un protocole strict de surveillance. Et finalement, des établissements scolaires sont contraints de fermer leurs portes quotidiennement alors que des centaines de cas sont recensés dans des dortoirs. Le nombre de cas actifs a largement dépassé la barre de 1000. J’apprends d’ailleurs que l’équipe de « contact tracing » ne sait plus où se donner la tête avec le nombre grandissant de cas.
Dites-moi maintenant si vous voyez, vous, que le pays est Covid-safe ?
Q : Vu la flambée des cas ces derniers temps, serait-il approprié de parler d’une troisième vague ?
La troisième vague se pointe effectivement, si l’on se base sur le nombre grandissant de cas recensés quotidiennement.
Q : La situation est-elle inquiétante ?
Définitivement ! Il y a, d’un côté, la fermeture des entreprises, des écoles et même des postes de police et de l’autre, le débordement des centres de traitement et de quarantaine, avec au moins un décès enregistré par semaine. On a même eu un cas positif qui est décédé en quarantaine. N’est-ce pas alarmant ? Les parents sont stressés et ne veulent plus envoyer leurs enfants à l’école.
Q : Pourquoi les autorités n’arrivent-elles pas à contrôler la situation ?
On a ouvert nos frontières « trop vite et trop brit ». On n’aurait pas dû les ouvrir à cette vitesse en avril alors que le pays comptait encore beaucoup de cas, et cela sans qu’on impose suffisamment de restrictions. Même maintenant, nous rouvrons nos frontières à un moment où il y a d’innombrables cas dans la communauté. Il est évident que le nombre de cas se multipliera. La vaccination, même si l’on atteint le ‘herd immunity’ de 70%, n’arrêtera pas l’infection et la transmission car elle ne prévient que contre l’infection grave et sévère et contre la mortalité. Raison pour laquelle beaucoup de personnes vaccinées ont contracté le virus.
Q : La vaccination est pourtant l’un des facteurs mis en exergue pour justifier l’ouverture de nos frontières à un moment où le variant Delta fait des ravages ailleurs ?
Si vous regardez ce qui se passe ailleurs, vous verrez que le variant Delta est prédominant à travers le monde, que ce soit en Angleterre, en France ou en Inde et il y fait des ravages. L’Indonésie est deuxième sur la liste en termes du nombre élevé de cas et de décès enregistrés. Bon nombre de personnes vaccinées mais infectées par le variant Delta sont décédées en Indonésie parce que celui-ci est nettement plus virulent, plus contagieux et plus résistant aux anticorps. Évidemment si Maurice commence à accueillir des étrangers venant des pays où le nombre de cas liés au variant Delta est élevé, comme l’Inde, l’Europe et l’Afrique du sud, il y a un réel risque qu’il atteigne dans la communauté. Ce qui posera alors problème.
Q : Les mesures mises en place par les autorités à l’intention des étrangers ne sont-elles pas suffisantes pour contenir la contamination et la propagation du virus, peu importe le variant ?
Il n’y a aucune garantie qu’un étranger vacciné, asymptomatique et dont le test PCR est négatif au départ ne puisse pas développer la maladie après la période d’incubation durant laquelle il restera dans un des « resorts bubble ». Du moment qu’il est en contact avec des employés de l’hôtel, ces derniers peuvent être contaminés et porteurs du virus sans le savoir. D’où la possibilité qu’ils le transmettent dans la communauté. Bien sûr, je ne dis pas que tous les touristes sont positifs ou porteurs du virus, mais le risque que certains d’entre eux le sont ne peut pas être ignoré ou négligé.
Q : Il est donc prématuré, selon vous, d’ouvrir les frontières ?
Avez-vous vu les conséquences aux Maldives, avec le nombre de cas et de morts enregistrés depuis l’ouverture de leurs frontières ? Idem aux Seychelles qui a connu une hausse fulgurante de cas positifs. À la Réunion, un couvre-feu nocturne a été rendu nécessaire pour les mêmes raisons.
Q : Le ministre de la Santé ne semble pourtant pas s’inquiéter de la situation…
Oui, parce que le virus qui circule chez nous, le B 1.1.318 est un « variant of interest » et non pas un « variant of concern ». Il est très « mild », d’où les « mild cases » enregistrés, d’autant qu’une bonne partie de la population est désormais vaccinée. Mais la situation ne sera plus la même si par malheur le variant Delta atterrisse chez nous.
Q : On a donc été plutôt chanceux jusqu’ici ?
Certainement, mais nos frontières étaient jusque-là fermées alors que tel n’est plus le cas maintenant. Bien évidemment, elles ne peuvent pas rester fermées éternellement. Mais le moment est-il propice pour les ouvrir surtout quand on n’arrive plus à contrôler le nombre de cas chez nous ? Nos touristes, il ne faut pas l’oublier, viennent majoritairement des pays où des variants sont prédominants.
Q : Au lieu du confinement, le gouvernement privilégie les zones rouges. Ce système porte-t-il ses fruits ?
Les zones rouges n’ont pas été efficaces. Il y en a eu une dizaine jusqu’ici, pourquoi a-t-on toujours autant de cas ? L’idée de la zone rouge, c’est de contenir la circulation du virus. Il y a néanmoins des employés qui sont autorisés à se rendre au travail à l’extérieur de la zone rouge, permettant ainsi au virus de circuler au-delà de cette localité. De plus, la circulation est libre à l’intérieur de la zone rouge. Ce qui tolère la contamination. La zone rouge ne fait que pénaliser, selon moi, ceux qui travaillent au jour le jour et les élèves, entre autres.
Q : Le ministère de la Santé est-il dépassé par les événements ou y a-t-il eu une baisse de vigilance ?
Le ministère communique avec une légèreté qui fait croire qu’il n’y a aucun problème à Maurice. Il y a eu un décès en quarantaine au courant de la semaine sans que le ministère ne révèle quoi que ce soit. Rien n’a été dit sur la situation dans les dortoirs non plus. Personne n’a expliqué ce que signifie le nombre grandissant de cas positifs enregistrés dans les « Covid testing centres ». Y a-t-il eu des campagnes de sensibilisation par rapport aux mesures à respecter lors les rassemblements de 50 personnes ? Non ! C’est cette légèreté qui incite les gens à prendre, à leur tour, la situation avec légèreté.
Q : Les dortoirs supposément sous stricte surveillance se sont révélés être des foyers de propagation accrue. Est-il judicieux de les transformer en centres de traitement ou de quarantaine alors qu’on sait que les conditions ne sont généralement pas réunies pour y contenir la propagation du virus ?
J’ai entendu le ministre de la Santé dire que les dortoirs sont fermés et qu’il n’y a aucun contact entre les résidents et la communauté. Or, les dortoirs ne sont pas appropriés pour servir de centres de quarantaine en raison de la promiscuité qui y existe. Il y a trop de personnes qui habitent dans une seule chambre et qui partagent la même salle de bain. La ventilation y fait aussi défaut. D’où le nombre de cas qui y grimpe.
Q : Les autorités ont-elles lavé les mains avec ces travailleurs étrangers ?
Quand des cas positifs avaient été enregistrés au sein d’un dortoir au Singapour, tout le monde avait été évacué avant d’être placé dans des lieux appropriés. Tant qu’on laisse ces travailleurs sur place dans les dortoirs, la contamination s’étendra jusqu’à ce que tout le monde soit infecté. Pourquoi les Mauriciens sont-ils hébergés séparément dans des chambres d’hôtel alors que les travailleurs migrants sont tous entassés dans leurs dortoirs ? Je ne comprends pas la logique. Où est la responsabilité du ministère du Travail, celui de la Santé et de l’employeur ?
Q : Des établissements scolaires ont aussi été contraints de fermer leurs portes. Pensez-vous que le maintien des classes en présentiel dans le contexte actuel est une atteinte à la sécurité et la santé des étudiants ?
Nous avons été chanceux de n’avoir pas eu plus d’un ou deux cas dans les écoles jusqu’à présent. Et ce sont des cas de contamination contractée à l’extérieur et non pas au sein même de ces établissements. Les autorités peuvent donc se permettre de les fermer pour des exercices de désinfection avant de les rouvrir. On sera toutefois confronté à un gros problème si une école devient un cluster.
Q : Auriez-vous préconisé la fermeture temporaire des écoles ?
Comme je vous ai dit, la source de contamination actuelle n’est pas à l’école, mais ailleurs. J’insisterai encore une fois sur le fait que la vaccination n’est pas une solution. Raison pour laquelle on a vu des enseignants vaccinés être testés positifs à la Covid-19. Personnellement, je maintiens qu’il fallait imposer un confinement général et voir commet la situation évolue. Fermer uniquement les écoles n’est pas la solution car le virus circulera toujours. Ce n’est qu’un lockdown total qui pourra prévenir sa propagation.
Q : Vous dîtes que la vaccination n’est pas une solution. Pourquoi alors faut-il faire vacciner les adolescents moins de 18 ans ?
Encore une fois, il faut voir ce qui se passe dans le monde. Les autorités britanniques ne cautionnent pas pour l’instant la vaccination de ceux âgés de moins de 18 ans, à l’exception de ceux qui ont des maladies ou qui habitent avec des personnes malades. La vaccination doit être accordée aux personnes âgées et vulnérables car ils sont plus à risque. D’ailleurs, les cas liés aux enfants sont généralement des « mild cases ».
Il faut aussi savoir que ce vaccin a provoqué le myocarde chez certains enfants américains. Après avoir pesé les bénéfices et les risques, les autorités britanniques ont décidé qu’il valait mieux de ne pas vacciner les enfants de moins de 18 ans. Je pense qu’à Maurice, on doit accorder plus de priorité aux personnes âgées au lieu de s’attarder sur les enfants qui ne courent pas trop de grands risques.
Q : N’est-il pas temps pour que des tests soient effectués pour analyser l’efficacité de la vaccination chez nous ?
J’ai toujours été en faveur de ces tests. Ces appareils sont vendus à l’étranger et permettent de détecter les « neutralising antibodies ». Une fois qu’on connait le taux de « neutralising antibodies » présent dans le corps après la vaccination, on peut alors décider s’il faut une « booster dose » ou pas, comme l’ont fait les pays du Moyen-Orient qui utilisent le Sinopharm. Je pense qu’il est temps pour qu’on se procure ces appareils qui ne coûtent pas cher pour effectuer ces tests, surtout sur des personnes âgées ou atteintes, par exemple, de cancer ou qui font la dialyse.
Q : A-t-on un retard à rattraper à ce niveau puisque les appareils de séquençages ont également pris du temps pour atterrir chez nous ?
On a définitivement un retard à rattraper. Ce n’est que maintenant qu’on commence à faire le séquençage et cela sans qu’on sache combien sont effectués. On n’a même pas encore commencé les tests concernant les « neutralising antibodies ». ll fallait aussi introduire des tests plus rapides comme le GeneXpert qui est aussi un test PCR mais qui est capable de donner des résultats en seulement 45 minutes. Ils auraient pu être utilisés, par exemple, dans les hôpitaux où des résultats rapides sont nécessaires, surtout en cas d’interventions urgentes.
Q : Nous avons donc encore des lacunes à surmonter avant de pouvoir gérer efficacement la pandémie Covid-19 ?
Je ne dirais pas lacunes, mais il nous faut définitivement « catch up with time ». Il nous faut suivre dans les pas des pays développés le plus vite possible.