‘Sniffgate’ : Un ‘survey’ illégal en soi

Dans le sillage du deuxième entretien de Sherry Singh ce mardi 12 juillet, le ‘sniffgate’ devient de plus en plus troublant. Dans cet article, nous essayons de soulever certaines questions par rapport à cette affaire. En tout cas, tout porte à croire que le ‘survey’ demandé par le Premier ministre, Pravind Jugnauth, était une intervention illégale en soi.

Sherry Singh a été interrogé par les limiers du ‘Central Criminal Investigation Department’ (CCID) le jeudi 14 et le vendredi 15 juillet, en compagnie de son avocat, Me Gavin Glover. Selon nos recoupements, Sherry Singh a confirmé aux enquêteurs tout ce qu’il a dit dans ses entretiens sur les ondes de Radio Plus et sur le plateau de l’Express. Son interrogatoire se poursuivra la semaine prochaine.

Notons que les policiers avaient effectué une descente le mardi 12 juillet dans les locaux de Radio Plus à la rue Labourdonnais à Port-Louis pour récupérer l’enregistrement du premier entretien. Le lendemain, ils se sont rendus dans les locaux de l’express à Baie-du-Tombeau, et ils ont pris un ‘statement’ du journaliste Axcel Chenney, qui avait réalisé le deuxième entretien du ‘Maharajah’ sur le plateau de l’express.    

De son côté, le PM a expliqué à l’Assemblée nationale ce mardi 12 juillet que le 21 octobre 2021, la ‘Security Division’ du PMO avait adressé une correspondance à Sherry Singh pour demander quelques informations concernant le câble SAFE, dont des détails techniques. Cela dans le contexte d’un ‘survey’ concernant la sécurité nationale. En l’absence de réponse, une autre lettre a été envoyée à Sherry Singh le 22 décembre.

Toutefois, il convient de noter que le PM n’a fourni aucun détail concernant ce ‘survey’ lui-même.

Puis, le 12 avril 2022, Sherry Singh a été informé que trois personnes d’une équipe technique en provenance de l’Inde procèderont à ce ‘survey’ entre le 13 et le 15 avril, et il lui a été demandé de leur faciliter la tâche.

Le 13 avril, le Premier ministre a appris qu’aucun arrangement n’a été fait pour permettre le ‘survey’. C’est alors que le PM a appelé Sherry Singh pour lui demander de faire le nécessaire. Selon lui, ce dernier a finalement accédé à cette requête. Il convient de noter encore une fois que le PM n’a fourni aucune précision si une quelconque permission a été demandée au Board de MT et au consortium qui gère le câble SAFE, prétextant, à une question du député Eshan Juman, que la station de Baie-Jacotet appartient à MT, sans mentionner que les câbles SAFE sont toutefois sous la responsabilité du consortium international.

Il faut savoir que ce câble SAFE, entré en opération en avril 2002, transite par plusieurs ‘landing stations’ dans plusieurs pays, dont le Portugal, l’Afrique du Sud, la Réunion, Maurice, l’Inde et la Malaisie. Ce câble appartient au Consortium SAFE, qui comprend une trentaine d’opérateurs en téléphonie, repartis dans plusieurs pays, dont Mauritius Telecom et France Telecom.

Pour Sherry Singh, le Premier ministre a voulu passer outre le consortium gérant le câble SAFE et a permis à une équipe étrangère d’intervenir sur ce câble. Ce qui, selon Sherry Singh, est illégale et constitue un délit en soi. Selon lui, toute intervention sur le câble SAFE doit passer par le consortium qui gère le câble, et 14 jours avant toute intervention, le consortium doit être au courant de toute intervention sur le câble.

Dans ce contexte, selon Rajen Narsinghen, ‘senior lecturer’ en droit à l’Université de Maurice, dans un récent entretien à l’un de nos confrères, il se pourrait que des poursuites soient entamées contre l’État mauricien par ce consortium. Toujours selon lui, les agissements du PM ont aussi possiblement porté atteinte aux conventions internationales de l’International Communications Union (ICU) régissant la téléphonie et le trafic Internet.

Points saillants des révélations de Sherry Singh

Il convient de revenir sur les allégations de Sherry Singh lors de ce deuxième entretien. En substance, ce dernier avait fait les affirmations suivantes.

  • Fin 2021, Sherry Singh avait reçu deux lettres du Bureau du Premier ministre (PMO) demandant certaines précisions sur la ‘landing station’ de Baie-Jacotet, où il n’était nullement question de survey.
  • Le 14 avril 2022, il devait apprendre par le secrétaire au Cabinet qu’une équipe technique venant de l’Inde comptait faire un ‘survey’ au ‘landing station’ de Baie-Jacotet. Le même jour, trois membres de l’équipe technique indienne, dont le ‘leader’ était un « monsieur avek ene gros moustache », selon Sherry Singh, étaient venus le voir dans son bureau au siège de MT. Ils étaient accompagnés par un fonctionnaire du PMO.
  • « Gros moustass » a expliqué qu’il s’agissait d’un ‘survey’ de la ‘landing station’ du câble SAFE à Baie-Jacotet pour permettre l’installation d’un dispositif qui pouvait capter le trafic Internet entrant et sortant. Sherry Singh a alors expliqué ses réserves à « Gros moustass », qui lui a demandé de régler ce problème avec son gouvernement.
  • Le 15 avril – la date à retenir – le PM a appelé Sherry Singh par téléphone, où ce dernier a répété ses réticences, à l’effet qu’il n’y a pas de cadre légal couvrant cette intervention, qu’il n’a reçu aucune instruction formelle en ce sens, et que le câble SAFE appartient à un consortium international. Mais devant l’insistance du PM, qui a dit qu’il allait rencontrer Narendra Modi le lendemain, il a fini par autoriser l’accès de Baie-Jacotet à l’équipe technique indienne.
  • Sherry Singh a néanmoins insisté pour que le ‘Chief Technical Officer’ de MT accompagnât l’équipe indienne pour avoir un droit de regard sur leur intervention sur le câble SAFE. Selon Sherry Singh, les images des caméras CCTV pourront démontrer que cette équipe était effectivement à Baie-Jacotet ce jour-là, de 12h59 à 18h52, et qu’il n’y a pas eu de ‘survey’, mais bien ce qu’il convient d’appeler une ‘intervention physique’. Qui plus est, selon lui, le serveur du câble SAFE contiendrait un relevé du ‘tripatouillage’ effectué par cette équipe indienne.
Une analyse de ces cables de la station de Baie-Jacotet trahira-t-elle le secret de cette mission 'top secret'?
Une analyse de ces cables de la station de Baie-Jacotet trahira-t-elle le secret de cette mission “top secret”?

Les interrogations ne manquent pas sur cette affaire

  • Quel était cet ‘issue’ de sécurité nationale dont a fait état le PM, qui nécessitait un ‘survey’ à Baie-Jacotet ? Comment et pourquoi cet ‘issue’ a-t-il surgi ? Où et quand ? Qui a informé le PM de cela ? Et quelle est sa nature ?
  • Pourquoi le PM n’est-il pas passé par le ‘Secretary to the Cabinet’, Nayen Koomar Ballah, qui est aussi le chairman du board de MT, pour informer le board de MT de ce survey ?
  • Quel genre de ‘survey’ ces experts indiens ont-ils fait et pour le compte de qui, puisque ni Mauritius Telecom, ni le consortium SAFE ne l’a commandité ?
  • Pourquoi le Premier ministre a-t-il eu recours aux techniciens indiens alors que selon le ‘Systems Analyst’ Ish Sookun, dans un entretien avec un confrère, il y aurait beaucoup de Mauriciens qualifiés pour faire ce travail ?
  • De quelle souveraineté jouissons-nous si le chef de notre gouvernement n’a aucun problème à ce que ce ‘survey’, touchant à notre sécurité nationale, ait été confié à des étrangers ?
  • Pourquoi le PM s’est-il tourné directement vers son homologue indien, Narendra Modi ?
  • Qui a décidé de ce survey ? le PM mauricien ou le PM indien ?
  • Sur le plan politique, pourquoi le PM ne rend-t-il pas les vraies raisons qui, selon lui, ont conduit à la démission de Sherry Singh ?

Affaire à suivre…