Enjeux dangereux

Cette fois-ci, la coupe est bien trop pleine. Ce gouvernement et son Premier ministre semblent avoir franchi une ligne rouge. Du moins, s’ils ne l’ont pas déjà franchi depuis longtemps avec le nombre de scandales révélés depuis 2014. Cette semaine, quelqu’un a même comparé le récent scandale au Watergate aux États-Unis, qui avait vu la démission du président Richard Nixon. Fidèle à son habitude, le Premier ministre passe par deux phases successives : l’absence de transparence et la répression. Après que Sherry Singh ait laissé éclater sa bombe, Pravind Jugnauth a d’abord voulu se cantonner dans l’opacité, mais comprenant que cette fois-ci les enjeux étaient bien trop grands, il a dû fournir des explications, largement incomplètes et vraisemblablement inexactes, qui laissent la porte ouverte à bien d’autres interrogations. Il parle d’un « survey » sur la « national security », mais ne fournit pas de détails sur la nature de cet ‘security issue’ ni sur le ‘survey’ lui-même. Pourquoi n’a-t-il fait aucune demande formelle auprès du ‘Board’ de Mauritius Telecom, alors que le ‘Secretary to the Cabinet’ est aussi le chairman de ce ‘Board’ ?

Certains ont repris les allégations de Sherry Singh à l’effet qu’un délit aurait déjà été commis après que le Premier ministre ait exigé l’accès au câble SAFE, qui est régi par un consortium international, à une équipe d’une puissance étrangère. Et cela démontre bien les intentions sinistres de ce Premier ministre qui balaie d’un revers de main des objections portant sur la légalité, ou plutôt l’illégalité, de sa requête. L’on se rappellera que ce Premier ministre et son gouvernement ont toujours voulu contrôler et juguler les sites d’informations et les réseaux sociaux, voulaient amender la loi régissant l’ICT Act pour permettre à un serveur sous l’égide de l’ICTA d’intercepter tout le trafic sur le Net. Face à une volée de bois vert, le gouvernement avait dû faire marche arrière. Et cette affaire semble corroborer les allégations de Sherry Singh, à l’effet que le Premier ministre s’était lancé dans une tentative, avec le concours indien, de ‘sniffer’ illégalement tout le trafic Internet à Maurice.

La grande question est, qui a voulu ‘sniffer’ notre trafic Internet ?  Est-ce le Premier ministre, Pravind Jugnauth ? Ou est-ce à la demande de son homologue indien ? Si c’est le Premier ministre mauricien, cela démontre que c’est quelqu’un de dangereux, avec des tendances dictatoriales qui fait fi des lois sur la confidentialité et de la Constitution elle-même, qui garantit le droit à la vie privée. Mais si Pravind Jugnauth s’est plié à une quelconque demande indienne, nous avons là un Premier ministre qui a gravement porté atteinte aux intérêts supérieurs du pays, qui, outre d’avoir fait l’impasse sur les lois et la Constitution, a aussi joué avec notre sécurité et notre souveraineté nationale. Un acte de haute trahison, en d’autres mots. Il a mis en péril non seulement les citoyens mauriciens, mais aussi les missions diplomatiques en poste chez nous.

Les liens qu’entretiennent le Premier ministre mauricien avec son homologue indien, Narendra Modi, sont bien connus. Mais Pravind Jugnauth peut-il encore garantir notre souveraineté face à la Grande péninsule ? On a ici en tête la mainmise de l’Inde sur Agalega, qui est maintenant un secret de Polichinelle. Certes, l’Inde est un pays ami, qui peut nous aider sur divers plans, mais nous sommes encore un pays souverain. Nous pouvons bien dépendre de l’aide des pays amis, mais cela ne veut pas dire que nous devons compromettre notre indépendance et nos valeurs. Encore plus grave : les missions diplomatiques en poste chez nous suivent cette affaire de près. Ce qui compromet gravement notre image à l’étranger, notamment notre alignement sur le plan géopolitique dans cette partie du monde. Le Premier ministre tombe maintenant dans la répression, que ce soit contre Sherry Singh, ou contre les journalistes, avec sa police qui lui est inféodée. Mais cette fois-ci, les enjeux dépassent nos frontières…