Ennemis de la justice

La population est stupéfiée depuis vendredi. Elle est paralysée par l’énormité des révélations faites contre une section de la police, et non des moindres, par nos confrères de l’Express, TéléPlus et Top FM dans le sillage de l’affaire Vimen Sabapati ? Elle est incapable de digérer le fait que les Casernes centrales abritent une équipe composée de présumés « mafia » que le Premier ministre, responsable de la police et garant de la sécurité intérieure, n’a pas vu sur son radar défaillant. À l’heure qu’il est, la ‘Special Striking Team’ (SST) d’Ashik Jagai aurait dû avoir déjà été démantelée, et son patron et ses enquêteurs mis hors d’état de nuire, en attendant une enquête approfondie. Pas comme celles qu’on voit dans le cas des ministres et autres proches du pouvoir. Mais une vraie enquête indépendante, déterminée à faire éclater toute la vérité. Possiblement même une commission d’enquête. Le Commissaire de police, censé être au courant des agissements de ses hommes, aurait dû, lui aussi, être révoqué illico presto, pour avoir failli à sa mission.

Ce qui se passe actuellement aux Line Barracks dépasse l’entendement. Vols (chaine en or, parfums…) chez des suspects, liaisons dangereuses avec des trafiquants, allant jusqu’à la complicité, la connivence et même une sorte de partenariat « 50-50 », proximité sinistre avec Franklin, ‘planting’ de drogues et d’armes à feu et les moyens pour y arriver… Les méthodes employées par la SST ont été mises à nu. Et ses frasques démontrent à quel point cette unité est pourrie jusqu’à la moelle. La perception qui se dégage c’est que l’unité menée par Ashik Jagai n’est qu’une bande mafieuse opérant sous le couvert de la police. Malheureusement, c’est toute la force policière qui est décrédibilisée, stigmatisée et ridiculisée, alors qu’il y a des milliers d’officiers qui font leur travail honnêtement. Mais le pourrissement de cette unité ne date pas d’hier. Elle remonte jusqu’au temps où Jagai et ses hommes faisaient partie de l’ADSU.

Oui, cette même ADSU dont le démantèlement avait été recommandé par l’ancien juge Paul Lam Shang Leen dans son rapport sur la commission d’enquête sur la drogue en 2018. Mais qui a néanmoins été maintenue en place par le Premier ministre. Ce dernier ne peut pas plaider l’ignorance dans cette affaire, ayant toléré et cautionné l’ADSU, dont des membres ont été appelés à faire partie de la SST nouvellement créée, en passant apparemment par l’imposte (voir interview d’Akil Bissessur en page 6). Cette unité semble être gangrenée ‘beyond repair’, ayant atteint un degré de putréfaction inexplicable. Or, au lieu d’être rappelée à l’ordre suivant les nombreuses critiques et revers en Cour contre elle, elle a été encouragée par un système dépassé, perverti, et politisé à outrance. Avec la bénédiction des plus puissants du jour, dont une « certaine madame », à en croire Me. Akil Bissessur qui en avait fait mention dans un affidavit.

Il est inimaginable que le Premier ministre n’ait pas encore réagi à l’heure où nous bouclions ce journal. Que doit-on en déduire ? Qu’il croit au complot évoqué par Ashik Jagai contre lui et son équipe ? Mais il convient aussi de se demander s’il va oser prendre position contre une équipe qui fait vraisemblablement la sale besogne du gouvernement pour faire taire des voix critiques, de la même façon que le Speaker Sooroojdev Phokeer le fait au Parlement pour sévir contre l’Opposition. Va-t-il réclamer des explications sur les liens allégués entre Jagai et Franklin et les raisons pour lesquelles ce dernier ne fait toujours pas l’objet d’une enquête pour trafic de drogue alors que les noms d’un des ministres et des PPS de son gouvernement sont cités dans le sillage de ce scandale ? Peut-on encore croire que Pravind Jugnauth serait, même pour la galerie, prêt de s’asseoir autour d’une table avec l’opposition parlementaire et extra-parlementaire pour parler de réforme dans la police, tandis qu’il nous a donné mille raisons de croire qu’il s’en fiche pas mal des principes démocratiques et de bonne gouvernance ?

Force est de constater que si des actions avaient été prises à temps par nos décideurs, à chaque fois que des critiques ont été formulées contre les méthodes de la police, qu’elle soit la SST, le CCID ou autre, principalement dans des jugements de la cour, le pourrissement systémique de cette importante institution aurait pu être évité. Si des gardiens du law and order sont désormais devenus des ennemis de la justice, c’est la faute à nos dirigeants politiques. Comme Nawaz Noorbux l’a dit, de grâce, ne venez maintenant pas parler de complot au sein de la presse pour déstabiliser le gouvernement et des institutions dont l’image est déjà ternie. Imaginez si la presse n’avait pas répondu présente, malgré toutes les manœuvres, pour étaler publiquement toutes ces révélations… Le peuple aurait-il su ce qui se tramait dans les entrailles du pouvoir ? Les municipales ont été renvoyées, mais le gouvernement croit-il pouvoir contenir éternellement la révolte que ressent aujourd’hui la population ?